La sphère du metal symphonique se développe petit à petit, et bien entendu, la France n'échappe pas à ce phénomène avec ses bonnes et ses mauvaises surprises. Whyzdom, Adrana, Khaelys, Whisperium, ils sont nombreux à appartenir à ce milieu. Et vous avez sûrement déjà entendus parler de Benighted Soul, n'est-ce pas ? Si toi, lecteur, tu t'intéresses un peu à ta scène locale, alors dans les groupes à chanteuses, tu as déjà vu évoqués les noms de Kells, Markize … ou de ces nancéens-là ! Déjà depuis 2003 qu'ils sont ensemble, et qu'ils sillonnent l'hexagone en s'étant bâti une réputation après de nombreux concerts, mais aussi par l'EP Anesidora qui avait, en 2008, fait grand bruit, certains voyant dans les lorrains la nouvelle étoile montante du genre, le futur grand, tandis que d'autres, tout en soulignant les mérites et les qualités du combo, n'y voyaient guère qu'une formation banale, sans plus d'intérêt qu'une autre. Tout reste donc à prouver et c'est le 11 Février 2011 que sur le label Savage Prod, le quintette prend le taureau par les cornes et balance enfin au public le tant attendu premier album, baptisé Start from Scratch, une épreuve bien souvent sélective et triant sur le volet les bons des moins bons, une façon rapide de séparer le bon grain de l'ivraie. Un délice ou un regret, Benighted Soul ? Le seul moyen de le savoir est de rentrer dans l'univers de Start from Scratch …
Ce qui frappe de prime abord, c'est un changement qui semble s'être opéré entre l'EP et le brûlot, et qui est visible dès le premier coup d'œil, sans même avoir besoin de poser une oreille sur la galette. La pochette est beaucoup plus froide, malsaine, mystérieuse, et les titres, eux, semblent s'être rallongés. Les mauvaises langues parleront d'une évolution normale de clone de Nightwish à celui de Dream Theater. Pour en avoir le cœur net, sans plus attendre, la première piste s'ouvre.
Atmosphère qui se pose, froide et lente, une progression continue, pas de doute, à l'oreille le revirement est aussi notable, le côté épique d'un « Medea's Anger » semble avoir été placé de côté. Ici, c'est « Broken Icons » qui a la lourde tâche d'ouvrir le bal et de placer l'auditeur en confiance pendant 70 longues minutes. Et c'est chose réussie, le morceau gardant un certain dynamisme extrêmement bien venu et évitant le piège de l'ennui et de la répétition. Le refrain fait mouche, Jay, la jeune vocaliste, est en voix et son chant se fait moins lyrique, dans des tessitures plus rock, plus disposées à véhiculer de l'énergie. Les riffs sont puissants, le chant de Djang aussi, le bassiste répondant présent à l'appel apporte une touche d'agressivité à l'ensemble. D'ailleurs, malgré la présence de chœurs accompagnant les solos de guitare, il est difficile de qualifier la piste de se classer dans le registre symphonique, tendant beaucoup plus vers un metal progressif de grande qualité où la construction est cohérente et entraînante du début à la fin. Une bien belle mise en bouche, il faut l'avouer.
De l'énergie et de belles guitares, en veux-tu, en voilà ! « Wrong Reflection », titre le plus court de l'opus, est un parfait single. Direct, simple, efficace, accrocheur, la recette du tube en puissance est également maitrisée par la formation. Remarquons bien évidemment que sur ce laps de temps plutôt court, réduit à moins de 4 minutes, les lorrains n'en ont pas oubliés le côté technique et le jeu plutôt prog des instruments. La batterie diversifie son rythme et se permet quelques démonstrations efficaces et bienvenues, la dualité chant masculin/chant féminin s'intègre parfaitement et même si Géraldine prend la part du lion, un espace suffisant est réservé pour le chant hargneux du bassiste qui met moins de force, certes, mais apporte un soutien tout à fait efficace et appréciable à la frontwoman. De ce fait, le refrain est un piège délicat dans lequel on tombe avec un plaisir redoutable.
Seulement, comme chacun le sait, la perfection n'est (toujours) pas de ce monde et malheureusement pour le combo français, ils ne feront pas exception, du moins cette fois-ci, à la règle. A l'exercice du morceau plus mid-tempo, proche de la ballade, en possédant quelques unes de ses caractéristiques et incluant des éléments de rage, Benighted Soul n'arrive pas à captiver avec « Stranger Me » qui n'obtient pas l'effet escompté. L'un des pièges, tout bêtement, c'est celui d'avoir placé la barre trop haut avec d'autres pistes qui se sont révélées excellentes. Résultat, le morceau est vraiment à la traine et malgré toute ses qualités (instrumentalement et vocalement , une réussite), il en demeure une sensation de mollesse et un manque de point d'orgue pour parvenir à réellement éveiller l'attention.
Et il n'est pas le seul, le ventre mou s'amorce et continue durant les deux morceaux qui suivent, l'enthousiasme accumulé retombe peu à peu.
« The Seventh Cage » est une instrumentale tombant dans le cliché du prog, en donnant dans la démonstration et même si elle est très bien coordonnée et suivant un fil d'Ariane qui permet ainsi de ne pas de perdre dans les méandres du delta de la complexité, il manque sérieusement une touche de spontanéité et de souplesse, qui donnerait un côté plus humain, car tout sonne trop froid, mécanique et surtout prévisible, dommage.
Il en va de même avec « Evergreen », un morceau en lui-même fortement recommandé mais, placé dans la continuité des autres et malgré la fougue et le charisme du chant de Djang qui se révèle impressionnant, il manque ce moment où l'on est totalement submergé. Et pourtant ce n'est pas faute de posséder des guitares massives et solides, une batterie énervée, et un chant féminin apportant un contrepoids avec sa douceur et la beauté de son timbre. A écouter seul, donc, sans quoi, vous risqueriez de ne pas retenir une bribe de titre, qui manque d'un poil d'accroche.
Mais la formation ne renie pas entièrement sa racine metal symphonique que l'on retrouve sur « Falling in Sin », un morceau à la base tiré de la toute première demo du groupe : Enchantment. Les couplets sont plutôt lents, mettant en valeur le chant de Jay, avant de laisser apparaître une guitare un peu plus massive, sans trop l'être non plus, n'écrasant pas la mélodie. Sur le refrain, la jeune femme laisse place à ses envolées lyriques, lorsque le rythme ne s'accélère pas, faisant ainsi la preuve des grandes capacités qu'elle possède. Le reste de la pierre angulaire est beaucoup plus imposante, avec une accélération considérable, mais qui ne ressemble pas une seconde à du power metal. Le bassiste arrive avec sa furie pour créer une opposition avec le timbre de la chanteuse, le mélange est digéré avec brio et force est de constater que le refrain se démarque complètement du reste de la piste. Un véritable plaisir à l'oreille, duquel on a du mal à se détacher.
Le cahier des charges est respecté en ce qui concerne les morceaux particulièrement marquants, qui vous prendront aux tripes et ne décolleront pas de votre esprit avec quelques temps. « Start from Scratch », la piste éponyme, joue dans la cour des grands et prouve sa capacité à, malgré sa structure progressive, être un véritable détonateur qui est prêt à exploser dans votre esprit et répandre sa poudre de refrain tubesque. Tout comme le morceau est varié, Géraldine module son chant avec aisance et maîtrise et les 7 minutes passent très rapidement. Entre les passages plus calmes ou les incursions sont plus lyriques, les expérimentations vocales où la jeune femme semble comme possédée et transmet un côté malsain (en adéquation totale avec la pochette) et ses poussées rock, l'auditoire est rarement déçu par le charisme dont fait preuve la frontwoman, De plus, lorsque la voix masculine vient rejoindre la chanteuse lors de l'envolée, on se dit qu'on tient quelque chose de fort !
En parlant de passages déjantés et de perte d'esprit, « Edge of Insanity » correspond vraiment à cet esprit et là, les vocaux partent vraiment dans des directions inattendues sans jamais se perdre. La cohérence est toujours de mise, le refrain est prenant, et la mélodie vraiment basée sur l'ambiance, recréant cette folie. En revanche, on pourra regretter quelques légères longueurs, mais rien de bien grave, l'écoute n'étant en rien entachée par ce détail.
Atmosphère différente avec « My So Called Friend », morceau posé mais agréable, intimiste et laissant le plaisir intact malgré la baisse de force. Pas question de sombrer dans le larmoyant et le geignard, les riffs sont donc de la partie et détournent les notes d'un Evanescence. De plus, le chant est tout en émotion, ce qui apporte sensibilité et beauté au titre. Une belle réussite.
Mais se reposer sur ses lauriers ne sert à rien lorsque le niveau imposé doit être très bon si ce n'est la visée de l'excellence. « Ticking Time Bomb » ne conviendra pas à la seconde proposition mais s'accommodera avec joie de la première, proposant un morceau entre technicité et simplicité, entre metal prog difficile d'accès et aspect attractif, notamment sur le refrain, et ce sans jamais se retrouver le cul entre deux chaises, la synthèse sympho-prog ayant été digérée. Du coup des fluctuations régulières, dans la mélodie comme dans les lignes de chant, de la force qui côtoie des instants de douceur et de calme, le tout sur un support musical travaillé. Un titre qui semble véritablement ciselé pour faire un tabac sur scène, l'accélération soudaine qui survient 2 minutes avant la fin redonne cet élan de folie qui fait headbanguer.
Enfin, Benighted Soul a bel et bien compris qu'il n'y a rien de plus frustrant qu'un opus se terminant sur une ballade donnant la sensation d'inachevé. C'est pour cela que le puissant « No Warning Signs » vient s'imposer comme morceau de conclusion, et quel final en beauté ! Refrain où la jeune femme montre très haut dans la sphère des notes aigus, mais où la réussite est le maître mot ! Le titre est captivant, prenant, résolument prog, diablement captivant ! Tel le coton-tige qui débouche vos oreilles engluées de metal à chanteuse où le physique prime sur le talent, les lorrains enfoncent le clou à coup de riffs ! Et c'est fort bien joué.
Au niveau production, cette-dernière s'est transformée et nettement améliorée ! Maintenant, le son est limpide, clair et précis et ne laissant en marge aucun instrument, chacun ayant sa place définie dans le mix et donnant de ce fait une cohérence qui rivalise avec les plus grands. Avec un son aussi bon et aussi méticuleux, les résultats sont vraiment impeccables.
Comme toujours, le duo que constitue Djang/Jay forme une harmonie parfaite, entre la rage de l'un et la délicatesse de l'autre. Mais réduire Géraldine a un simple rôle de voix angélique contrebalançant le chant masculin serait une erreur, car la demoiselle développe sur cette galette des facettes de sa voix qu'elle n'avait alors pas encore laisser entrevoir, dévoilant son potentiel énorme et sa capacité à transmettre de l'émotion tout en jouant sans cesse sur la technique. Versatile, modulant ses manières de chanter, elle se révèle vraiment de haut niveau ! Et sur le plan de la justesse, rien à redire. Son timbre si particulier contribue également à l'identité de Benighted Soul. Djang utilise toujours ses interventions avec précision et intervient au bon endroit, au bon moment, apportant une touche de puissance conséquente !
Avec ce Start from Scratch, Benighted Soul signe un premier effort définitivement mature et bien structuré, et si l'on excepte les deux morceaux faibles, nul doute que vous trouverez votre compte tout au long de l'offrande. Une formation qui au bout de longs efforts a réussi à se forger une identité et une personnalité, et avec sa combinaison de metal progressif et de metal symphonique parvient à prendre le meilleur de chaque style pour le combiner tout au long de l'écoute. La suite est attendue avec impatience, mais nul doute que les nancéens sont vraiment l'un des groupes espoirs de la scène française !
Interview de Benighted Soul au Helle's on Stage 2010
Benighted Soul sur La Grosse Radio
Myspace de Benighted Soul