La terreur sous l’inquisition
Pour sûr, le dernier concert d’Inquisition avait fait grand bruit dans le microcosme metal parisien. Les avis étaient unanimes : le duo américain avait tout défait sur son passage. Ce concert complet ayant laissé un certain nombre de fans sur le carreau, il en appelait un autre, cette fois avec Archgoat, Ondskapt et Blackdeath. Inquisition, avec leurs invités, allaient-ils réussir à convaincre une fois de plus ?
Blackdeath
Blackdeath est une formation qui nous vient tout droit de la Mère Russie, et c’est assez rare pour être noté. Passée cette pointe d’exotisme slave, force est de constater que leur musique ne s’éloigne pas vraiment des sacro-saints canons du black metal. On peut noter des riffs agressifs agencés en boucle avec un caractère brut qui rappelle la première vague norvégienne.
Il ne faut pas être mauvaise langue non plus : Blackdeath distille tout de même quelques innovations dans leur set, notamment quelques pointes de mélodie plutôt bien amenées ça et là, et une cassure rythmique complètement contre-intuitive sur un autre morceau. Un effort à saluer dans un genre qui a souvent du mal à se renouveler sur le pur plan rythmique. En plus de cela, le son est vraiment bon pour un groupe d’ouverture.
L’autre surprise, c’est la présence de Maya à la batterie. En metal, on retrouve souvent les femmes au chant ou à la basse, mais les « batteuses » sont nettement plus minoritaires, et a fortiori dans le black metal. Sans faire de discrimination positive, il faut bien constater qu’elle a un jeu très puissant, et beaucoup plus varié que le batteur de black typique. On peut notamment noter un habile toucher de cymbales et plus particulièrement sur la ride. Ca y est, Blackdeath doit déjà céder sa place. Si musicalement, on aurait apprécié un peu plus d’audace, le tout était bien joué et sonnait juste. Idéal pour un début d’une soirée black.
Ondskapt
C’est sur une magnifique introduction de musique classique que démarre le concert d’Ondskapt. [NDLR : « créé par le malin » dans la langue de Molière] Je vous laisse deviner ce que c’est… Du black metal authentique bien sale, dans la droite lignée des grands classiques de la première vague norvégienne. Ca joue vite et fort, et le son est vraiment crade. Même si on peut respecter la démarche artistique nihiliste, cela n’aide pas à faciliter l’écoute, dommage.
Malgré ce surplus d’authenticité black metal, la performance des Suédois reste appréciable, avec des compositions corrosives et sans concessions. Ca tabasse fort, et c’est bien pour ça que c’est bon ! Pour mieux nous agresser, Ondskapt sait aussi mettre un coup de frein de temps en temps, avec quelques compositions mid-tempo plutôt bien arrangées.
Pour ce qui est du jeu de scène, force est de constater que le chanteur Acerbus ne manque pas de charisme, tout encapuchonné comme un Nazgûl. Pour le reste des musiciens, on reste proche des standards du black metal, classique mais efficace. On a tout de même droit à une petite surprise avec un morceau qui démarre en son clair, avant de progressivement monter en intensité avec un bon final. Il est appréciable de voir un peu de dynamique dans le black, plutôt que de voir un enchaînement sans fin de chansons rapides/mid-tempo, surtout quand c’est bien joué ! On leur pardonnera juste le solo complètement inutile et franchement pas terrible à la fin du dit morceau. Bref, avec Ondskapt, on aura eu droit à une interprétation puriste du black metal, qui reste plaisante en concert. La réponse serait peut être moins évidente sur album.
Archgoat
Même si Inquisition est la tête d’affiche de la soirée, on peut voir qu’Archgoat a aussi attiré un bon nombre d’adeptes, à en juger par les hurlements qu’on entend lorsque les Finlandais arrivent sur scène. Ils sortaient la veille leur nouvel album The Apocalyptic Triumphator sur Debemur Morti, leur présence était complètement justifiée ce soir !
L’enthousiasme est tel qu’Archgoat déclenche le premier pogo de la soirée. Avec ses gros riffs à la Behemoth, le combo fait des ravages dans la fosse, qui est bien excitée. A la voix, on trouve le bassiste/chanteur Lord Angelslayer, qui remporte la palme du chant le plus sale de la soirée, et la concurrence était rude ! Ses hurlements à mi-chemin entre voix black et death sont de circonstance.
Même si le groupe n’est qu’un trio, on entend qu’ils ont une certaine ambition avec leur musique, avec notamment des samples de clavier et de voix trafiquées qui viennent épicer leurs compositions de temps à autre. En tout cas, scéniquement comme musicalement, Archgoat tient très bien la route et parvient à broyer des cervicales tout le long de sa performance. Encore une fois, la communication avec le public est inexistante, pas un mot, rien. Eh oui, que voulez-vous ma bonne dame, ce n’est pas authentique parler à son public, même pour dire « merci ». Qu’importe, ça n’a aucun impact sur le concert, qui continue son bonhomme de chemin avec furie. On aurait aimé qu’ils restent plus longtemps avec nous, mais heureusement, il y a Inquisition pour combler ce manque affectif !
Inquisition
Les duos ne sont pas légion dans le metal, et a fortiori dans le black. On a donc une presque impression de vide envoyant la scène du Divan du Monde occupée par seulement deux musiciens. Ceci dit, la batterie d’Incubus est tellement imposante qu’elle compense une bonne partie de ce vide. Inquisition ne fait pas dans la dentelle, et d’entrée de jeu, la guerre est déclarée dans la salle. C’est brut, c’est puissant, et sacrément bien écrit. Comme quoi, il ne suffit pas de beaucoup pour faire du bon black : prenez un guitariste qui a un jeu de main droite irréprochable et un batteur qui sait faire du blast pendant une heure sans discontinuer, et sur le papier, vous avez votre groupe. Reste à écrire de bonnes chansons et sur ce point, il faut bien avouer que le duo sait comment ça doit être fait.
Si on fait le bilan de la soirée, Inquisition est peut être le groupe le plus accessible de la tournée, finalement. En effet, leur son est propre et maîtrisé (merci !), mais sans être aseptisé pour autant. Et c’est clairement le groupe qui injecte le plus de mélodie dans sa musique des quatre groupes présents ce soir. Entre deux riffs assassins, on retrouve donc des parties mélodiques à la Immortal période At The Heart of Winter, même s’il faut rappeler, au crédit des Américains, qu’ils avaient pris cette direction musicale avant la formation norvégienne. On laissera le lecteur se faire son propre avis sur qui a inspiré qui !
Petit point sur le public : ça hurle, ça fait des cornes, ça fait de l’air guitare, quoi de plus normal ? C’était sans compter les slammers. Que font-ils ici sérieusement ? Sommes-nous à un concert de hardcore ou de thrash ? Non ! Un peu de tenue serait plus appropriée, voilà comment passer pour des malotrus. D’ailleurs le crew d’Inquisition vire sans douceur les quelques spectateurs ayant atterri sur la scène, et on comprend leur réaction. Mention spéciale au type qui a cru malin de balancer son verre sur scène, alors que Dagon venait de remercier chaleureusement le public pour son enthousiasme. Heureusement, ce cher Dagon n’en a cure, et continue le concert avec furie, classe et maîtrise.
Visuellement, il faut bien admettre que c’est lui fait la majeure partie du boulot, avec un charisme presque intimidant et moult poses validées comme authentiques. C’est un peu moins vrai pour son comparse Incubus, qui assure bien le boulot derrière les fûts, mais avec un jeu qui n’est pas très beau à regarder. Avec un peu d’attention, on peut d’ailleurs remarquer qu’il sautille sur son siège, avec en plus un air légèrement crispé. [vidéo à l'appui] La fatigue, le stress, l’adrénaline ? Sans doute un peu des trois, mais le résultat est là : d’un point de vue visuel, on a vu mieux, et ça reste décisif dans un genre où l’image compte tant. Les stroboscopes ? En théorie, c’était une très bonne idée, surtout pour appuyer les passages ultrarapides d’Inquisition. Mais à la longue, ça devient un peu fatiguant, d’autant plus qu’avec la fumée, ils créent l’illusion que Dagon est seul sur scène.
Bref, à part ces légers désagréments, on a affaire à un groupe qui est franchement impressionnant sur scène, avec une puissance qui laisse pantois. La mise en place est impeccable, les compositions accrocheuses, et le tout avec une très bonne mise en son. Peut être un peu répétitif sur la fin, mais ne boudons pas notre plaisir : assurer plus d’une heure de concert à ce niveau, c’est suffisamment remarquable pour être salué ! On reprendra une tartine volontiers. Peut être au Fall of Summer 2015 ?
Reportage par Tfaaon
Photos : Arnaud Dionisio / © 2015 Deviantart
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