"L'exploration musicale est une exploration mentale"
Huit ans après son précédent album, Dødheimsgard revient avec A Umbra Omega. En cette occasion, Vicotnik, leader et fondateur du groupe, évoque le processus créatif de l'album, parle du concept des paroles et n'oublie pas de donner sa vision d'artiste concernant la perception de sa propre musique. Un artiste complet qui n'hésite pas à voyager entre l'explicite et le mystérieux, à l'image de son oeuvre.
Bonjour et merci de nous accorder cette interview. Maintenant qu'A Umbra Omega est fini, parle de nous de ton sentiment à son propos.
J'en suis très content. Du point de vue de l'artiste, ce que tu créés n'est jamais fini, seulement abandonné. J'ai abandonné l'album à un point où le résultat était voulu et où le rendu final a suivi cette direction.
Huit ans se sont écoulés depuis la sortie de Supervillain Outcast. Cette fois, aucun EP n'est sorti entre deux albums. Que s'est-il passé pendant ce laps de temps ?
Oui, huit ans ont passé. Ce n'était pas intentionnel, juste que de différentes circonstances ont provoqué cette pause. Nous avons fait des concerts de manière semi-régulière, donc le groupe n'a été totalement inactif entre 2008 et 2009. Dans cette période, je me suis quelque peu concentré sur Code et Naer Mataron, pour donner une véritable attention à ces groupes. De plus, j'ai souvent besoin d'une pause entre deux albums, afin de prendre le temps de réfléchir sur où aller et comment y arriver. Si les idées ne sont pas là, je ne me sens pas obligé de sortir de la musique. La différence entre deux produits n'a pas nécessairement besoin d'être grande, mais je veux vraiment éviter d'être répétitif. Le processus créatif est l'élément le plus important pour moi, donc répéter ses propres idées me semble être comme abandonner le processus créatif d'une certaine manière.
Aldrahn est de retour dans le groupe en tant que chanteur, qu'est-ce que ça fait et qu'a-t-il apporté à l'album ?
Il y a apporté sa voix, son engagement et son amitié. Je suis content qu'il soit de retour et aussi content d'avoir pu le ramener dans ce groupe dont il est le co-fondateur.
Les structures de vos morceaux sont assez inhabituelles, peux-tu nous parler du processus créatif, justement ?
Cette fois-ci, c'était plus le contenu conceptuel qui a décidé de la structure des chansons. Puisque les concepts derrière l'album touchent à l'aspect mental et sont assez abstraits, j'ai pensé que ce voyage introspectif sonnerait forcé s'il était retenu dans le carcan des couplets et des refrains. De fait, les structures des morceaux ont évolué en suivant le concept. J'ai écouté beaucoup de musique classique, pas pour reprendre spécialement les mélodies, mais plus pour m'inspirer de la méthode pour construire une musique non linéaire, tout en gardant le feeling de type chanson intact. C'est également intéressant de se donner des défis à relever sur notre manière de penser et notre manière de faire. En fait, une structure de chanson conventionnelle est vue comme naturelle parce qu'on nous apprend à les voir de cette manière, mais si tu essaie de les appréhender du point de vue de la musique en elle-même, rien n'est vraiment naturel ou non-naturel, ni bon ou mauvais. La manière dont les chansons sont perçues est aussi importante, puisqu'il y a une sorte de transformation opérée dans les paroles. D'une certaine manière, la musique reflète cela et vice-versa, dans le sens où les chansons sont elles-même des transformations.
Du coup, peux-tu, nous parler des thèmes des paroles ?
On peut les interpréter comme des paroles introspectives. C'est en quelque sorte la réalité qui n'est que mentale, pas matérielle. Il n'y a pas de chronologie dans la narration, pas de notion de temps et d'espace. On y retrouve l'introspection de quelqu'un qui opère une transformation, ainsi que ses pensées dans cette démarche. Les paroles parles de désespoir, de peur, d'auto-trahison, du fait d'être mourant, de la perception des ténèbres, d'analyse, de révolution et de transformation individuelles. Une autre idée dans les paroles est que c'était, à un certain degré, de la poésie confessionnelle, de la poésie faite art. De fait, les interpréter littéralement ne fonctionne pas, mais les émotions et les projections mentales qu'elles génèrent permettent de mieux les appréhender. Donc il y a un point où les paroles arrêtent de parler du narrateur et se penchent vers la réflexion du lecteur. Tout comme pour la musique, il faut juste s'abandonner à cette aventure. Alors, l'aventure appartient à l'auditeur.
A quoi le titre A Umbra Omega fait référence ?
Il évoque les ténèbres parfaites, quelque chose qui ne peut qu'en être. Si tu l'interprètes de manière créative, cela veut dire "Des Ténèbres parfaites". Il se trouve que l'album en provient. Il émane des ténèbres parfaites.
Tu as également produit l'album. Beaucoup de groupes préfèrent avoir recours à un point de vue extérieur pour cette tâche. Explique-nous ton choix.
Je pense que, vu que le contenu du disque est assez ambitieux, il aurait été difficile pour quelqu'un d'autre de le capter et de se le représenter complètement dans sa tête. Cela ne veut pas dire que je produirais moi-même tous les albums de Dødheimsgard à l'avenir, mais cette fois, c'était nécessaire. C'est également un album très personnel, donc le fait de le mettre entre les mains de celui qui en est à l'origine renforce cette proximité entre l'artiste et son œuvre.
Dødheimsgard est souvent affilié au black metal. Penses-tu que c'est pertinent pour qualifier la musique que vous faites maintenant ?
Je pense que c'est pertinent de percevoir ma musique sous cet angle, mais ce n'est pas important pour moi que quelqu'un d'autre pense la même chose. Le black metal est la musique dans laquelle j'ai pris mes racines, une force qui m'a animé à mes débuts. Néanmoins, tout ce marasme avec les genres découle plus ou moins de l'opinion pour moi, personne ne peut réellement établir de frontières pour un genre, ils ne peuvent qu'avoir une opinion sur ce qu'ils en pensent eux-mêmes. Pousser les limites de la perception du black metal est notre manière de d'offrir quelque chose à ce genre qui nous a tant donné. Si, sur le plan créatif, on s'arrête aux frontières du black metal, le genre n'est rien de plus que de la musique conformiste. Si la musique est exprimée à travers l'individualité, il lui faut une touche personnelle. Mais ce n'est que mon opinion.
De plus, on trouve plusieurs sensibilités musicales dans Dødheimsgard. Du coup, penses-tu qu'établir des frontières est pertinent ?
Non. Tous les genres ont une origine commune, ils proviennent de la même source. Je m'attarde plus sur les émotions que j'exprime à travers la musique. Certaines émotions sont plus parlantes à travers des grosses guitares et des blast beats alors que d'autres sont mieux exprimées si elles sont interprétées de manière différente. Je ne veux pas donner des limites à l'art, je veux le connaître sous tous les niveaux auxquels j'ai la possibilité d'accéder. Ainsi, je peux faire des expériences individuelles. Il faut garder à l'esprit que l'exploration musicale est aussi une exploration mentale. Du coup, en explorant différentes expessions musicales, tu apprends à mieux te connaître et tu évolues.