Alice, prends ma main... Oublie ce chapelier fou et ce dégénéré de lapin blanc, viens avec moi... Transcende ton esprit, multiplie tes émotions, car le mystère de la musique t'attend. Tes tripes, Alice, tu les sens se contracter en tes entrailles ? Ces vibrations, Alice, tu les sens remonter le long de ton âme ? Alice, laisse-moi te présenter Star One, ce projet du mastermind Arjen Lucassen, entre metal progressif et tonalités électro-space... Oui, Alice, lui a voulu suivre le lapin blanc et se lancer dans la folie cosmique d'une nouvelle oeuvre aussi inattendue que surprenante... Victims of the Modern Age, chère Alice, sortie prévue le 1er novembre chez InsideOut... Deuxième opus de ce sigulier projet, petite Alice... Relatant dans ses paroles plusieurs films (et série) cultes... Mais de ces détails tu n'en as cure, je le sais bien, tu veux aller au bout de ton trip et frissonner au son d'une musique inoubliable ! Alors oui, Alice, plonge avec moi et ne te réveille jamais...
"Down the Rabbit Hole", Arjen, là où tu as voulu t'enfuir pour y préparer tes folies... As-tu choisi la pilule rouge de l'inspiration ultime ? Si ton introduction s'avère ici simple et gentillette, peut-être est-ce pour mieux nous étonner et nous prendre la gorge...
... Car très vite une pluie digitale de riffs et de voix on ne peut plus convaincantes s'abat sur nos illusions. A peine nous voici plongés dans des rêves que l'on croyait paisibles, Mr. Lucassen use d'un gros son bien teinté metal et de chants maîtrisés au couteau pour nous éveiller sans ménagement. Du brut, du solide, du dur, du splendide... Dès le premier titre, nous ne savons déjà plus ou nous mettre, ni errer. Désormais, nul guide ne pourra nous aider, c'est à nous et nous seuls de trouver la voie et de comprendre où Arjen a voulu nous mener. Russell, Damian, Dan, Floor... 4 chevaliers aux vocalises acérées, seront tout de même là pour nous éclairer.
"Awaking the sleeper... "
Si "Digital Rain" sort le rêveur de sa torpeur, "Earth That Was" aurait plutôt tendance à le faire replonger. Pour le plus grand bonheur d'un aventurier déjà ébouriffé par tant de classe. Ici, le tempo se ralentit, s'alanguit même pour une longue mélopée bercée d'ivresse. Basée sur la série Firefly, devenue culte pour son imméritée courte durée, ce petit brûlot musical se suffirait presque à lui-même sans artifice. Le temps d'un refrain pourtant facile d'accès, nous voici attisés par la douceur d'une énergie contenue à l'extrême. Non, ceci n'explosera pas, mais s'élèvera à l'extrême jusqu'au vide intersidéral si lointain, si mystérieux, à l'infini...
"A desperate need to find a place in the emptiness of space..."
Tadada tadada... Le rythme nous colle à la peau, ce côté tribal et envoûtant comme rarement vient s'inscrire dans nos pensées. Du grand art, une folie inattendue, le labyrinthe se présente ainsi à nouveau devans nous. Tout se mélange dans nos têtes, et pourtant... de cette incohérence apocalyptique entre folk moderne et noirceur inquiétante nait une parfaite harmonie, à la fois dérangeante et ennivrante. Dan Swanö et Damian Wilson se donnent ainsi une réplique parfaite, agrémentés d'une Floor Jansen aux échos presque faussement enchanteurs. Si Russell Allen vient "par dessus" ce grand chambardement en grand héros un peu paumé d'Orange Mécanique, ce n'est que pour nous clouer sur place sur fond d'hypnotisme ambiant absolument génial. Un must listen. Et attention, car ce "Victim of the Modern Age" risque de ne vous accrocher qu'après moultes écoutes, la chanson piège par excellence... Alice, t'es toujours avec moi ?
"A restless mind trapped in this cage..."
Plus que jamais enfermée dans ta cage, chère amie, te voici parmi les singes, sur une planète étrange, considérée comme un animal. La basse sourde met en relief de simples riffs tout en lourdeur, le charme opérant sur une mélodie une nouvelle fois aux tonalités inquiétantes. Ou quand synthés et Dan Swanö (véritable révélation vocale de l'opus) tout en violence viennent porter le coup de grâce. Nous ne savons plus ou nous mettre, n'est-ce pas ? "Humans See, Humans Do"... Humans listen, Humans can't do anything else, it's just simple magic here.
"Beware the beast, don't believe his lies..."
Oui, Alice, attention à cette bête de musicien qu'est Arjen, ne crois pas en ses mensonges ou plutôt ses chimères d'album à l'apparence linéaire. Car de linéarité il n'en est point question ici. "24 Hours" ou la totale contre partie de ses deux prédecesseurs, ici c'est Damian Wilson qui régale dans un lead inspiré au timbre faisant vibrer toutes les émotions du monde. Fascinant. Et si la chanson en elle-même s'inscrit dans une longue agonie épico-tragique, elle n'en garde pas moins les aspects plus qu'intéressants d'une musicalité à toute épreuve, fortement inspirée des années Ayreon il est vrai (surtout sur sa partie solo). Nul ne sait si Snake Plissken aurait aimé cet hymne composé à sa gloire, mais l'auditeur lui saura en garder de bien positives traces.
"No rules apply here among this desperate crowd, once you go in you are never coming out..."
Une fois entré dans cette offrande, difficile d'en sortir il est vrai. Allez, chère Alice, respire. Respire avec moi... Folie, réalité ? Est-ce que nous vivons une expérience ? Un voyage intempestif à travers les diverses influences d'une musique parfaite ? Réveille-toi, une nouvelle fois, j'ai peur de m'emporter et de me perdre sans toi. Comptons ainsi sur Floor Jansen et Russell Allen le temps d'un duo lead sur les attermoiements d'un monde entre rêve et tragédie. "Cassandra Complex" et son côté easy listening très trompeur, aux claviers implacables et aux sonorités d'un autre temps. Il fait mal, ce morceau, presque aussi perturbant que le film qu'il résumé (L'armée des 12 singes), car il nous enfonce encore plus dans cet inexplicable bonheur, dans cette extase incontrôlée fomentée par ce génie d'Arjen.
"We can shape the present but we can't make it last..."
Non, il ne peut durer, ce présent qui n'existe pas, car fait de passé récent ou de futur proche au-delà d'une infime millième de seconde. Aucune chance de savourer tant tout s'enchaîne, et pourtant tout reste diaboliquement gravé dans notre subconscient. Alice, je te sens fébrile... Es-tu toujours en vie ? Cet esprit l'est, vivant, donc toi aussi, et nous le sommes tous les deux ! "It's Alive, She's Alive", We're Alive", ou Le Fils de l'Homme ici revu et corrigé dans une apocalyptique symphonie tout en subtilité. L'impression ne se fige en aucun cas sur le ressenti du moment, elle va déjà au-delà et se répercute sur ce qui a précédé. Nous ne savons plus où donner de la tête, c'est insoutenable de plaisir...
"But we must not give up hope..."
Non vraiment, l'espoir est de mise, et ce malgré cette apothéose glaciale et dévastatrice qui nous attend. Car tout prend fin ici. "It All Ends Here". Blade Runner et son atmosphère futuristico-glauque se voient ici représentés au paroxysme d'une justesse impénétrable. En progression perpétuelle, noire et crispante, cette conclusion de près de 10 minutes nous laisse sans réaction. Elle se vit de l'intérieur. Une fin de voyage abrupte et aérienne à la fois, un réveil lent et agonisant empli de beauté incompréhensible. D'illusoires larmes viennent perler le long de notre joue, se mélangeant à la sueur âcre d'une agitation involontaire... Cela va se terminer, les secondes deviennent des minutes, elles se DOIVENT de se transformer en heures, non... Cela ne peut prendre fin. Russell, continue à chanter... Tous, ne jamais arrêter, jamais... Alice, tu es toujours avec moi, mais je ne ressens plus rien d'autre à part ces sons venus d'une autre dimension...
"is it wrong, does anyone care?"
Est-ce mal ? Je vous le demande. Est-ce mal d'autant aimer un album ? D'autant ressentir chacun de ses détails comme une perfection ajoutée à la grandeur de l'ensemble ? Est-ce que vous vous en souciez vraiment, au final ? Chacun l'aura, son propre ressenti, la musique n'ayant de vérité que celle qu'on lui attribue, selon nos émotions et notre ressenti personnel. Alors, Alice, tu en penses quoi ?...
... Alice ne répond plus, déjà repartie pour un autre voyage. Une nouvelle écoute. Qui sera associée à une troisième, puis une quatrième, et ainsi de suite. Car cet album peut agir comme une drogue, encore plus violente que cette satanée pilule rouge, valant tout les LSD du monde car sans danger.
Arjen Lucassen a encore frappé, dans sa plus pure tradition entre prog et sonorités cosmiques, agrémentés de chanteurs au taquet, d'un batteur (Ed Warby) habité et de solistes (Gary Wehrkamp à la guitare et Joost Van den Broek aux claviers) plutôt inspirés. Aucune surprise de ce côté, mais ce musicien néerlandais est si souvent frappé de la grâce divine lorsqu'il s'agit de composer et écrire un album qu'on peut même lui pardonner certaines redites forcément involontaires. Victims of the Modern Age est très certainement l'opus de l'année 2010, peut-être même la meilleure sortie de ces 5 dernères années. Ceci n'engage que moi, j'en suis parfaitement conscient, mais il y a fort à parier que Star One saura en satisfaire plus d'un en ce début d'hiver anticipé... Et après tout, tant pis pour les autres s'ils préfèrent prendre la pilule bleue de l'ignorance et renier la compagnie de cette chère Alice.
Note : 10/10
Interview d'Arjen Lucassen réalisée il y a quelques semaines