L'étalon indomptable
Aussi légendaire qu'inclassable, Faith No More revient après 18 ans d'absence. Teasé depuis bien des mois, Sol Invictus répond enfin à la question: est-ce que les mecs sont encore dans la place? Trop peu inspiré pour être une tuerie mais suffisamment cohérent pour ne pas être bâclé, cet album est un cas à part: singulier, difficile d'accès, demandant bien des écoutes pour être apprécié et sujet à débat. Un album de Faith No More quoi.
Combien de formations peuvent se vanter d'être originales? Pas mal. Combien peuvent se targuer d'être uniques? Peu. Aussi, lorsqu'un grand nom appartenant à la deuxième catégorie se décide à reprendre le chemin des studios, l'exigence est de mise. Surtout lorsque l'attente frise les deux décennies et encore plus quand la dernière production en date continue de faire débat. Pourtant, Album of The Year et ses pépites avaient largement de quoi faire regretter la "mort" de Faith No More. En manque de son public (et de fric), le quintet avait, à l'occasion d'une énorme tournée en 2009/2010, balayé ces regrets pour laisser place à l'espoir de voir cet utopique septième album voir le jour.
C'est donc tremblant, ému et impatient que l'on se lance dans la première écoute de Sol Invictus, en ayant conscience que 18 ans c'est long, que les membres ont pris de l'âge et que cet album est autoproduit. Une fois équipé de cet outil qu'est la tolérance (et l'intelligence), l'intro "Sol Invictus" se laisse apprécier et rassure d'entrée sur un point primordial : le chant. Jusqu'ici, la voix de Mike Patton ne faillit en aucun cas. Loin de ses timbres clairs et juvéniles (22 ans en même temps) de "The Real Thing", le frontman offre ici un chant très agréable qui se prête à merveille à l'ambiance "lounge" de cette piste.
Les choses sérieuses démarrent avec le très dynamique "Superhero" qui, malgré cette énergie, s'avère linéaire et peu inspiré. La hargne et le côté "fou" de Mike Patton mérite néanmoins d'être soulignés. "Sunny Side Up", en revanche, se veut très rafraichissant. Suivant une base quelque peu blusy et appuyée par une guitare funky, la mélodie prend rapidement aux trippes et donne le sourire. Un des meilleurs titres en dépit, là encore, d'un manque d'audace des plus flagrants.
Un peu dans la lignée d'un "Midlife Crisis", "Separation Anxiety" propose un univers sombre auquel s'ajoute quelques passages bien énervés et rock'n'roll. On note tout de même un Patton abusant un peu trop des effets. Parmi les autres compositions méritant d'être soulignées, l'excellente et très pop "Black Friday" apporte un peu de fraicheur à l'ensemble, tout comme "Cone of Shame" et sa montée en puissance. Il faut bien sûr mentionner le cas "Motherfucker", extrêmement particulier, faisant plus ou moins office d'interlude. La paire "Matador", où l'on ressent enfin un peu de groove, et "From the Dead", qui sent bon l'eau de rose, vient clore l'album sans brio ni mauvaise surprise.
Côté prod, la déception est omniprésente. Certes, l'auditeur était prévenu lorsque les Américains ont annoncé autoproduire eux-mêmes la galette mais, tout de même, le mix final laisse à désirer. Mais au delà du son, c'est un manque d'inspiration quasi-omniprésent qui choque le plus. Ici, FNM n'a pris que très peu de risques et les musiciens avaient habitué à beaucoup mieux en termes de technique. Néanmoins, l'ensemble est carré, cohérent et heureusement, heureusement il y a Mike Patton.
À la fin de la première écoute, on se retrouve les yeux fermés, la tête entre les deux mains à cogiter. Car on est immanquablement déçus. Sol Invictus n'a pas la pêche de The Real Thing, ni le génie d'Angel Dust, encore moins la prod et le groove King For A Day... Fool for a Lifetime, et sûrement pas les burnes d'Album of The Year. Il laisse en bouche le goût très amer d'une œuvre qui se contente du service minimum et qui met en avant des musiciens sous exploités. Bref, la tentation de parler d'un album bâclé est grande...
... Oui, mais voilà, au delà de tous ces défauts, Sol Invictus possède une très grande qualité: celle d'avoir une âme. En y réfléchissant, on en vient à se demander si Faith No More n'est pas resté bloqué dans les années 90. Car ce sont bien les monstres de cette période qui viennent à l'esprit après plusieurs écoutes: Red Hot Chili Peppers, Soundgarden, Sonic Youth, Pearl Jam. L'âge d'or du rock alternatif et du grunge semble, en 2015, avoir trouvé son foyer au sein de Sol Invictus. Paradoxalement, cette prod brouillonne contribue au développement de cette âme et de ce retour vers le passé.
Au final, c'est un groupe égal à lui même qui revient. Comme toutes les œuvres précédentes, Sol Invictus ne doit en aucun être jugé dès la première écoute. Ceux qui réfuteront cette idée passeront à côté d'un hommage à une époque où la musique et l'émotion ressenties ici régnaient en maître. Les néophytes, non habitués à l'univers du quintet, joueront au freesby avec ce CD. Quant aux amateurs dotés d'un peu de cervelle, ils conviendront que Sol Invictus fait partie des bons albums de cette année 2015 mais qu'il est probablement le moins réussi de Faith No More.
Note finale: 6,5/10