par Ju de Melon
Un certain mysticisme entoure la musique d'Amorphis, groupe finlandais de 21 ans d'âge et qui ne cesse d'évoluer, de progresser, d'avancer depuis ses débuts. Evidemment, l'arrivée du chanteur Tomi Joutsen en ses rangs a pas mal bouleversé la donne, donnant ainsi naissance à une trilogie majestueuse Eclipse/Silent Waters/Skyforger. Le dernier nommé faisant entrer le combo finlandais dans le panthéon du metal des années 2000.
Mysticisme avant tout car il est désormais de plus en plus dur de coller des étiquettes stylistiques à une formation en perpétuel mouvement. Dark metal certains s'avancent à dire, rock mélancolique s'amusent ainsi les membres du sextette pour décrire leur univers... entre rock et metal, croyez-vous ? Plus metal, cela ne fait aucun doute, même si la mesure du génie n'est souvent pas propre à la délimitation réelle dans un mode particulier.
Il faut désapprendre ce que nous avons appris, Maître Yoda ne nous contredirait pas à l'approche de ce The Beginning of Times, 10ème brûlot du mythe Amorphis, prévu le 27 mai chez Nuclear Blast. Car il ne faut plus rien savoir et se laisser aller avant de se lancer dans son écoute, sous peine d'être victime ici de désagréables moments de légère incompréhension...
Cet album marque un tournant dans la carrière du groupe tout en fluidifiant une continuation certaine, prenant des éléments de la sus-nommées trilogie et les épurant vers une approche toute autre. On reconnait ainsi nos finlandais sans pour autant être familiarisé par les mélodies ou autres structures ici proposées. Déroutement assuré, et pourtant au fil des écoutes tout devient clair...
Clair comme ces mélopées enivrantes du morceau introductif "Born from Light", au refrain à l'accroche imparable. Exquise entrée en matière qui n'annonce que le meilleur ou le "de plus en plus subtil". Ainsi nous voici surpris de clarté encore plus éblouissante lorsque, médusés, nous découvrons un chant féminin sur la piste suivante. "Mermaid" transporte ailleurs et ouvre un nouveau chapitre dans roman Amorphien, cette douce voix de sirène revenant d'ailleurs à plusieurs reprises sur l'album (sur le refrain du tout aussi excellent "Soothsayer", bien en avant sur le single "You I Need" ou très substantiellement sur l'aérienne "On a Stranded Shore").
Un roman ainsi proposé ? L'histoire d'une vie poétique basée sur les sensations musicales... Ici, chaque vibration compte, d'autant plus que l'opus est lui-même basé sur une narration littéraire : le Kalevala, ce poème épique finlandais qui fait la fierté locale, et qui se voit ici centralisé sur son personnage principal : Väinämöinen. Peu importe le contenu direct des paroles, on peut ressentir sans même connaître l'histoire sur le bout des doigts une véritable émotion qui se pare ainsi de mélodies ou autres joutes structurelles affinées au possible.
Si l'on excepte un single calibré pour être radio friendly (mais remplissant son rôle sans décevoir) et ce morceau d'introduction aussi direct que réussi, chaque titre ici présenté révèle ses surprises... et commençons par la meilleure, avec ce "Song of the Sage" retentissant, un peu comme s'il était central à la nouvelle "approche" du groupe (si tant est qu'il y en ait une). Entre touches folkisantes à la Jethro Tull et rythme heavy dark mélodique, Tomi Joutsen surfe sur les lignes d'instruments en faisant ce qu'il veut et insufflant au passage l'émotion énergique dont le morceau se languissait. Magistral. D'autres comme "Soothsayer" ou "Crack in a Stone" ne font que confirmer cette impression forte, cette dernière se permettant au passage une virtuosité obscure parée de complexité attrayante... un comble du génie ? Si on veut, du moins cela y ressemble.
Tomi Joutsen, la clef de ce nouveau brûlot, a une nouvelle fois su délivrer la marchandise. A aucun moment le vocaliste ne baisse de garde. Et même si certains aigus enrobés de choeurs épiques pourront heurter certaines oreilles, tout passe dans la fluidité la plus naturelle ; que ce soit en chant clair ou en growl surpuissant... Le travail réalisé avec Marco Hietala (producteur vocal) se ressent ici de plus en plus, c'est donc un Tomi parfaitement décontracté et libre de poser sa signature vocale qui survole les débats. "My Enemy" est sûrement la meilleure preuve de ces dires, quelques unes de ses lignes bénéficiant d'une attaque "extrême caverneuse" à vous glacer le sang.
Parmi tout cela, le groupe n'oublie donc pas de varier. Dans ce que l'on pourrait pourtant appréhender comme une certaine "monotomie ambiante", les détails font la différence et laissent l'auditeur se téléporter ailleurs, au-delà même du son. Et quand on voit qu'Amorphis se permet d'expérimenter tout en ne reniant pas son passé (les riffs Iron Maideniens restent légions, un titre comme "Escape" rappelant même quelques suites d'accord à la Black Sabbath ou présente des échos mélodiques chers à W.A.S.P.), on ne peut que souligner la performance d'ensemble et ne rien avoir à redire sur le schéma global d'un The Beginning of Times, certes chargé, mais parfaitement huilé.
Non, cet opus ne peut se targuer d'obtenir une note parfaite. Quelques longueurs inévitables ne peuvent s'empêcher de traîner ici ou là et quelques morceaux comme "Three Words" ou "Beginning of Time" (malgré sa belle intro) n'ont probablement pas la même aura que certains de leurs congénères. Nous entrons ici cependant dans les détails... qui comptent, il est vrai, mais qui risquent bien de ne pas peser bien lourd à l'heure du bilan final.
Et voici Amorphis une nouvelle fois lancé dans la course pour l'award tant prisé du "meilleur album metal de l'année"...
Note : 9/10
Interview du chanteur Tomi Joutsen récemment réalisée