Beaucoup ont découvert les Irlandais de The Answer lorsqu'ils ouvraient pour AC/DC durant le Black Ice Tour, avec notamment deux soirées mémorables à Bercy, puis au Stade de France. Quelle direction prendre après avoir écumé des scènes aussi démesurées aux côtés de véritables légendes ? Cormac Neeson et ses comparses on trouvé la réponse (!) : en composant un excellent album aux racines 70s, et en défendant ce dernier dans tous les clubs du vieux continent et d'outre-Atlantique.
C'est ce soir au tour des fans parisiens de découvrir un nombre conséquent de nouveaux titres sur scène, dans un Divan du Monde malheureusement loin d'être rempli, comme en témoigne le balcon, qui restera tristement fermé toute la soirée.
The Picturebooks
Influences psychés des années 70 et stoner sont les deux ingrédients autour desquels s'articule l'univers atypique des Picturebooks. Rien que dans sa composition, le groupe est peu conventionnel : en tout et pour tout, seuls deux musiciens sont présents sur scène, le guitariste-chanteur Fynn Claus Grabke et son acolyte batteur Philipp Mirtschink.
Ce dernier est également très surprenant, par plusieurs aspects. Son instrument est d'abord peu fourni, et constitué d'une grosse caisse, de deux caisses claires et d'un ou deux toms. Le kit est très bas, et placé tout au bord de la scène, ce qui permet aux premiers rangs de se délecter de son jeu sauvage, furieux et tribal.
Tribal. C'est bien l'adjectif qui définirait le mieux l'esprit du groupe. Entre les riffs southern au son baveux, et les patterns de batterie entêtants aux accents de percussions primitives, la voix du frontman semble lointaine et enveloppe les spectateurs telle une litanie. Le percussioniste, comme possédé, finit par abandonner ses baguettes pour marteler ses peaux à mains nues, chaque frappe semblant être la dernière, tellement l'énergie qui y est mise est débridée.
Les morceaux, quant à eux, semblent déstructurés et spontanés, même lors de ralentissement extrêmes à la croisée du doom et du stoner psyché.
Très bien accueilli par le public, le court set des Picturebooks est entaché d'une ou deux longueurs lors des intermèdes, durant lesquels le guitariste se réaccorde sans un regard pour le public : ces petits temps morts cassent le rythme et l'ambiance installés par l'univers musical du groupe, et dénotent un petit manque d'aisance probablement.
En tous cas, cette première partie est une découverte très intrigante et plaisante au premier abord, qu'il faudra suivre de près.
White Miles
C'est encore un duo qui monte sur scène pour cette deuxième mise en bouche. La configuration est exactement la même qu'avec leurs prédécesseurs, Medina Rekic tenant la guitare et le micro, tandis que le batteur Hansjörg Loferer, alias Lofi assure la section rythmique.
Avec la moitié du crâne rasé et une veste en jean ne la dissimulant que très peu, la frontwoman arbore un look résolument punk qui contraste avec le kakémono en fond de scène la représentant en compagnie de son partenaire. Un tel support est d'ailleurs assez étrange, et le visuel utilisé frise le ridicule en rappelant le monde des forums professionnels...
Le groupe rencontre d'emblée un probleme technique sur la chaîne d'amplification de la guitare, qui a décidé de rester muette. Après quelques excuses et manipulations, la belle Medina Rekic reprend sa Telecaster tigrée pour lancer un riff qui fleure bon l'énergie de Rage Against The Machine. Malgré son micro fixe, elle occupe toute la scène et se démène au gré des morceaux : si parfois elle semble transcendée par les morceaux, elle verse à quelques reprises dans l'excès, et donne l'impression de sur jouer ses gimmicks. Chose étrange, malgré l'absence de bassiste, il semble que des pistes de basses soutiennent ponctuellement les efforts de la guitariste : alors, effet d'octaver ou bandes son ? Difficile de trancher, mais le résultat est pour le moins perturbant.
On regrette également que la voix de Medina flirte avec les limites de la justesse et manque par moments d'articulation, mais heureusement son comparse vient la soulager régulièrement, en apportant une mélodie plus stable sur laquelle elle peut s'appuyer. Le batteur est d'ailleurs irréprochable, et se jette à corps perdu dans son rôle de moteur rythmique du duo. Il possède un groove très plaisant, qui est mis en avant sur le bluesy "Crazy Horse" de circonstance, à quelques foulées du mythique cabaret.
Les compositions sont de niveau assez inégal, certaines manquant de dynamisme, et d'autres faisant la part belle aux riff que gras et bien lourds qui font agiter les têtes des spectateurs. Le public, par ailleurs assez timide, ne réagit que partiellement lorsque la frontwoman les pousse à applaudire les deux groupes qui encadrent White Miles sur l'affiche de ce soir.
Le bilan est en définitive assez mitigé, et balance entre des compositions inégales et une voix un peu trop limite d’une part, et une attitude et une énergie explosives d’autre part.
The Answer
21h30 pétantes et le Divan du Monde est plongé dans le noir pour accueillir les Irlandais de The Answer, qui viennent défendre leur nouvel album Raise A Little Hell, qui avait forte impression dès les premières écoutes.
Cette dernière galette est d’ailleurs à l’honneur d’entrée de jeu avec le percutant “I Am What I Am”, très propre dans son interprétation, et mis en valeur par un son déjà très bien balancé et arrangé. Seuls les choeurs sont un peu trop bruts et viennent casser le mix par moments : bien heureusement, ce désagrément ne perdure pas et est vite effacé à la régie.
Cormac Neeson, affublé d’une tenue noire, les cheveux dans le visage, sautille sur place en s’aggripant à son micro, et rappelle étrangement Ozzy Osbourne par ses postures. Bien heureusement, il surpasse vocalement le Prince des Ténèbres : malgré un léger mal de gorge apparent, il est est très en voix et comme tout le groupe, affiche un large sourire. Seuls quelques problèmes vocaux contraindront le frontman à descendre certaines lignes de chant d’une octave, sur “New Horizon” notamment, mais rien de bien gênant.
On imaginait mieux une entrée sur le titre d’ouverture de Raise A Little Hell, “Long Live the Renegades”, qui ne sera d’ailleurs pas interprêté, mais cette introduction fonctionne tout de même très bien.
Le nouvel album sera d’ailleurs fort représenté tout au long de la soirée, avec notamment “Red”, “Aristocrat”, “Last Days Of Summer”, “Strange Kinda’ Nothing”, ou encore l’éponyme “Raise A Little Hell”, soit presque la moitié du set !
Malheureusement, deux des trois titres les plus marquants de ce dernier effort studio ne font pas partie du concert ce soir : il s’agit du surpuissant “I Am Cured” et de l’atypique “Whiplash”, qui sera à notre grand dam ajouté aux concerts suivants de la tournée.
Toutefois, force est de reconnaître que ces nouveaux titres passent l’épreuve de la scène haut la main, chacun ayant sa propre personnalité et étant transposé de façon différente dans la prestation.
“Last Days Of Summer” est par exemple la pièce centrale du show de The Answer, présenté comme une véritable jam, durant laquelle le frontman quitte temporairement la scène pour laisser ses comparses se répondre au cours d’une improvisation du meilleur effet. Après Micky Waters à la basse, James Heatley distille un court solo de batterie avant que Paul Mahon ne viennent poser ses riffs de guitare sur la session rythmique. A cet instant, le bassiste affronte d’ailleurs un léger problème de son, et il s’avère qu’il avait tout simplement oublié de remonter son potard de volume. Presque dix minutes plus tard, le morceau dantesque s’achève et l’on se sent comme sonnés par tant de groove et de lourdeur.
“Aristocrat” est en revanche joué plus rapidement que sur l’abum, ce qui amenuise légèrement sa dynamique. Le morceau est l’occasion pour Cormac Neeson d’expliquer non sans humour que le début de la tournée n’avait pour but que de construire au fur et à mesure un set cohérent en vue de la date parisienne. Le public, pas dupe et amusé, rit de bon coeur. On note également un solo d’harmonica, dont la sonorisation frise la perfection, et dont l’exécution scotche l’assemblé. Le morceau s’achève sur un accord dont l’écho résonne pendant que les musiciens changent d’instruments pour la suite du set : original et fort amusant !
Le public ne semble pas très bien connaître le dernier opus du groupe, mais le frontman s’en accomode bien sur “Red” : armé de son tambourin, il fait répéter chaque phrase du refrain au public qui s’éxécute, et seule la dernière partie, un peu complexe pour les moins anglophones, est gratifiée d’une réponse moins vigoureuse.
Une véritable et délicieuse cassure se produit avec “Strange Kind of Nothing”, pour laquelle le batteur James Heatley rejoint l’avant de la scène pour s’asseoir sur son cajon aux couleurs de l’album New Horizon. Le morceau constitue une véritable mise à nu du groupe, et l'interprétation est sans artifice : la guitare acoustique n’est qu’un lointain fond sonore qui expose la voix de Cormac Neeson au public dans son plus simple appareil. Si l’on a d’abord craint un rendu vide et creux, le résultat se révèle finalement bluffant, et a transporté tout le Divan du Monde pendant quelques minutes. Le public chante et tape dans ses mains, jusqu’au break mené par le tambourin du frontman, le temps que le batteur rejoigne ses fûts et que les instruments soient échangés pour leurs versions électriques respectives, pour un final mémorable. Le public, jusqu’ici assez amorphe, est enfin réveillé, et le restera jusqu’à la fin de la soirée !
En effet, le gros point noir du début de soirée a été, une fois n’est pas coutume, l’attitude du public. Peu fourni, celui-ci a été assez peu réceptif aux échanges initiés par The Answer, et a semblé trop passif. Même la descente de Cormac Neeson dans le pit après trois titres n’a que peu fait réagir les spectateurs. Bien heureusement, le groupe a su réagir à ce manque d’enthousiasme avec un grand professionnalisme, et leur persévérance a fini par donner assez d’énergie au public en fin de set.
Le chanteur ne se laisse jamais décourager, et décide d’ailleurs à nouveau de se joindre à ses fans pour le dernier titre du set principal, l’épique “Raise A Little Hell”. Il vient s'asseoir au milieu de la salle, invitant chacun a faire de même, et s’époumone au milieu de ce qui commence à ressembler à une véritable messe. Le titre monte en puissance, et toute la salle finit par se relever de concert pour un final excité et très rock’n’roll.
Il est à peine 22h30, et c’est déjà l’heure du rappel.
Deux titres plus anciens composent ce dernier, il s’agit de “Nowhere Freeway” et “Under The Sky”, bien connus du public, et qui maintiennent la motivation de ce dernier jusqu’au bout.
Treize titres, c’est assez peu, même si l’on prend en compte l’intensité qui se dégagent de ceux interprêtés ce soir. En effet, le show n’a duré qu’une heure et vingt minutes tout au plus, et la soirée semble de ce fait écourtée.
Par ailleurs, on ne peut que déplorer le manque de fans présents au Divan du Monde, car la musique de The Answer est pleine d’inventivité et constitue une réelle renaissance du rock des années 70. Une telle prestation mérite beaucoup plus de monde, et surtout beaucoup d’enthousiasme de la part des présents.
Le concert, bien que trop court, a tenu toutes ses promesses, et on ne peut qu’être admiratif devant la fougue et l’authenticité du groupe irlandais. Prochaine étape, le Hellfest, fort apprécié du groupe, pour une nouvelle prestation, qui sait ? encore plus variée et sauvage ?
Il est temps pour tous d’effacer ces quelques regrets en allant partager quelques bières avec les membres groupe au stand merchandising, voire, pour les plus chanceux, de terminer la nuit avec eux, cocktails à la main, dans le pub irlandais devant lequel s’est habilement arrêté leur tourbus...
Setlist :
I Am What I Am
Spectacular
Red
Demon Eyes
Tornado
Aristocrat
Into the Gutter
Last Days of Summer
Strange Kinda' Nothing
New Horizon
Raise a Little Hell
Rappel :
Nowhere Freeway
Under the Sky
Photos : ©Peggy Cremin
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