Ascending to Divinity
Rhapsody tel qu'on le connaissait n'étant plus depuis quelques années, c'est donc la suite de Luca Turilli's Rhapsody qui nous est proposée en ce 22 juin chez Nuclear Blast. Si le premier album Ascending to Infinity avait posé les premières bases d'un metal dit epic cinematic, Prometheus, Symphonia Ignis Divinus va encore plus loin et nous présente un Luca Turilli sous sa meilleure forme de compositeur pour un résultat final à la fois accrocheur et complexe. Serez-vous prêts à effectuer ce long voyage spirituel de plus de 70 minutes ?
En quelque sorte, le compositeur italien fête avec cet album son vingtième anniversaire dans le métier, si l'on considère bien sûr la première démo de Rhapsody avant même l'arrivée de Fabio Lione. En deux décénnies, Luca Turilli a su laisser aller son inspiration, le temps d'une longue saga épique dans un premier temps puis désormais dans une recherche spirituelle de moins en moins métaphorique depuis le split. Pourtant, son approche n'a pas tant évolué que cela, le musicien travaillant toujours seul lors de la mise en place de ses compositions en y intégrant ensuite différents univers alliant metal et musique classique. Sauf que désormais un autre axe semble le bercer de façon de plus en plus flagrante : cet attrait pour les musiques de films dont on avait déjà eu quelques avant-goûts par exemple sur son second opus solo en 2002 mais désormais partie intégrante et même primordiale de sa musique depuis le lancement de Luca Turilli's Rhapsody.
Ceci s'amplifie donc on ne peut plus naturellement sur Prometheus, Symphonia Ignis Divinus, seconde livrée depuis la séparation des chemins avec Alex Staropoli, disque qui va encore plus loin que son prédécesseur et qui pourrait laisser quelques sceptiques sur le carreau. En effet, Luca s'échappe presque sans le vouloir du metal, lui qui nous affirmait n'avoir de toute façon jusque là jamais vraiment écrit ses morceaux dans une optique "heavy" et qui désormais, avec les outils techniques à sa disposition lui permettant de recréer avec précisions divers éléments orchestraux ou électroniques, se lâche plus dans ce qui semble être une nouvelle quête : offrir à ses fans une vision cinématique de cette musique qui l'inspire depuis toujours, s'ouvrir de nouvelles portes aussi, bien au-delà du monde du metal.
Difficile d'accès, ce Prometheus, Symphonia Ignis Divinus est un véritable labyrinthe musical aux variations multiples et à la durée pharaonique. Certes, quelques morceaux rappellent le désormais Rhapsody old school mis à la sauce d'aujourd'hui, on citera par exemple "Il Cigno Nero" aux reflets presque passéistes, "Yggdrasil" et sa touche un peu folk ou encore "One Ring to Rule Them All" inspiré par Le Seigneur des Anneaux et qui rappellera peut-être de loin les précédents délires à la "The Village of Dwarves" même si bien plus complexe (et pas uniquement à cause de son passage chorale en... langue de Sauron !!). Si ces titres ont de belles réminiscences, ils n'en sont pas moins assez tortueux dans leur construction et/ou arrangements, ce qui n'est rien à côté d'autres monstres sur lesquels nous allons revenir. Ajoutez à cela le single "Prometheus", plus proche d'un Prophet of the Last Eclipse et somme toute assez simple dans sa globalité (mais constituant une clef de voûte dans le concept spirituel de l'artiste), un "Anahata" très aérien qui fera foncre les fans de certains films des années 90 ou le premier extrait "Rosenkreuz (The Rose and the Cross)" bercé d'une touche grégorienne savamment mixée à une ambiance assez mystérieuse dans un morceau assez classique, et on reconnait tout de même la patte Luca Turilli. A son meilleur dans les mélodies, dans l'utilisation de ses atmosphère, mais qui risque d'être toujours aussi décrié dans ses paroles.
Par ailleurs, subsistent de véritables défis pour l'auditeur. En fait, chaque morceau pris à part et profondément analysé offre ses petites surprises ou touches étonnantes, mais d'autres sautent directement aux oreilles comme étant des monstres d'ambition. Commençons évidemment par la fin et ce "Of Michael the Archangel and Lucifer's Fall Part II: Codex Nemesis", suite du grand final ponctuant le précédent CD, qui fonctionne presque comme un EP à part dans sa durée et son découpage, qu'on pourrait d'ailleurs relier à l'intro de l'opus qui annonce un peu son ambiance. Très difficile à appréhender de prime abord, un temps brouillon ou longuet, ce brûlot final s'avère au final exceptionnel au niveau de l'écriture où rien ne semble avoir été laissé au hasard, jusqu'à ce pont instrumental en l'apparence facile mais bourré d'une émotion spirituelle semblant ainsi traduire l'âme de notre cher Luca. Le travail des choeurs y est exceptionnels, à l'image de "King Solomon and the 72 Names of God" qui explore pour la première fois dans la carrière de Turilli une touche orientale poussée, renforçant un mysticisme certain et faisant éclater cette piste au sommet de l'art épique. Juste avant, le morceau opéra "Notturno" met en valeur deux grandes voix : Alessandro Conti bien sûr, toujours au poste et fier élève de l'école Pavarotti, mais aussi la française Emilie Ragni qui semble être LA chanteuse qu'il fallait pour un tel morceau inspiré des Nocturnes de Chopin. Dans ce même cadre classique, relevons aussi le très épuré "Il Tempo Degli Dei", profondément enlevé et délicat avec ce piano majestueux, une oeuvre qui aurait pu se mêler aux grands classiques du romantisme façon Verdi et qui constitue un bel hommage à l'un des héros de Luca : le mystique italien Gustavo Rol.
Arrivé à ce point, et après plusieurs écoutes minutieuses, on se rend compte du grand chantier entrepris par Luca Turilli et ses longs mois de mixage ou enregistrements à en perdre le sommeil. Le son est à ce niveau très bon, équilibré à l'extrême même si beaucoup regretteront des guitares trop en retrait, mais le travail de Sebastian Roeder était clair : rendre l'ensemble clair afin de mettre en valeur chaque détail. Derrière, chaque musicien ou choriste fait son boulot, mais on sent que le chef d'orchestre Luca Turilli a tout dirigé à l'extrême, amenant même Alesandro Conti encore plus loin vocalement. Le jeune ténor, toujours très à l'aise dans ses médiums et aigus (peut-être un peu trop poussés selon certains), semble s'être encore plus délivré que sur Ascending to Infinity. Il est vrai que son chant en anglais est encore perfectible mais ses prestations en italien sont tout bonnement sans faute.
On pourrait ainsi passer des heures à chercher des défauts à cette nouvelle livraison, mais il est évident que si on aborde cet album en tant que metalleux pur et dur on sera forcément déçu. Mais est-ce bien là l'intérêt ? Prenez ce Prometheus, Symphonia Ignis Divinus comme une bande son gigantesque d'un film à la fois mystique, spirituel et fantastique, et vous en sortirez conquis. Parfois transcendé. A consommer sans modération... si bien sûr vous n'avez aucune crainte de saturation et que vous gardez un esprit musical très ouvert !