Christofer Johnsson, leader de Luciferian Light Orchestra et Therion

"Mon esprit créatif a sa propre volonté"
 

Le lancement d'un nouveau projet est une étape cruciale. Avant la sortie du premier album de Luciferian Light Orchestra, Christofer Johnsson, leader de Therion et initiateur de ce projet rock occulte 70's, a accordé un entretien à La Grosse Radio pour évoquer la génèse de ce groupe, les motifs de sa création ainsi que le détail des inspirations. Il en a aussi profité pour parler de l'état actuel de Therion.

Bonjour Christofer et merci de nous accorder cette interview. Avant de faire de Luciferian Light Orchestra un projet indépendant, avais-tu pensé à le sortir sous l'étiquette Therion ?

Il se trouve que j'ai un groupe-test, composé d'amis et de fans du groupe qui sont toujours 100 % honnêtes avec moi. Parfois, les gens veulent juste être gentils avec toi et ne pas transmettre d'opinion négative. Sur internet, c'est l'opposé ! Du coup, les membres de mon groupe-test m'ont dit "C'est un nouvel album de Therion, qu'est-ce qui t'arrive ?" [rires] Je n'aurais pas pu le sortir sous le nom de Therion, tout d'abord parce qu'il n'y a rien du tout d'opératique dans Luciferian Light Orchestra. On aurait très bien pu dire qu'on change de direction artistique, mais je pense pas que c'est la direction à prendre, j'ai toujours plein d'éléments symphoniques en moi à insuffler dans la musique de Therion.

Ces chansons étaient-elles destinées à Therion à la base ?

Les chansons de Luciferian Light Orchestra sont des chutes des anciens albums de Therion. Elles peuvent remonter jusqu'à 1995. Ce ne sont pas des chutes dans le sens où elles ne sont pas assez bonnes, mais parce qu'elles étaient trop différentes. Certaines ont une histoire spéciale, notamment "Venus in Flames" [rires], mais c'est encore trop tôt pour la révéler. Il y a aussi "Moloch", qui avait été écrite pour le dernier album en date du groupe de black metal suédois Ofermod, mais elle ne s'est finalement pas retrouvée dessus, peut-être parce qu'elle était trop étrange. Cette chanson a été enregistrée dans l'état d'esprit d'une cérémonie, c'est la première fois que je fais ça. J'ai mis un clic, puis écrit et enregistré la guitare en même temps. J'ai ajouté les parties de basse et de batterie ensuite. Au fil des années, j'ai écrit des chansons que je trouvais trop vintage pour Therion et je les ai incluses dans ce disque. Certaines sont à la limite, comme "Venus in Flames", j'aurais vraiment pu la réarranger pour Therion, mais j'aurais dû retirer certains éléments, comme ce riff inspiré de Jimi Hendrix au début. C'est aussi le cas d'"Eater of Souls". Mais je pense que c'est plus ma manière de composer qu'on entend. Je laisse toujours ma patte dans les chansons, du coup, qui n'est pas forcément un riff ou une mélodie, mais plus une atmosphère. Du coup, quand les gens pensent entendre du Therion, ils se renvoient juste aux chansons que j'ai composées dans Therion. Les chansons ne sonnent d'ailleurs pas comme celles des autres membres. Et certaines chansons n'ont rien à voir avec Therion, comme "A Black Mass in Paris".

Christofer Johnson

D'ailleurs, dans Therion, tu laissais les autres membres composer, est-ce que ça a été le cas ici ?

J'ai composé toute la musique. Comme je disais, cela ne correspondait pas au Therion de l'époque, mais ça aurait pu être le Therion d'aujourd'hui. En 1995, j'ai failli mettre fin à Therion pour mettre en place un projet de rock occulte inspiré des années 70, qui aurait eu pour nom Theli. J'avais commencé à répéter avec Tommy Ericksson, qui a longtemps collaboré avec Therion, en jouant de la batterie et de la guitare sur beaucoup de tournées et m'a donné un coup de main pour les parties de guitare de Vovin. Mais finalement, Nuclear Blast m'a laissé assez d'argent pour financer ce projet de metal symphonique, du coup, j'ai stoppé Theli, mais j'ai quand même donné ce nom à l'album que j'ai sorti avec Therion. De nos répétitions avec Tommy Ericksson sont sorties deux chansons : "Cults of the Shadow", que j'ai réarrangée pour coller à l'album Theli, bien qu'on y entende toujours les influences 70's. Parmi les autres chansons qu'on avait répétées, il y en a une dont je me souviens encore après 20 ans : "Where the Lilies Grow". Pour que je m'en souvienne après autant de temps, elle doit être sacrément puissante ! Je l'ai enregistrée pour Luciferian Light Orchestra, mais je n'étais pas satisfait du résultat. Si j'attends 20 ans pour enregistrer une chanson, il faut que ce soit parfait.

Et qu'en est-il d'"A Black Mass in Paris" ?

Quand on a décidé de la teneur des paroles avec Thomas Karlsson [aussi parolier de Therion], nous voulions rendre hommage au groupe Black Widow, avec ce folklore sataniste hollywoodien, pas très sérieux en somme. A cette époque, certains groupes avaient des paroles intellectuelles, mais d'autres mettaient des textes de type "Hail Satan" sans leur donner un sens particulier. Du coup, on s'est dit qu'on pouvait combiner tout cela pour avoir un résultat satisfaisant, en donnant une atmosphère de film occulte des années 60/70 comme Rosemary's Baby (Roman Polansky) et y mettant des références intellectuelles qui ne sont pas évidentes pour la plupart des gens, comme le personnage français l'Abbé Boullan dont on parle dans "Church of Carmel". Nous voulions explorer l'occultisme français, notamment les activités s'y référant le siècle dernier. On n'est pas sûrs si c'était juste des parties fines ou s'il y avait une réelle intention spirituelle, mais il y avait un noble suédois qui a passé un certain temps à Paris, où il avait des activités de la sorte. C'était intéressant de faire des recherches dessus.

Tu as déclaré que tu ne tournerais pas avec Luciferian Light Orchestra. Pourquoi ?

C'est aussi une des raisons pour lesquelles j'ai décidé de ne pas en faire un album de Therion. Chaque fois qu'on sort un album, il y a 5 millions d'interviews à faire, il faut préparer l'équipement scénique, mettre en place une tournée mondiale… J'adore ça, mais ça prend beaucoup de temps. J'écris toujours plus de musique que je n'ai de temps pour la promouvoir. Je pourrais facilement sortir un album tous les ans, mais le reste prend trop de temps. J'ai trois entreprises qui prennent en charge Therion, du coup, c'est aussi beaucoup de procédures administratives à chaque fois. Du coup, j'ai trouvé intéressant d'envoyer d'autres personnes faire les tournées. Pour l'instant, je dois m'occuper des interviews, mais quand les musiciens auront passé plus de temps sur scène, ils pourront s'occuper des interviews.

Luciferian Light Orchestra

Tu as choisi de ne pas révéler l'identité des musiciens qui ont participé à l'enregistrement de l'album, pourquoi ?

Parce que ça n'a pas d'importance. Avec Therion, on a prouvé que, si tu fais une bonne compo, la personne qui la chante importe un peu, certes, mais ce n'est pas primordial. Souvent, on s'oriente vers le chanteur. Quand un groupe populaire en change, c'est souvent comme une catastrophe. Cela n'a pas marché pour Judas Priest, Iron Maiden ou Accept quand ils l'ont fait dans les années 80 [David Reece avait remplacé Udo Dirskschneider en 1989]. Avec Therion, on a souvent travaillé avec des chanteurs inconnus. Bien sûr, les fans s'y habituent, donc, quand on change, ils se plaignent, mais ils s'habituent au suivant. Quand Mats Levén a été intégré au groupe, plein de gens ont pensé qu'il était trop rock n'roll et quand il est parti, les gens se sont plaints [rires] ! Nous avons toujours fonctionné comme ça, avec des membres pas tellement attachés au groupe, mais qui sont tout de même capables d'offrir une prestation de qualité. Avec Luciferian Light Orchestra, j'ai voulu passer à l'étape suivante [en ne révélant pas l'identité des musiciens]. Cela fonctionne très bien avec Ghost, la plupart des gens ne savent pas qui ils sont. Nous avions essayé de faire ça avec Demonoïd [projet parallèle death metal d'ex-membres de Therion] en 2004, nous voulions enregistrer un album anonymement et voir comment les gens réagiraient. Mais le label n'a pas accepté et a voulu le vendre en indiquant qu'il s'agissait de membres de Therion. Je me suis rendu compte qu'il était impossible de vendre Luciferian Light Orchestra sans dire que j'y participais, à cause de l'état du marché de la musique de nos jours. Les contrats sont hallucinants. Quand l'un de mes voisins musicien m'a montré le sien, j'ai presque cru que c'était une caméra cachée. La seule clause qui manquait était : "Nous pouvons venir baiser ta copine une fois par semaine si nous voulons". Du coup il fallait associer Luciferian Light Orchestra à Therion en me mettant en avant et en précisant que certains membres du groupe y ont participé. Mais, pour moi, il n'est pas important de savoir qui fait quoi, il fallait le sortir le plus anonymement possible. J'aime beaucoup les groupes mystérieux des années 70, comme Klaatu, le groupe canadien. Au début, les gens croyaient que c'était une reformation des Beatles à cause des sonorités de leur premier album [3:47 EST], que j'aime bien, mais j'ai plus été marqué par le deuxième [Hope], qui était très symphonique et qui m'a beaucoup inspiré. Aucun nom, ni photo, n'apparaissaient sur la pochette, du coup, je me souviens en train de fantasmer sur ce à quoi ils pouvaient ressembler.

Parle-nous de tes autres influences sur ce disque.

Il y a Black Widow, surtout pour l'atmosphère de type médiévale façon Hollywood avec des éléments de paganisme. Il y a aussi Black Sabbath, tu ne peux pas dire que tu fais un album sombre et occulte inspiré des années 70 sans les citer. Ce n'est pas une influence directe, mais ils sont tout de même présents parce qu'ils ont tout changé à l'époque. On retrouve aussi du Wishbone Ash. Certains citent Iron Maiden en pendant aux mélodies de guitare de "Venus in Flames", mais ils ont tirent leurs harmonisations de guitares de Wishbone Ash. Parfois c'est un peu gros, notamment sur "Revelations" [de l'album Piece of Mind], qui tire son riff principal de "Warrior" de Wishbone Ash [de l'album Argus]. On retrouve aussi des influences de Jimi Hendrix et de Scorpions, période Uli Jon Roth.

Christofer Johnsson Therion Luciferian light Orchestra

Pourquoi avoir sorti ce disque sous ton propre label ?

Nuclear Blast avait déjà tout son planning bloqué pour un an et je ne pouvais pas attendre jusqu'à 2016. L'enregistrement s'est étendu sur un an pendant mon temps libre, c'est pour ça qu'il y a tant de musiciens differents, car tous n'étaient pas disponibles en même temps. J'ai ensuite eu une offre très intéressante de Napalm Records, mais je me suis rendu compte qu'après avoir dépensé autant d'argent sur Luciferian Light Orchestra, que ce n'était pas raisonnable de leur en demander plus. Du coup, j'ai décidé de le sortir sur mon label, sur lequel je me fais plus de marge, même si j'en vends moitié moins que sur un autre label. Comme ça, je peux gagner de l'argent dessus et recommencer à prospecter pour le prochain album.

Tu as donc pensé à la suite ?

Oui, il y aura un deuxième album de Luciferian Light Orchestra. J'ai déjà la moitié des chansons prêtes. Quatre vieilles compos ont tout pour entrer sur un album. Le tout est de faire en sorte que tous les titres aillent ensemble. Une d'entre elles, qui s'appelait "Evil Masquerade", était au moins aussi bonne que "Venus in Flames", mais était sur la même tonalité, du coup, je n'allais pas la mettre sur le même album, pour que ce ne soit pas redondant. La chanson "Where the Lilies Grow" sera aussi réenregistrée et retravaillée, notamment sur l'aspect vocal, pour l'éloigner de Therion. Deux autres chansons sont plus complexes et vont éventuellement avoir besoin d'un orchestre, ce qui était trop coûteux.

Quand t'es-tu rendu compte que c'était le bon moment de sortir ce disque ?

Je ne pensais pas que le sortir un jour. Il y a cette vague de groupes influencés 70's qui est arrivée, ce qui fait que je me remets à acheter des disques. J'avais arrêté dans les années 90 parce que rien ne me plaisait. Allez, quand Voivod ou un autre vieux groupe que j'aimais sortait un album, je l'achetais, mais ça s'arrêtait là. Quelques groupes sortaient du lot, mais rien de bien bandant. Et d'un coup, cette vague est arrivée, avec notamment Purson, Hexvessel, The Devil's Blood, ou encore Jex Thoth que j'aime beaucoup. Du coup, je me suis dit que c'était le moment de sortir ce disque et pas uniquement pour les fans de Therion. C'est aussi l'occasion de toucher un public qui n'aime pas le metal symphonique. C'est un peu une coïncidence, en voyant tous ces groupes émerger, je me suis rendu compte que j'avais beaucoup de chansons qui allaient dans cette direction. C'est cool que ces jeunes groupes m'influencent à faire quelque chose.

D'où vient le nom Luciferian Light Orchestra ?

C'est aussi une coïncidence. Quand on a commencé ce projet, il n'avait pas de nom, donc je l'ai appelé Luciferian Light Orchestra en attendant, faisant ainsi référence à Electric Light Orchestra. Cela amusait les musiciens et le nom est resté. C'est très dur de trouver un nom de groupe, tous les groupes de metal ont regardé dans le dictionnaire pour trouver les mots qu'il fallait, et tous les noms accrocheurs ont déjà été utilisés. Du coup, quand tu en as un qui reste, il faut profiter de la chance de le garder.

Luciferian Light Orchestra arrive au moment où Therion prépare toujours son projet d'opéra rock. Où en es-tu ?

Je pense que j'ai écrit 40 % de la musique. C'est beaucoup plus difficile d'écrire pour cet opéra qu'un album classique. Quand j'écris une chanson pour Therion, j'entends une chanson dans ma tête, j'enregistre, on écrit les paroles et c'est assez bon, on la met sur l'album. Là, je dois écrire de la musique exprès pour une scène en particulier, pour que ça corresponde à l'histoire. Si tu as une scène de bataille, il faut une musique très puissante, alors que pour un instant émotion, il faut une musique plus douce. C'est comme écrire de la musique de film, sauf que c'est encore plus important ici. Et plus tu écris, plus il est difficile de remplir les trous ensuite. De plus, je suis très mauvais pour écrire de la musique sur commande, mon esprit créatif a sa propre volonté et j'ai très peu de contrôle dessus. J'écris les choses comme elles viennent, si c'est bon, j'ai de la chance, sinon, je ne le sors pas. C'est pour cela que ça prend du temps, mais nous avons aussi pas mal d'extraits qui doivent être finalisés, du coup, on en sera à la moitié très bientôt. 

Photos : © 2013 Olivier GESTIN / INTO The PiT Photographe
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.



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