Une institution bien singulière, et à la base davantage « made in US », que le parti-pris de l’album de guitariste … Si quelques rares (et très notoires) parviennent, par la puissance de leur imaginaire et une éloquence hors-du-commun, à extirper le genre d’une réclusion évidente à une frange d’initiés, pour lui offrir une place dans l’oreille populaire, il n’en demeure pas moins un concept étriqué et, finalement, réservé à une élite.
A l’internationale, chaque contrée se vante d’avoir son shredder local, et c’est ainsi que lorsque l’on pense « guitare » et « France », le nom de Stéphan Forté vient, forcément, de suite, en tête. Artiste complexe, tout à la fois discret (en tant qu’individu) et exubérant (musicalement), metal mais pas que, à la fois partout (de par ses activités polymorphes au sein de la scène) et nulle part (c’est souvent que l’on aura pu entendre alentours : « mais que devient-il ? ») ; Stéphan cultive les paradoxes, et sa nouvelle fournée discographique vient aujourd’hui étayer cette image.
Deuxième album solo loin d’ Adagio, Enigma Opera Black donne le ton à l’abord de son titre et de son visuel : le clair & obscur, le fantastique et le bizarre, le catchy et le tortueux. « Short Virtuosity Etude » offre une introduction rendant hommage aux racines néo-classiques du guitariste, avant que le titre éponyme ne vienne ouvrir une porte contemporaine, voire futuriste même, avec l’usage de sonorités synthétiques et un déferlement de notes et de BPM. A la section rythmique, on retrouve le batteur Morgan Berthet (qui apporte une touche organique, en dépit d’un son somme toute assez « indus ») et le bassiste Franck Hermanny (Adagio). Aux synthés et à la production (conjointement avec Stéphan), c’est Kevin Codfert (Adagio également) qui œuvre à l’édification des sonorités de l’album.
Parmi les guests, on remarquera bien-sûr la présence du légendaire Marty Friedman, faisant suite logique à la tournée « Guitar Universe » de 2011, sur le titre « Zeta Nemesis » puisant aux racines Cacophony / Becker / Megadeth de Stéphan. Coup de cœur pour « Sector A Undead » et ses accents dubstep et electro-goth, sur lesquels vient fleurir un enchevêtrement complexe de guitares superposées (rappelant quelque peu le regretté – génial - Shawn Lane) ; mais aussi pour « Pure », où la lourdeur de la sept-cordes permet pourtant l’éclosion d’un paradis de mélodicité et de virtuosité ; et enfin pour la dimension apocryphe de « Entering Sigma Scorpii ».
L'artwork signé Rusalka
Entrer en la musique de Stéphan, c’est un peu comme pénétrer dans un univers Tim Burtonien (support musical et iconographique confondus) et son côté à la fois candide et gentiment sordide ; mais qui aurait rencontré malencontreusement Howard Philip Lovecraft et ses rêves de Nephilim en cours de route. A la fois difficile d’accès mais d’une beauté & d’une harmonie indéniables, Enigma Opera Black trouve sa place au milieu de ces paradoxes, et pourrait aussi bien plaire à l’amateur de prouesses guitaristiques qu’au néophyte total, tant le juste milieu est établi entre technique pure et recherche d’ambiances. Clair-obscur, l’album dans sa totalité excelle dans le contraste. Ce qui ravira, comme à l’accoutumée, est le toucher remarquable du guitariste, sa justesse extraordinaire, et aussi son son singulier, qui parvient à évoquer autre chose que de la guitare (on a parfois l’impression d’entendre un violon, par exemple). Bien ficelé de bout en bout, l’album développe un argumentaire logique, et si le premier titre semble rendre les grâces avant le déferlement de la psyché de Stéphan, le dernier titre, « Peace », clôt le chapitre à la manière d’un salut sur le tatami (comprendre : avec quiétude et un apaisement entériné).
Comment attribuer moins de 10/10 à un artiste aussi singulier, qui au-delà de venir simplement consolider sa place dans le peloton de tête français, confirme ici sa crédibilité à l’internationale ?
Liens utiles :
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