Le metal à chant féminin, en Italie, n'est pas une scène des plus connues. Bien sûr, Lacuna Coil perce et joue dans les plus grands festivals et, dans une moindre mesure, Skylark, White Skull ou Theatres des Vampires bénéficient d'une certaine réputation, mais à part ça, en connaissez-vous beaucoup d'autres ? Qu'ils soient mauvais ou bons, les Crysalys, Frozen Flowers, Godyva, Elegy of Madness et autres Mandragora Scream peuplent ce petit monde. Et dans tout ce lot, il existe aussi un groupe arrivant de Milan : Regardless of Me.
Les quatre compères livraient un premier méfait en 2009 baptisé du doux nom de The World Within, avec une pochette qui attirait tout de suite l'oeil. Et ce n'est pas vers le symphonique qu'ils se dirigent, mais vers un genre bien moins populaire, le prog. La galette était foncièrement agréable, mais possédaient des erreurs de jeunesse rebutantes, notamment un manque d'accroche évident dû à des ballades trop fréquentes. Deux années s'écoulent, et les voici de retour ! Signés dès à présent sur le label Unexploded Records, Juin 2011 sonne l'avènement de Pleasures and Fear. Bon, pas bon, potentiel confirmé ou échec cuisant ?
Vous qui reprochiez à Regardless of Me un manque de patate du fait des nombreuses mid-tempos qui peuplaient l'opus précédent, voilà que vous allez vous retrouver sans rien à dire une fois l'écoute démarrée de ce nouveau brûlot. En effet, le tournant musical amorcé la formation est radical, se plongeant dans l'eau trouble et profonde du death metal. Non, rassurez-vous, la belle Pamela Manzo est toujours de la partie, et cette dernière assure encore son rôle de frontwoman. Mais les compositions sont malgré tout en bonne partie alimentées par les growls ravageurs d'Emiliano Sicilia, également guitariste du quatuor. Qu'est-ce que donne le groupe dans cette version, alors ? Soyez encore heureux, les italiens ne quittent pas le progressif, et restent avant tout d'orientation progressive, les changements de rythme, de structures, les passages déconstruits, les longs morceaux, tout ce faramineux cocktail est encore bien présent au travers des pistes qui peuplent l'opus. D'ailleurs, il faut bien admettre que là ou le virage est intégral, c'est que le groupe ne s'accorde pas vraiment de moment de repos, en ne proposant aucune mid-tempo. Voilà donc un véritable disque agressif, hargneux et destructeur, une machine de guerre qui s'impose, à ranger du côté des System Divide et consorts, le côté -core en moins, les ingrédients -prog en plus.
Et dans cet art difficile, Regardless of Me s'en sort drôlement bien, confirmant le potentiel qui semblait avoir été détecté sur l'offrande précédente. Le quatuor mêle avec aisance les deux genres, qui s'imbriquent parfaitement l'un dans l'autre, et, avec quelques petites surprises comme d'inattendues modulations, les italiens parviennent à briser linéarité et monotonie, ce que l'on aurait pu craindre au vu de la ressemblance des morceaux sur le plan de l'énergie. En effet, cela pourrait paraître très lassant d'entendre des titres toujours burnés du début à la fin. Il n'en est rien, car l'ensemble, s'il obéit aux mêmes règles, reste vraiment varié. Seulement, il faut bien trouver quelques défauts, et il faut avouer que Pleasures and Fear n'en est peut-être pas exempt. Les grunts d'Emiliano sont parfois un peu trop présents et n'interviennent pas toujours au bon moment, réduisant légèrement l'espace d'expression de Pamela. « Frozen », reprise de Madonna, est victime de ce petit écart, ce qui reste bien dommage. Ensuite, il est plutôt ardu de trouver une piste qui se détache du lot. Rien n'est mauvais, loin de là, voir même d'une qualité homogène et constante, mais il est difficile de retenir un titre qui sort réellement du lot. Et peut-être aurait-il été plus avantageux d'offrir quelque chose, finalement, d'un peu différent, histoire de montrer que dans d'autres registres, le combo s'est vraiment amélioré. S'il montre son potentiel dans des domaines divers, il manque encore cette petite preuve irréfutable qui aurait pu se faire attendre. Mais ne boudons en rien le plaisir octroyé par l'écoute d'un disque qui donne envie de reprendre espoir dans l'univers du death dès lors qu'une charmante demoiselle vient adoucir les lignes.
Car pour le plus grand plaisir des auditeurs (sauf allergiques aux voix féminines), c'est un duo que nous retrouvons désormais derrière le micro. Emiliano Sicilia et Pamela Manzo forment un duo efficace, qui ne souffre d'aucun essoufflement et maintient un cap d'efficacité du début à la fin. Que ce soit de l'un ou de l'autre, les rôles sont très bien assumés, et les parties vocales assurées presque proportionnellement, la jeune fille gardant malgré tout un tantinet l'avantage sur son compère masculin. Le choix est parfois plus discutable lorsque le frontman utilise ses vocalismes à tort et à travers. Certes, cela apporte une touche d'agressivité et de puissance supplémentaire, les instruments massifs y contribuant également, mais il faut bien admettre que l'on pourrait parfois s'en dispenser, car, qui plus est, la chanteuse Pamela est vraiment remarquable. Sa voix évolue dans un registre très pop, mais reste vraiment très expressive, pleine d'émotion, juste et variée, n'ayant pas besoin d'en faire des caisses pour faire passer des sensations. Douce et agréable autant qu'elle peut monter dans le registre des aigus et prendre une bonne dose d'énergie, sans jamais perdre la main, elle rayonne littéralement et charmera du début à la fin. Elle reste un gros atout pour le combo, qui exploite à merveille son potentiel, de quoi renvoyer les plus machos et les plus sceptiques au placard. Pas de doute, dans un registre ou un autre, la capacité d'adaptation de la belle reste convaincante.
Dès l'introduction « Pleasures and Fear », les milanais annoncent directement la couleur : rage et fougue au programme, âmes sensibles s'abstenir ! Car la suite confirme bien cette tendance, et tous les titres, hormis les passages plus doux sur « From a Darkened Sky » et « My Bitter End », suivent une lignée tranchante et incisive, qui fonctionne à la perfection. Regardless of Me, c'est l'alliance d'une douceur féminine, d'une complexité instrumentale et malgré tout, d'une puissance attractive et de mélodies catchy et accrocheuses. Car les refrains, au schéma parfois pop, sont des petites bombes, restant immédiatement en mémoire. Problème ? C'est le seul point pouvant sembler un peu répétitif, et de la sorte, il n'est pas toujours aisé de greffer dans un recoin de son esprit chaque refrain, dommage, car ceux-ci sont somme toute réussis, et font passer à l'auditeur un excellent moment, tout comme l'album. En revanche, si un morceau est vraiment différent, il s'agit de « From a Darkened Sky », long de plus de 12 minutes, résolument progressif. Pamela y fait merveille, les musiciens s'en donnent à coeur joie, le calme affronte la tempête, une voix claire masculine très agréable s'immisce sur un instant mélancolie acoustique, de quoi placer des feux d'artifices dans les coeurs, et des étoiles dans les yeux. La reprise de « Frozen » est plutôt réussie, et même si les interventions viriles masculines sont un brin dispensables, la demoiselle fait un travail subtil, le titre lui étant tout à fait approprié. Et notre combo ne se contente pas de reprendre le morceau, il s'approprie véritablement la piste, le retravaille dans son genre, laissant la mélodie reconnaissable à des kilomètres, mais avec une touche personnelle, un très beau travail ! A côté de cela, l'écoute sera ponctuée par « Dispositions » et son refrain tout en émotion, « Never Lose Myself » et « Until I Die », les classiques mais agréables, « Made of Steel » et « My Bitter End » qui excellent par une construction de qualité et un petit feeling spécial. Seule « The Way You Are », certes bonne, restera moins dans l'histoire du groupe.
N'y allons pas par quatre chemins pour concéder une franche réussite à Regardless of Me. Plus de 50 minutes de metal progressif saupoudré de death qui prennent aux tripes, des performances honorables par chaque compère, une production excellente, plaçant en valeur chaque élément et dotant le tout d'un son adéquat, une certaine personnalité, voilà ce qui compose Pleasures and Fear. Attention tout de même avec le growl : certes bon, il reste parfois encore trop massif et présent. Mais ce léger écart est pardonné au vu de la qualité de l'oeuvre. De quoi se régaler en 2011 grâce aux italiens. Une écoute hautement recommandée, en somme, au risque de passer à côté d'une pépite.