Voilà un retour qui fait du bien. Avec ses précédentes œuvres, And So I Watch You From Afar s'est construit une solide réputation sur la scène math / post-rock. Et à juste titre, par ailleurs. Cette quatrième offrande, Heirs, a une lourde tâche sur ses épaules. En effet, difficile de succéder à une discographie sans points faibles, où la barre est toujours placée très haut. Les Nord-Irlandais n'ont pas le droit à l'erreur, compte-tenu d'une appartenance à un genre se portant très bien, dans lequel nombre de bonnes productions arrivent chaque année.
Pas de grosse surprise à l'horizon, la recette du post-math rock des Nord-Irlandais est sensiblement la même. Évoluant entre moments percutants et accalmies salvatrices, le propos de la formation se démarque de la concurrence en frappant toujours là où il faut. Jamais de surenchère et d'excès en tout genre ne sont à déplorer. L'ensemble est constamment maîtrisé mais n'en est pas lisse pour autant. Dans un registre où bien des groupes se perdent en longueurs interminables, ASIWYFA convainc d'entrée de jeu grâce à des morceaux d'une grande efficacité. L'opener « Run Home », ou encore « Wasps », sont des pièces entêtantes à souhait, qui ne quitteront pas l'auditeur de si tôt. Peu d'exigence est requise pour apprécier de tels titres à leur juste valeur. Cependant, résumer tout l'opus à ces moments de facilité bienvenus serait une grossière erreur. Qui plus est, sous ses apparence, Heirs est une œuvre bien plus difficile d'assimilation qu'il n'y paraît.
C'est vrai, la première moitié est composée de pistes tubesques. Mais le découpage plus qu'étrange de l'album risque de faire perdre pied à plus d'une oreille égarée. Au fur et à mesure de la progression dans l’œuvre, le calme succède à la tempête. Les instants de rêverie se font entendre davantage, prenant le pas sur les riffs propices à insuffler une dose d'énergie à l'auditoire. Si cette transition peut se révéler discutable, force est de constater que la seconde partie tient la route comme il se doit. Des compositions du calibre de « Heirs » et « A Beacon, A Compass, An Anchor » nécessitent plus de concentration, et incitent à retenter l'expérience. Ce goût de reviens-y permet réellement à Heirs de gagner en consistance, et à s'octroyer une durée de vie non-négligeable. Cette construction bancale ne s'avère finalement pas dérangeante, bien que sûrement peu fédératrice.
Si le niveau est constant tout au long du disque, il est bien difficile de trouver une piste se démarquant. Toutes s'écoutent avec plus ou moins d'attention, font leur office, et suivent une construction où chaque titre trouve sa place. De ce fait, la tubesque « These Secret Kings I Know » remplit son rôle à la perfection, mais il est difficile de la considérer comme étant meilleure, ou décevante, par rapport à d'autres pièces ayant une fonction similaire. Même constat sur les compositions plus atmosphériques telles « Fucking Lifer » ou « Animal Ghosts ». On pourra cependant regretter l'utilisation un peu trop systématique des chœurs, qui apparaîtraient presque comme une solution de facilité pour combler l'espace. Un système qui n'est pas des plus judicieux étant donné que les ambiances proposées se suffisent largement à elles-mêmes et que l'ajout de ces voix n'apporte pas de plus-value concrète.
Heirs est un album qui ne se laisse pas apprivoiser immédiatement. Si l'offrande ne bénéficie pas d'un réel effet de surprise, elle demande tout de même un effort pour être correctement assimilée. Le voyage est toutefois recommandé : une fois embarqué, difficile de redescendre sur Terre. And So I Watch You From Afar n'est pas prêt de s'essouffler et se montre encore comme un leader de la scène math-post rock actuelle.