Rock Revelation Tour (Blues Pills, Truckfighters, Jex Thoth et Three Seasons) à  Saarbrücken (30.03.2015)

Organiser un plateau pour les amateurs de rock psychédélique? Quelle bonne idée! Le Rock Revelation Tour est ainsi l'occasion idéale de réunir trois pointures, à savoir Blues Pills, Jex Thoth et Truckfighters, ainsi qu'un combo à la réputation encore confidentielle, Three Seasons. C'est donc au Garage de Saarbrücken que La Grosse Radio s'est rendue pour assister à cet événement passant par l'Allemagne et la Suisse.

Rock Revelation Tour

THREE SEASONS

Les hostilités démarrent avec Three Seasons, qui est de loin la formation la moins connue de cette affiche. Les Suédois ont donc tout intérêt à marquer les esprits, surtout en tant qu'ouverture de trois groupes réputés. Et si le concert des Scandinaves est loin d'être la révélation de l'année, c'est un combo talentueux qui s'est présenté ce soir devant le public.

Il faut pourtant reconnaître que ça ne partait pas sous les meilleures auspices. Les deux premiers morceaux joués par le quatuor sont très loin d'être mauvais, mais peinent à créer l'enthousiasme. Officiant dans une vague rétro rock psychédélique influencée par les années 70, Three Seasons s'engouffre dans un terrain déjà surpeuplé et ne propose rien de bien original. Autant dire qu'en début de concert, il était simple de se faire une opinion sur le sujet et de classer les jeunes gens dans la catégorie « à oublier ». Et pourtant …

En guise de troisième piste, les Suédois se lanceront dans une instrumentale, « An Endless Delusion ». Et tout y est impeccable : la construction du morceau très cohérente, les atmosphères diversifiées, le jeu des musiciens tous très compétents, rien ne fait défaut. Le titre a beau être long, on ne s'ennuie pas une seconde, tant chaque minute est comblée à merveille. Les riffs sont efficaces et variés, permettant de mettre en lumière le talent du frontman Sartez Faraj, tandis qu'un clavier aux teintes occultes (qui évoquera fortement Blood Ceremony) vient apporter les touches nécessaires à l'immersion dans l'univers des Scandinaves.

Sartez Faraj n'est pas qu'un guitariste doué, il est aussi un excellent chanteur, ce qu'il démontrera pendant toute la demie-heure de set grâce à un chant parfaitement en place, capable aussi bien de chercher dans les aigus que de se montrer plus grave ou rocailleux. S'adaptant à merveille aux pistes, celui-ci se met en retrait au niveau de la communication pour laisser le jeune bassiste Olle Risberg échanger avec le public. Les deux derniers titres du set, issus des trois disques sortis par le combo, termineront d'enfoncer le clou et de prouver aux personnes présentes que ce quatuor en a sous le pied.

Une belle ouverture que propose Three Seasons. Le boulot est fait impeccablement et en dépit d'un début poussif, la suite n'a fait que de révéler un groupe de plus à l'aise, aux compositions bien rodées. A revoir sur une durée plus conséquente, à présent.

JEX THOTH

Une belle carrière derrière elle, considérée bien souvent comme l'une des instigatrices de la mouvance actuelle du « doom à chanteuse » et vue comme une véritable référence, la position de l'Américaine Jex Thoth en tant que première partie est surprenante, et largement contestable. Peu importe, il est temps pour la jeune femme de prendre place et de commencer son rituel. Une mise en scène étonnante pour un concert qui le sera tout autant.

Un set de Jex Thoth, c'est une véritable entrée dans un univers occulte dont la maîtresse de cérémonie a le secret. Lumières réduites, bougies disposées sur la scène et encens, l'atmosphère qui se dégage est bien particulière et ce n'est pas le jeu de scène de la chanteuse qui aidera à se sentir à l'aise. Littéralement possédée par la musique, se contorsionnant dans tous les sens, allumant des bâtons de bois, et brandissant une dague à plusieurs reprises, les moyens déployés par l'Américaine sont multiples. Son rapport avec la foule est d'ailleurs très paradoxal, tant elle semble jouer avec elle autant que l'ignorer. Pourtant, une réelle communion s'installe entre l'artiste et le public, qui sera mis à contribution plus d'une fois.

Jex Thoth

Tout ce décorum est-il là pour camoufler de quelconques faiblesses vocales? Absolument pas. La superbe voix de Jex est parfaitement restituée sur scène, notamment sur la douce ballade « Keep Your Weeds ». La jeune femme ne démérite pas un seul instant, capable d'allier un jeu de scène dynamique et un chant d'une justesse impeccable, commençant à émerveiller dès l'entrée en matière « To Bury », suivie de l'excellente « The Places You Walk ». La setlist est par ailleurs très axée sur Blood Moon Rise, les autres efforts de la prêtresse n'étant représentés que par « Kagemni » et « Warrior Woman ». Si les morceaux sont déjà envoûtants sur format physique, ils s'offrent une seconde naissance sur scène grâce à cette osmose entre les atmosphères développées et la mise en scène de Jex.

Jex Thoth

Pourtant, le doom de l'Américaine tranche radicalement avec la musique des autres formations présentes. Plus lent, plus sombre, plus mystique, le propos de Jex Thoth semble en complet décalage avec la suite de l'affiche. Une partie du public se retrouvera quelque peu médusée, ne s'attendant sûrement pas à un tel show. Tous les regards se braquent sur la chanteuse, et c'est peut-être le seul petit défaut qu'il est possible de noter : la jeune femme attire l’œil, au point de littéralement vampiriser l'attention et faire totalement oublier la présence des autres musiciens, qui sont bien loin de démériter. Ceux-ci en sont conscients et, contrairement à la jeune femme, restent dans une posture très sobre. A l'inverse, Jex est intenable : sautant dans le public durant « The Divide » (à la surprise de la sécurité semblerait-il), marchant avec une dague enflammée parmi la foule pendant la superbe conclusion « Ehjä », ses mouvements sont imprévisibles.

Jex Thoth

A peine quarante minutes et huit titres, c'est tout ce qu'il faudra à Jex Thoth pour se mettre le public en poche. Talentueuse et charismatique, la frontwoman aura délivré une performance digne de ce nom, et, brisons d'emblée le suspens, de très loin la meilleure de cette soirée.

TRUCKFIGHTERS

Difficile donc de passer après un tel phénomène. Cela ne semble pas embêter Truckfighters, formation stoner suédoise pour laquelle une grande partie de l'auditoire s'est déplacée. Les casquettes et t-shirts à l'effigie du groupe sont présents en masse, ce qui laisse augurer du bon pour le concert à venir. Mauvaise pioche.

Sur un plan purement musical, Truckfighters n'est pas mauvais, loin de là. Au contraire. Les compositions du combo sont énergiques et puissantes, ce qui offre une véritable dynamique durant la totalité du set. On pourra regretter un ensemble parfois linéaire, mais l'efficacité n'est jamais mise de côté et, qui plus est, l'attitude des Scandinaves est à l'avenant, tant les jeunes gens semblent s'amuser et faire de la scène un véritable terrain de jeu. Le frontman Ozo communique, présente les membres et les morceaux, pendant que le guitariste Dango est littéralement surexcité et saute partout durant tout le set, avec une énergie inépuisable! Là, comme ça, tout semble impeccable, mais il reste un détail qui entachera toute la performance du groupe…

…Le chant. Si Ozo est un bassiste compétent, sa voix souffre d'un souci de justesse très handicapant. C'est bien simple, les rares notes correctement interprétées seront une véritable bouffée d'air frais. La puissance déployée par le groupe aide à compenser ce défaut mais ne parvient jamais réellement à le masquer, tant celui-ci en devient imposant. Du coup, difficile de pleinement adhérer à la prestation des Suédois. Le frontman agace, et se révélera de plus en plus pénible au fur et à mesure du concert. Mention spéciale aux aigus, totalement à la peine mais dans lesquels Ozo s'aventurera à de nombreuses reprises.

Truckfighters

Et c'est bien dommage, car les qualités ne manquent pas. Les lignes mélodiques sont intéressantes, les titres issus de l'album Universe sorti l'an dernier passent bien le cap scénique, et l'enthousiasme du trio est palpable. Le cœur est mis à l'ouvrage, mais les soucis techniques prennent le dessus et laissent un goût amer. Une partie de la foule réagit positivement aux appels de Truckfighters, pendant que les autres quitteront la salle rapidement, ou supporteront péniblement le concert en attendant la venue de Blues Pills. En tout cas, si les Suédois marquent les esprits, ce ne sera malheureusement pas par la bonne tenue de la prestation. Dommage…

BLUES PILLS

Échapper au phénomène Blues Pills? Mission impossible, tant le quatuor est partout. Les (très) jeunes musiciens ont grimpé les échelons à une vitesse phénoménale, propulsant les Suédois / Américains / Français au rang de tête d'affiche en seulement un album. Une position contestable compte tenue de l'ancienneté de Truckfighters ou Jex Thoth mais le public s'étant déplacé en grande partie pour eux, cette place se comprend mieux ainsi.

Qui dit position la plus haute, dit concert le plus long, et les Suédois vont ainsi devoir interpréter un show d'une heure. Problème : leur setlist n'est pas assez conséquente pour ça. Alors comment faire? Très simple, casez des interludes instrumentales au milieu des titres. Interludes qui se révéleront par ailleurs rapidement inutiles, et même pénibles. Le côté très (trop) démonstratif l'emporte souvent et laisse dubitatif. Blues Pills ne manque pas de talent, loin s'en faut. Mais la pertinence de ces rajouts est discutable. Et ce sera bien loin d'être le seul défaut du concert.

Blues Pills

L'autre problème majeur n'est pas inhérent au groupe, qui semble faire de son mieux, mais bien au son. Basse et batterie seront tellement en avant qu'elles écraseront littéralement le chant et, surtout, la guitare proprement inaudible. Impossible de profiter des performances de Dorian Sorriaux, très appliqué sur son instrument et offrant de nombreux solos soignés. La dynamique du concert s'en retrouve également fortement diminuée. Les morceaux paraissent moins puissants, moins percutants et la prestation nettement inférieure à ce que les Suédois sont capables de fournir dans leurs meilleurs jours.

Blues Pills

Tout est pourtant là pour convaincre : une Elin Larsson bien en voix, chantant toujours avec autant d'investissement et évoquant de plus en plus une nouvelle Janis Joplin, des classiques qui ne sont pas oubliés, allant de la superbe « Little Sun » jusqu'au titre culte « Devil Man » et son introduction a capella, en passant par l'entraînante « Ain't No Change »… mais il manque quelque chose. Une spontanéité, un renouvellement, un grain de folie. Blues Pills, au fur et à mesure des concerts, ressemble de plus en plus à une machine bien huilée, gagnant en prestance et en technique ce qu'elle perd en âme et en fraîcheur.

Blues Pills

C'est donc une semi-déception que ce concert des Blues Pills. Le combo joue (toujours) bien, et Elin continue d'impressionner par ses capacités vocales qui forcent le respect. Malheureusement, le propos commence à se répéter et à lasser, d'autant plus que la touchante naïveté d'antan n'est plus. L'expérience est là, ainsi que la maturité, mais on se serait bien passé d'un aspect mécanique qui laisse une sensation amère en bouche.

Cette tournée portera finalement plutôt bien son nom, en révélant le talent de Three Seasons. Mais la grande gagnante de ce plateau, c'est Jex Thoth, qui aura délivré un set bien plus convaincant que les deux groupes suivants. Ce sera donc une sensation mitigée qui l'emportera : un début excellent, qui peinera à se retrouver par la suite. La prochaine fois, peut-être serait-il plus sage de proposer un running-order plus cohérent. Les événements et sentiments auraient sûrement été différents.

Photos : ©2015 Jay Jay's Art / Jay Jay's Art
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