La patience. Une qualité qui se révèle parfois nécessaire en musique. Certaines œuvres difficiles d'accès demandent un effort considérable et une véritable persévérance. En saisir la substantifique moelle devient alors une récompense exaltante. Dans le metal, de tels albums existent et requièrent bien des écoutes avant d'en comprendre la portée. C'est à ce petit jeu que se livre Agrypnie depuis le début de sa carrière. Cette formation d'outre-Rhin va toujours plus loin dans ce procédé, poussant l'auditeur dans ses derniers retranchements. En particulier sur l'opus considéré aujourd'hui comme emblématique du combo : 16[485].
D'entrée de jeu, il est difficile d'adhérer pleinement à la démarche des Allemands. Le post-black du groupe est poreux, sombre, et s'étend sur 73 minutes qu'il est difficile d'écouter d'une traite les premières fois. La traversée est longue, éprouvante mais jamais ne s'avère pénible. Bien au contraire. Au fur et à mesure, on y découvre une ambiance captivante. Un riff mémorable. Une mélodie prenante, qui s'immisce à l'insu de l'auditeur dans l'esprit. Tout cela pour avoir envie d'apprivoiser la bête, de la dompter et de parvenir à bout de ce redoutable exercice. En l'espace de dix morceaux, Agrypnie réunit le calme et la tempête, le jour et la nuit, dans un ensemble torturé et songeur à la fois. 16[485], c'est cette somme de sentiments contradictoires qui se confrontent et rendent l'appréciation complexe. On se perd, pour mieux contempler l'infinie tristesse se dégageant de l’œuvre.
Agrypnie n'est jamais linéaire, mais reste cohérent jusqu'au bout. Les compositions viennent emprunter à diverses sources d'inspirations les nombreuses qualités qui les façonnent, chez Nocte Obducta en premier lieu, ou encore vers Katatonia époque Brave Murder Day (le lead de « Morgen » ne trompe pas). Pour autant, les Allemands ont su trouver leur son. Une signature qui leur est propre. Cette empreinte est due en grande partie au chant torturé et âpre de Torsten, qui tend à s'éloigner des standards du genre. Un timbre rocailleux qui sied à merveille au propos de la formation, mais demande lui aussi un certain temps d'adaptation. Sa prestation fait des merveilles, et transcende des titres du calibre de « Schlaf » ou « Morgen », tant l'implication du frontman est palpable. Bien que le frontman soit partie intégrante des composantes de la réussite de 16[485], les dames à cordes ne sont jamais en reste. Cette science du riff qui fait mouche est développée du début à la fin par Agrypnie qui ne faiblit jamais dans la qualité du jeu de guitare. Celles-ci ont un rôle primordial dans la construction des ambiances, en délivrant des mélodies soignées et envoûtantes. Quelques excellents solos viennent se greffer, comme sur « Schlaf ». Cet instrument serait presque la véritable vedette de l'ensemble mais c'est bien la force collective du groupe qui permet de hisser l'album vers des sommets.
Les pistes, incroyablement denses et massives, ne faiblissent jamais. Ou presque. L'intensité est maintenue d'un bout à l'autre et cette constance est l'un des secrets du combo. Là où nombre s'épuisent en cours de route, les Allemands se payent le luxe de continuer à broder sans perdre en inspiration. C'est ainsi que le groupe montre plusieurs visages. Mélancolique comme sur « Kadavergehorsam », véloce avec « Der Tote Trakt » qui tempère sa propre furie avec des breaks intrigants, ou carrément direct sur « Zorn », chaque aspect est maîtrisé, sans être froid. Agrypnie a des facultés d'écriture mais ne sonne ni clinique, ni trop calculé. C'est ce naturel déconcertant qui donne une saveur particulière à 16[485].
De la persévérance et de la concentration, voilà ce qu'il faut pour entrer dans l'univers du groupe. Les Allemands ont travaillé dur pour arriver à un tel résultat. Mais rarement un album du genre ne se sera montré aussi captivant. Ce qu'Agrypnie propose, c'est une introspection. Défier sa propre résistance à une succession de pièces plus riches et denses les unes que les autres. Le jeu en vaut pourtant la chandelle.