Bedemon – Child of Darkness (From the Original Master Tapes)

Deuxième édition de ce classique underground du protodoom d'un groupe ayant abrité en son sein trois membres du culte et respecté Pentagram. Au menu : riffs épais,  feeling rock'n'roll, atmosphère suffocante, groove de mauvais garçons et thématiques  dignes d'un film d'horreur de série B projeté dans un drive-in abandonné aux créatures de la nuit.

Volonté de faire connaître une œuvre un peu oubliée ou désir de se faire un peu d'argent ? On peut se questionner sur les réels motifs qui ont poussé Relapse Records à rééditer le Child of Darkness de Bedemon (disponible depuis le 23 février 2015) mais peu importe car avec cette compilation comprenant l'album entier enregistré en 1973 et 1974, plus quelques  morceaux datant de 1979, nous tenons un bout d'histoire du metal lourd.

Ce groupe originaire du sud des Etats-Unis  est né en 1973 et a existé de façon sporadique jusqu'à son  split en 1986, les membres se répartissant ensuite dans divers projets. Bedemon a été réactivé en 2001 à l'initiative d'un certain Perry Grayon, musicien et journaliste. Après la publication de ce Child of Darkness (from the original master tapes) en 2005, le groupe a sorti Symphony Of Shadows en 2012. Le line-up actuel de Bedemon ne comprend  qu'un membre originel : Geof O'Keefe, batteur et ancien membre des premiers jours de Pentagram. Ca y est, on y vient à la filiation.

Le groupe accueille donc sur ces enregistrements trois membres de Pentagram : soit le déjà cité O'Keefe, le guitariste, et fondateur du projet, Randy Palmer, décédé d'un accident de la route en 2002 et le toxic wizard, grand gourou de la légende du doom US, Bobby Liebling, au chant.

Une question se pose avant la première écoute de cet album : est-ce que Bedemon est un Pentagram bis ? Oui et non.Child of Darkness est en fait l'instantané d'une époque : celle où tout ce qui était bruyant, saturé, violent et au-dessus des limites était rangé sous l'étiquette hard rock ou heavy metal, tout simplement. On ne parlait pas encore de doom metal dans les  glorieuses seventies mais de rock avant tout, voire de rock lourd. Et c'est justement ce qui  différencie un peu Bedemon du monstre démoniaque créé par tonton Liebling, l'ambiance et  le feeling dégagés par ces enregistrements sont franchement rock'n'roll.

Déjà il y a ce son très vintage, garage même. Les doomers tristes et précieux qui aiment les ambiances gothiques sophistiquées et le spleen numérique risquent de fuir devant cet éloge à la crasse la plus malsaine. Là on est plutôt dans le heavy doom épais et sale comme un crachat lancé par le jeune Ozzy Osbourne sortant de la prison de Birmingham pour  jammer avec ses potes Iommi, Ward et Butler. Musicalement Bedemon c'est un peu le  croisement entre Pentagram (forcément), Black Sabbath (influence revendiquée) et le rock  pré-punk destroy joué par les Stooges des frères Asheton et d'Iggy Pop.

Dès l'introductif « Child of Darkness » on pense à Pentagram avec ce riff rampant et morbide ainsi que la voix plaintive de Bobby Liebling qui semble  inviter son cher enfant  des ténèbres à l'accompagner pour un tour de train fantôme vraiment inquiétant. Mais voilà, nous sommes cependant plutôt loin du copycat. Déjà il y a le jeu de basse volubile de Mike Matthews qui évoque Geezer Butler comme sur le déjà cité « Child Of Darkness » mais  aussi sur « Frozen Fear » qui ressemble au « Snowblind » de Black Sabbath justement.  Citons aussi « Serpent Demon » dont le riff d'ouverture lui renvoie au « Black Sabbath »  du même groupe et « Into The Grave », espèce de ballade un peu bluesy et médiévale à la  manière du Sabbath de l'époque Masters Of Reality.

L'autre grosse référence qui saute aux yeux en écoutant ces quatorze enregistrements est donc le rock sale et protopunk façon Detroit popularisé par Iggy Pop et ses Stooges. Que ce soit la  guitare chargée de fuzz de Randy Palmer ou son jeu rappelant parfois le regretté Ron Asheton, on ne peut s'empêcher de penser aux allumés de la Motor City tout au  long de  cette compilation. C'est la cas sur des brûlots comme « One-Way  Road » et surtout sur  les  titres issus de la deuxième session d'enregistrement comme « Child Of Darkness II » (qui  semble annoncer certains groupes grunge/garage comme Mudhoney aussi), le très bon  « Time Bomb », l'urgent et menaçant « Nighttime Killers » ou l'espèce de ballade  malsaine « Last Call » qui évoque le « Gimme Danger » de Iggy And The Stooges  justement, on retrouve donc un mélange réussi de heavy doom et de punk des origines.

De même Bobby Liebling n'hésite pas à singer, de façon convaincante, son pote Iggy ou Stiv Bator (le défunt chanteur des cultissimes Dead Boys et The Lords Of The New  Church) sur ces morceaux.  Pour le reste, on entend encore du Pentagram sur « Drive Me  To The Grave », du doom rock sur « Skinned ». Nous pouvons aussi supposer que The  Devil's Blood ait été bercé par le spleenique et incantatoire « Through The Gates Of Hell »,   qui se rapproche de ce que pouvait pondre Blue Öyster Cult à la même époque , ou le  planant et assez psychédélique « Touch The Sky ».

Saint Vitus eux ont peut-être écouté en boucle l'hypnotique « Enslaver Of Humanity » et «Serpent Venom » aux riffs crados et aux solis chargés de fuzz qui annoncent le style  guitaristique développé par Dave Chandler tandis que « Axe To The Grind » est un  instrumental plutôt convainquant, sentant bon la New Wave Of British Heavy Metal. Ce titre  a été composé en 1979 par Geof O'Keefe mais fut achevé en 2001, il comporte des twin  guitars évoquant Thin Lizzy, Whishbone Ash ou Santana et est une façon sympathique de conclure cette compilation.

Child of Darkness (from the original master tapes) intéressera deux types de personnes : les  curieux, collectionneurs de tout ce qui a fait l'histoire du metal et de de sa scène  underground mais aussi les fans de Pentagram et de ce doom metal à la fois théâtral (quoi que Bedemon donne un peu moins dans l'emphase) et tranchant comme la lame d'un cran d'arrêt  dissimulé dans la poche d'un Perfecto. Bedemon be driven.*

*Désolé, j'avais une grosse envie de placer ce jeu de mots d'une puissance trop vulgaire (les    amateurs de panthères peuvent comprendre), c'est fait.

    Liste des morceaux :
    1 « Child of Darkness »
    2 « Enslaver of Humanity »
    3 « Frozen Fear »
    4 « One-way Road »
    5 «Serpent Venom »
    6 « Last Call »
    7 « Drive Me to the Grave »
    8 « Into the Grave »
    9 « Skinned »
    10 « Through the Gates of Hell »
    11 « Touch the Sky »
    12 « Child of Darkness II »
    13 « Time Bomb »
    14 « Nighttime Killers »
    15 « Axe to Grind »
 

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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