Laibach annexe Paris
Ce soir, ce n’est pas un groupe anodin qui foule la scène du Divan du Monde. Il ne s’agit de rien de moins qu’un ovni musical de la sphère metal : Laibach, pionnier de la scène industrielle opérant depuis trente-cinq ans ! Dotés d'une carrière dense, pleine d’expérimentations et d’audace, ils confirment ce constat avec leur dernier album Spectre, sorti en 2014,. Qu’allaient donc nous proposer les Slovènes pour cette nouvelle tournée ? Impossible à anticiper, et c’est là tout le sel d’un tel groupe !
Ce soir, le Divan du Monde est complet, témoignant de l’engouement actuel pour Laibach, sorti depuis bien longtemps de l’anonymat et pas près d’y retourner. La petite scène est complètement occupée par des synthétiseurs, du matériel de bidouille sonore, mais aussi une batterie imposante et surtout deux écrans, qui vont se révéler essentiels dans le spectacle qui nous est préparé.
Soudain, la lumière s’éteint, et progressivement, des pulsations électroniques se font entendre. Très hypnotiques, elles évoquent le trip hop de Massive Attack époque Mezzanine, mais aussi les travaux d’Einstürzende Neubauten. Les deux écrans s’allument en projettent des formes géométriques lumineuses qui évoquent la pochette du dernier album de Laibach. D’entrée de jeu, Laibach casse les codes en démarrant son concert sur une reprise, qui n’est rien moins qu’un extrait d’Olav Tryggvason, l’opéra inachevé d’Edvard Grieg, compositeur classique norvégien bien connu des metalleux.
De l’opéra à un concert d’indus’ ? Il y a de quoi être perplexe, à raison. Mais force est de constater que ça marche terriblement bien, notamment avec la voix grave et gutturale de Milan Fras et son homologue féminin, la belle Mina Špiler, qui a, elle aussi, un timbre plutôt grave. Avec moult chœurs et lignes de clavier épiques, le concert gagne en puissance petit à petit. Le registre est toujours très expérimental, à la fois dans la voix ou la batterie qui sont souvent trafiquées ou les arrangements. On sent que le public est perplexe ou bien… Captivé.
Puis, le groupe enchaîne sur « Eurovision », extrait du dernier album. Le peu de lumières braquées sur les musiciens incite à regarder les écrans, ce qui fait de ce concert une expérience quasi-cinématographique, d’autant plus que les visuels sont très soignés et apportent beaucoup au spectacle. Le « Europe Is Falling Appart » clamé par le groupe, si cruel d’actualité, résonne dans la salle avec une puissance certaine.
Entre les chansons, Laibach n’en a pas fini avec son cynisme grinçant. Eteignant toutes les lumières, le groupe n’adresse pas un mot au public. A la place, un discours préenregistré est diffusé à l’audience : « Nous sommes très contents d’être là », « vous êtes le meilleur public de tous les temps ! ». Toujours très engagés politiquement, Laibach enchaîne sur « Whistleblowers », cette chanson qui n’est autre qu’un hommage aux lanceurs d’alerte. Puis, le concert reprend une dose d’adrénaline avec « Resistance is Futile », pic d’intensité avant un premier entracte, ponctué de musique classique et d’un compte à rebours de dix minutes sur les écrans. Puis, le concert repart tranquillement sur une reprise de Jeanne Moreau, que Laibach a complètement assimilé pour régurgiter une pièce qu’on croirait être une composition du groupe !
Avant de lancer « B Mashina », la préenregistrée clame : « No Sieg Heiling, please ! » Et on comprend pourquoi, puisque sur les écrans sont projetées les images du film déjà culte Iron Sky [NDLR : Laibach a composé la musique du film], où des Nazis réfugiés sur la Lune envahissent la Terre]. A partir de là, le concert continue sur un rythme survolté, où audace rime souvent avec ingéniosité, avec une reprise de Bob Dylan, qui aurait été impossible à reconnaître sans le portrait de Dylan projetée à l’écran, ou de Serge Gainsbourg, qui passent à la moulinette Laibach avec toujours autant de succès. Puis, c’est l’heure du tube que tout le monde attendait : « Tanz Mit Laibach ». Sans surprise, la fosse se transforme en piste de danse, pendant que le groupe continue de jouer sa musique avec une maîtrise qui force le respect.
Que dire ? Laibach, c’est plus d’une heure et demie de concert avec une remise en question permanente en mot d’ordre. Que ça soit dans des reprises industrialisées avec brio ou des compositions moulées dans notre époque à la fois musicalement et thématiquement, Laibach n’a jamais lâché les rênes de son concert, en donnant une performance solide et expérimentale. Le règne des Slovènes sur l’indus n’est pas prêt de s’arrêter, pour sûr.
Setlist :
Olav Tryggvasson Poem
Eurovision
Walk with Me
No History
The Whistleblowers
Koran
Resistance Is Futile
Entracte
Each man kills the thing he loves (reprise de Jeanne Moreau)
Americana
B Mashina
Ballad of a Thin Man (reprise de Bob Dylan)
Eat Liver!
Bossanova
See That My Grave Is Kept Clean (reprise de Blind Lemon Jefferson)
Rappel
Love on the Beat (reprise de Serge Gainsbourg)
Tanz mit Laibach
Rappel
Leben heißt Leben
Geburt einer Nation
Reportage par Tfaaon (Facebook)
Photos : Arnaud Dionisio / © 2015 Ananta
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