Torche est une entité singulière, qui n'aime pas faire les choses comme tout le monde. Un sludge classique, entendu des centaines de fois? Aucun intérêt pour les Américains. Le groupe n'est pas à son premier coup d'essai et a eu tout le loisir d'expérimenter sa recette en y incorporant diverses saveurs. Avouons-le, les chefs n'ont pas fait l'unanimité avec Harmonicraft, opus ayant divisé la critique et les fans. Restarter porte donc le poids d'une éventuelle réconciliation avec une partie de l'auditoire de la formation.
Cultivant une identité hors-du-commun et déconcertante aux premiers abords, le quatuor reste fidèle à lui-même et n'hésite pas à diversifier sa formule le plus souvent possible. S’acoquinant tantôt avec le punk, le sludge, le doom et teintant tout cela de mélodies aux relents pop, les Américains n'ont aucune crainte et se laissent aller au gré de leurs envies. Bien mal nous en prendrait de crier haro sur Torche, tant cette formule fait son effet et démontre toute la maîtrise dont Steve Brooks et ses comparses sont dotés. Qui plus est, difficile de jeter la pierre à un groupe brisant les codes avec autant de talent. Restarter est diversifié, mais sait garder une véritable ligne conductrice. Par conséquent, l'auditeur passe d'un registre musical à un autre très rapidement mais en reconnaissant toujours la patte qui façonne ces compositions.
Ce liant est en grande partie le fait du chant de Steve Brooks, dont les lignes vocales confèrent un aspect imparablement efficace à des titres parfois lourds et denses (« Minions », « Believe it »). Polyvalent, le frontman ne manque pas d'accentuer l'immédiateté des courtes « Loose Men » ou « Blasted », s'impliquant particulièrement dans les titres et mettant en exergue les qualités de ceux-ci. Pourtant, en dépit d'une facette indéniablement pop, Restarter est mélancolique. Le ton est plus lourd, les guitares imposantes comme sur « Barrier Hammer », et les moments de gaieté souvent contrebalancés par une douce tristesse. La pièce éponyme résume parfaitement cette ambivalence des sentiments de Torche. Le chanteur n'a pas le cœur à réconforter son auditoire mais plutôt à lui faire partager une forme de désarroi palpable.
Au-delà de ces belles qualités, on ne peut que dresser le constat évident que les Américains restent immédiatement identifiables. Leur formule est suffisamment travaillée pour éviter de vilains recyclages mais la ligne rouge n'est pas toujours loin. « Barrier Hammer », à titre d'exemple, n'est pas un titre de facture décevante mais sa composition est moins marquante, comme si la recette était éculée, prévisible. Mais Torche sait toujours rebondir. La science de la mélodie marquante ne se voit nullement laissée aux oubliettes et s'entend d'entrée de jeu via l'opener « Annihilation Affair », qui plonge dans un sludge dense et épais mais terriblement addictif. Cette qualité de composition est maintenue sur l'ensemble de l’œuvre, comme en témoigne « Blasted » qui sonnerait presque punk rock par instants. Le comble est atteint via « Loose Men », piste d'une légèreté déconcertante, mais suffisamment bien écrite pour s'insérer dans Restarter sans heurter.
Cette formation est fascinante. Mêler tant de genres paraissant antinomiques à son sludge est un pari osé, et risqué. Mais le quatuor ne recule devant rien et cette audace paye indéniablement. Quoiqu'il en soit, Restarter fait son office, offrant une récréation agréable, où l'auditeur sera plongé dans des ambiances diverses et variées. Torche est en forme et le montre une fois de plus. Croisons les doigts pour qu'ils continuent sur cette voie positive.