Le doom, ce genre si particulier, qui rebute tant d'oreilles non-initiées à ses charmes bien distincts. Un registre musical dans lequel il n'est donc pas aisé d'entrer pour chacun et pourtant, certaines formations ont ce petit côté accessible, qui pourrait bien faire basculer le néophyte vers le côté sombre de la force. Et dans cette catégorie, mesdames et messieurs, voici Jex Thoth, groupe bien connu avant tout pour sa maîtresse de cérémonie, ayant donné son propre patronyme au combo. Entité mystérieuse et singulière, l'Américaine est créatrice d'un split avec Pagan Altar, deux EPs, et d'opus longue durée sortis avec cinq années d’intervalles : l'éponyme (2008), et Blood Moon Rise (2013). Pourquoi parler d'eux, en cet instant présent, et effectuer un retour dans le temps à la découverte de leur œuvre du même nom? Sans doute une volonté de faire profiter le lectorat d'un album au charme prononcé.
Évidemment, la mode du « doom à chant féminin » n'est plus une grande nouveauté. Aujourd'hui, les Electric Citizen, The Oath et autres The Sabbathian font partie intégrante d'une scène en pleine expansion, au regain de popularité toujours plus conséquent. Notre Jex, elle, a deux avantages : premièrement, être arrivée en tête de peloton et déjà s'amuser à hypnotiser les foules, là où nombre d'autres admiraient encore les grâces de la prêtresse afin d'aspirer au même capital séduction. Mais cette seconde qualité, c'est une emprunte musicale bien à elle, donnant à son propos un cachet unique et identifiable entre milles, qui n'est pas défini seulement par le chant de l'envoûtante Américaine. Non, derrière, ça joue avec le feu, ça lance des riffs boueux et simples, lourds, soutenus par une production aux allures datées, mais collant parfaitement à l'ambiance. Et pourtant, l'atmosphère est rassurante, grâce aux multiples apparats dont se dotent aussi bien les compositions que la versatile chanteuse, qui offrent un véritable voyage musical à l'auditoire.
L'aspect doom est sans arrêt contrebalancé par des envolées plus aériennes, où le psychédélisme règne en maître et fait valoir ses droits. La cohabitation prend alors des tournures bien plus plaisantes, dégageant une forte dose de sensations diverses et variées, comme en témoigne un « Son of Yule » guidé de main de maître par une frontwoman totalement investie dans son rôle de prêtresse. La navigation est parfois calme, dans des eaux limpides où Jex berce de son chant maternel et chaleureux (« The Poison Pit »). Mais quand les éléments se déchaînent, la femme cajoleuse fait soudainement place à une guerrière, une chamane, à la voix solennelle et ferme. « Obsidian Night », « Separated at Birth » ou « Warrior Woman » laissent entrevoir ces facettes. Le rôle des musiciens se résume bien souvent à accompagner les humeurs imprévisibles d'une leader jouant avec les émotions de quiconque se laisse piéger par la douceur de son timbre et le charme de ses incantations.
Oh, bien sûr, ce disque ne frôle pas encore la perfection. Il subsiste bien des erreurs de jeunesse, des moments qui pourraient être améliorés. Quelques longueurs dispensables mais jamais gênantes. La douceur de Jex Thoth amène toujours son lot de doux rock que l'on croirait droit ressuscité des années soixante. Toujours avec cet habillage psychédélique qui sauve la baraque (« The Thawing Magus » souffrirait énormément de l'absence du chant sans cela). Ces petites bavures, la chanteuse et ses compagnons les rattrapent immédiatement, au travers d'une ligne de chant enivrante (« Son of Yule »), d'un orgue donnant le ton lors d'une piste aux contours mystiques (l'inquiétante « The Banishment », où l'alliance de cet instrument et de l'organe vocal colle des frissons), ou d'un morceau d'une longueur plus conséquente, prenant aux tripes du début à la fin (la superbe conclusion « Stone Evil »), le chant incantatoire de Jex menant les débats.
Mixture bien étrange que voilà. Des accents psychés datés mais planants combinés à un doom qui ramène droit vers le plancher des vaches. Un chant rêveur et enivrant aussi bien qu'inquiétant et grave, combiné à un grain de voix atypique. La porte d'entrée idéale pour s'initier aux merveilles du genre... à une partie d'entre elles, du moins. Le doom est si large qu'il est impossible de le résumer à un seul et unique groupe. Mais un disque comme celui-ci devrait trouver grâce à vos oreilles. Ce groupe a un son caractéristique qu'il modifiera encore à l'envie cinq années plus tard, tout en ne trahissant jamais son identité. Et c'est dans de telles conditions qu'on reconnaît aisément ceux qui s'élèvent au-dessus de la masse. Jex Thoth est de ce calibre.
Note finale : 8,5/10