A l'occasion de la sortie de A Spark in the Aether, le nouvel album des Anglais de The Tangent, la Grosse Radio s'est entretenue avec le leader du groupe, Andy Tillison, pour une interview en toute simplicité, oscillant entre le français (qu'il maîtrise à la perfection) et l'anglais. Nous avons souhaité savoir comment une étincelle (A Spark) peut produire des compositions telles que celles présentes sur le nouvel album et avons interrogé Andy sur ses influences, sa vision de l'avenir des musiques progressives et sur ses projets futurs. Entretien avec un passionné de Musique avec un grand M.
Bonjour Andy, merci de nous accorder cette interview ! The Tangent sort son nouvel album studio album le mois prochain, intitulé A Spark in the Aether the Music that Died alone vol. 2. Est-ce une façon de revenir aux sources ?
Absolument ! (NDLR ; en français dans le texte) C’est tout à fait le cas, car quand j’ai enregistré cet album A Spark in the Aether (the music that died alone vol. 2), j’ai réalisé qu’il y avait des similitudes avec notre tout premier album. C’est quelque chose que nous avons gardé à l’esprit et dont le groupe était pleinement conscient. On retrouve en effet dans les paroles un concept similaire car je parle du rock progressif lui-même. Je crois d’ailleurs que The Tangent a été le premier groupe à aborder ce sujet. Beaucoup de groupes de rock, de country, de funk ou de disco ont bien sûr parlé de leur musique, mais pas dans le rock progressif. Le premier album avait une chanson qui parlait du rock progressif mais dans le nouvel album, deux chansons traitent véritablement de ce sujet. C’est pourquoi nous avons souhaité garder le même titre.
Justement, c’est ton huitième album studio en douze ans, tu es très productif. Quel est donc ton secret ?
Le secret ? (rires). Je crois que j'essaie de l'expliquer dans le titre de l'album... Car quand je compose une chanson, je suis incapable de me souvenir comment j’ai pu l’écrire ou comment j'ai pu trouver l’inspiration…
Cela fait comme une étincelle ? (NDLR ; « a spark »)
Oui absolument ! «...In the Aether ». L’éther, c’est un espace non tangible qui nous englobe, et les Grecs anciens s’interrogeaient déjà sur sa nature. Pour moi, l'éther c'est un espace invisible qui nous entoure et dans lequel on peut trouver l'inspiration. C’est un peu comme la Force dans Star Wars !!!
Comme tu l’as mentionné, The Music that died alone parlait du rock progressif, mais aussi de sa disparition. Est-ce que tu as toujours peur que ce style de musique disparaisse ?
Non, et c'est pour ça aussi que l'on revient aux racines. Depuis que le premier album est sorti, il y a eu tellement de nouveaux groupes qui sont apparus sur la scène progressive... Ils ne sont pas tous bons, mais certains sont excellents. Et grâce au succès de quelques uns, et à l'essor d'internet (qui a facilité la communication entre les gens et la diffusion de cette musique), le rock progressif a vu naître un nombre impressionnant de groupes... il faut ensuite faire le tri. Mais en fin de compte, ce qu'il faut retenir, c'est qu'il y a beaucoup de gens qui font de la très bonne musique. La question qui se pose alors est celle-ci : y a-t-il suffisamment de personnes désireuses d'écouter ce style ?
Car les groupes de rock progressif doivent se partager un petit public, et c'est pourquoi The Tangent essaie toujours de se maintenir à niveau et de produire de la musique de qualité, histoire de garder sa place... ce qui est très difficile à faire de nos jours !
Concernant l'album, je fais peut-être fausse route mais j'ai l'impression que « Celluloid Road » est une critique de l'Amérique et de la société de consommation, dissimulée derrière des anecdotes sur le groupe en tournée. Peux-tu nous en dire plus ?
En fait, je ne pense pas que ce morceau soit réellement une critique. C'est plutôt une chanson sur l'idée que l'on se fait de l'Amérique. Bien sûr, politiquement, il y a des choses avec lesquelles je suis en désaccord, comme pour la politique de beaucoup d'autres pays, notamment celui dans lequel je vis ! (rires). Et puis j'ai vécu en France, donc je vois aussi à quoi cela ressemble vu d'ici.
"Celluloid road" parle plutôt de la relation des Américains à leurs médias, à la télévision et aux films. La première phrase de la chanson c'est « I watch out every night » (NDLR ; je regarde la télévision tous les soirs) car c'était en grande partie vrai pour moi (pas entièrement heureusement), notamment quand j'ai commencé à regarder Breaking Bad. J'ai adoré, et je regardais assidûment, puis enchaînait sur le programme suivant, que ce soit un polar, un western, un road movie (comme Thelma et Louise ou Easy Rider), ou que sais-je...
Et j'ai réalisé que toute personne disposant d'une télévision dans le monde connaît l'Amérique plus qu'il ne le devrait ! (rires). Par exemple, si je te dis « Pense à l'Arizona », tu peux immédiatement te représenter le paysage... Je vois sur ton visage que tu y arrives tout de suite ! (rires)
Oui, même si je n'y suis jamais allé !
Oui justement, c'est le point ! Tu n'es jamais allé en Arizona et moi non plus ! Dans ma vie, je n'ai mis les pieds aux Etats-Unis que durant 21 jours, mais je sais à quoi ressemble le désert d'Arizona, le Mont Rushmore, les Rocheuses, le désert du Nevada, les parcs de Yosemite et de Yellowstone, Chicago, New York... Quelque part, je connais ! (rires). Mais si je te parlais du cosmodrome de Baïkonour au Kazakhstan, tu ne verrais sûrement pas de quoi je parle. Les Américains nous ont donc tellement donné la possibilité de connaître leur pays et leur mode de vie que l'on peut finalement voyager de la côte ouest à la côte est rien que par son imagination. Et c'était le point de départ de la chanson : je me suis dit, allons aux Etats-Unis ! Prenons cette grosse route, puis cette petite, puis l'autoroute, marchons, perdons-nous, voyageons de jour, de nuit... et finalement, on peut se demander si l'on a bien saisi ce pays lorsque nous l'avons imaginé. Je pense que ça a marché. De temps en temps, je me demande pourquoi j'ai écris telle ou telle chanson. Mais celle-ci, c'était une bonne idée ! (rires).
Les influences de The Tangent semblent multiples, que ce soit du jazz ou du funk, ou encore du rock progressif comme King Crimson. Peux-tu nous expliquer la façon dont tu compose ?
Hé bien, j'écoute beaucoup de musique... Tu sais, beaucoup de gens disent que le premier groupe de rock progressif était Yes, en 1969. Et bien dans les années soixante, Yes ne pouvait pas écouter de rock progressif puisqu'ils en étaient les précurseurs, avec King Crimson. Alors ils écoutaient de la musique et regardaient la télévision de leur époque, et ils étaient influencés par ça, que ce soit les Beatles ou le monde du Jazz. Bill Bruford (NDLR ; batteur de Yes puis plus tard de King Crimson) écoutait du Jazz puis il a entendu la musique de King Crimson, et a décidé de mélanger le tout pour aller dans une autre direction. Et bien pour The Tangent, c'est pareil : on sait que l'on veut être un groupe de rock progressif, mais il faut aller chercher des choses dans le jazz, dans le funk, dans le metal, dans le dubstep, dans la house... Il y a des sources d'inspirations un peu partout et il faut aller les puiser pour construire quelque chose de solide. C'est aussi pour ça que nous ne ressemblons pas à Jethro Tull, Yes ou Pink Floyd. Si l'on voulait être plus connu, ou gagner plus d'argent, on pourrait avoir un chanteur super cool comme Yeeessss (NDLR ; il imite une voie très aigüe) ou on pourrait embaucher une jolie femme sur scène pour attirer du monde...
Bien sûr, si l'on avait essayé de sonner comme Genesis, on aurait sûrement vendu plus de disques. Mais on voulait justement s'en détacher, alors on s'est débarassé des instruments acoustiques et on a essayé de s'inspirer plus de Crimson, Yes, Van der Graaf Generator ou encore de Magma, qui faisait du jazz fusion. Et puis nous nous sommes également inspiré d'Earth Wind and Fire et de Tower of Power. J'ai toujours pensé que le rock progressif et le funk étaient très proches. Par exemple, si tu compare Yes et Earth Wind and Fire à la même époque, ils avaient tout deux des mises en scène impressionnantes ainsi qu'une musique symphonique. Tout est une question d'influences.
L'extrait “San Francisco” issu du morceau “Celluloid Road” sortira en version radio edit. Est-ce une façon de faire écouter du prog aux gens sans qu'ils ne s'en aperçoivent ?
(rires) Oui, pourquoi pas ! Justement, c'est une chanson qui pourrait se trouver sur un album d'Earth Wind and Fire ou de Tower of Power. Peut-être que cela va donner envie à certaines personnes de danser, mais cela reste joué par un groupe de rock progressif. Notre label InsideOut a beaucoup aimé ce morceau et nous a demandé d'en fournir un sample qu'il pourrait transmettre aux radios. Du coup, on a fait une version raccourcie de “Celluloid Road” et on a également réalisé une vidéo qui devrait sortir bientôt.
Et concernant le morceau “A spark in the Aether”, pourquoi as-tu décidé de le diviser en deux parties ?
Parce qu'à l'origine, il s'agissait d'un morceau unique, très long ! Puis je me suis dit que ce serait mieux si l'on coupait à un moment, pour placer la suite à la fin de l'album. En effet, quand on a réécouté ce que l'on avait enregistré, on a jugé que c'était plus adéquat de le diviser. Puis il a fallu ordonner les chansons... c'était la partie la plus difficile ! (rires). Mais j'aime la façon dont le morceau ouvre et ferme l'album.
Malheureusement, The Tangent reste un groupe progressif underground, malgré un public très fidèle. Regrettes-tu parfois que le groupe ne soit pas aussi célèbre qu'il devrait l'être ?
Oui, bien sûr. C'est triste en quelque sorte, mais en même temps, j'ai l'impression d'avoir tout de même réussi. C'est un peu bizarre ! Et puis, nous vendons bien nos albums, même si nous pourrions en vendre encore plus en faisant des concerts. Mais en réalité, nous ne travaillons pas beaucoup sur des projets de tournées. Si tu veux être un artiste et faire de la scène, il faut travailler tellement dur... Regarde Steven Wilson, il lui a fallu vingt ans pour arriver là où il en est et pouvoir faire une tournée internationale. Mais cela dépend des gens et des groupes. Quelqu'un comme Rory Gallagher, par exemple, avait un monde fou à ses concerts mais personne ne voulait acheter ses disques, les gens préfèraient le voir en live !
Peut-être que les nombreux changements de line-up dans notre groupe ont un peu destabilisé les gens et qu'ils se demandent maintenant qui est réellement The Tangent... Mais je pense qu'en ce moment, les gens sont plus intéressés par les disques... Même InsideOut, qui est un des plus gros label de rock progressif, a signé avec The Tangent trois fois ! Une fois pour les trois premiers albums, une seconde fois pour les trois suivants et une dernière fois pour les deux derniers albums. Et ils ne l'ont pas fait juste parce qu'ils aimaient ma coupe de cheveux ! (rires). Mais parce qu'ils ont confiance en cette musique. Bien sûr, aucun de nous ne sera jamais aussi célèbre que les pionniers du genre et les grandes rock star seront des légendes pour nos petits enfants. Autres moeurs, autre temps. Finalement, aujourd'hui, nous revenons à une base humble : nous jouons au coin de la rue, cette grande rue qu'est internet, et des gens nous jettent quelques pièces ! (rires).
Tu parlais de Steven Wilson... Je sais que Theo (NDLR ; Travis) travaille également avec lui, et que Jonas (NDLR ; Rengold) travaille avec les Flower Kings. Est-ce difficile d'organiser les enregistrements avec ces emplois du temps chargés ?
Oui, c'est difficile, mais comme nous nous entendons très bien, je leur fais savoir à l'avance les dates auxquelles je pense pouvoir enregistrer et l'on arrive toujours à trouver un moment ! Ce n'est finalement pas si problématique que ça.
Et sinon, y a-t-il des groupes qui t'ont plu ces derniers temps et avec qui tu aimerais tourner ?
Oui, bien sûr, il y a plein de groupes, notamment progressifs, qui me plaisent ! Même les vieux groupes me plaisent toujours... je trouve que ce qu'a fait Yes dans les années 70 était incroyable, de même pour Van der Graaf Generator : ce groupe est génial. De même, le clavieriste Dave Stewart, qui a joué dans des groupes comme National Health, Hatfield and the North, Egg et Khan, m'impressionera toujours. De nos jours, il y a aussi plein de groupes récents géniaux, comme Magenta, Big Big Train (pour qui j'ai un peu travaillé) ou encore Sky Architect, un groupe hollandais. Il y en a tellement !
Et maintenant, quels sont tes plans ? Repartirez-vous en tournée ? Car je sais que tu as également un album solo en préparation...
Nous avons en effet l'intention de faire une tournée, soit en fin d'année, soit en début d'année prochaine. Cela dépends du temps que cela nous prendra de réunir tout le monde et de convenir des dates de concert ! J'ai vraiment envie de réunir le même line-up que pour la dernière tournée, on verra si cela est possible. Et tu as raison, je vais travailler sur le second album de Multiplex...
Et puis tu prendras sûrement quelques vacances !
Tout à fait ! J'ai prévu de partir en vacances en Ecosse...mais après... peut-être un nouvel album de The Tangent ? (rires)
Merci beaucoup Andy pour cet interview, j'espère que l'on aura la chance de voir The Tangent en tournée en France ! Un dernier mot pour la fin ?
(NDLR ; En français dans le texte) Naturellement ! Je suis ravi qu'il y ait autant de fans de rock progressif en France et j'espère continuer à leur faire partager notre musique progressive encore longtemps !
Entretien réalisé le 20/03/2015 par Skype
Merci à Valérie de Century Media
Merci à Céline pour la retranscription