La pieuvre par 9 !
Amplifier est un trio britannique, de Manchester plus précisément, qui ne laisse personne indifférent : leurs réalisations possèdent toutes quelque chose de particulière, qui colle au groupe et lui donne une identité, ce qui a bâti pour les anglais une petite réputation. Mais il faut bien reconnaître que dans ce monde rock, il n'est vraiment pas simple de s'imposer, et force est de constater qu'en dehors du pays de la reine, la formation n'est pas encore certifiée de lettres de noblesses qu'elle pourrait posséder au sein de son état d'origine.
The Octopus, nouvelle offrande des britanniques en auto-production, possède donc cette lourde tâche de parvenir à convaincre un public qui pourrait se retrouver sceptique à l'approche de la galette qui, il faut l'avouer, ne semble pas commune dès les premiers aspects. En effet, c'est ni plus ni moins 16 titres qui attendent l'auditeur et 2 Cds, de quoi faire le plein de musique, de se gaver du rock progressif d'Amplifier pendant 2 longues heures. La messe étant déjà prononcée, les trois compères n'ont absolument pas le droit à l'erreur pour pouvoir s'imposer et ainsi montrer qu'ils sont capables de percer. Qu'en est-il avec ce nouveau brûlot, dans ce cas ?
Premièrement, ce qui est tout à fait normal avec une telle longueur et tant de pistes proposées, il faut un certain temps avant de pouvoir parfaitement digérer le met. En effet, en plus d'être plutôt long, celui-ci est très, très riche, copieux voir même plus, tant chaque morceau ne ressemble pas au précédent, les richesses et les trouvailles étant présentes à chaque coin de rue. Ainsi, on peut passer de l'atmosphérique à quelque chose de plus puissant et direct comme « Planet of Insects », voir à des titres où les riffs se rapprochent carrément du metal prog, notamment « Interglacial Spell » qui ne laissera pas insensible. Réellement, parfois, c'est difficile, et les moins téméraires pourront rebrousser chemin avant même la fin. Si des pauses sont nécessitées pour certains, alors elles valent quand même le coup d'êtres prises, car il serait dommage de ne pas aller jusqu'à la fin au vu de la puissance, de la beauté de tant de diversité, d'ambiances qui se succèdent et qui, malgré tout, gardent une certaine cohérence. L'opus n'est pas linéaire une seule seconde, les anglais ont bien calculé le coup, de sorte qu'ainsi, il est possible de s'y attarder autant de fois que l'on veut pour y découvrir des nouveautés.
Les influences se font ressentir par instants, et surtout dans les passages les plus psychédéliques, qui possèdent un côté Pink Floyd extrêmement prononcé, période The Dark Side of the Moon, pour lequel les anglais n'ont pas à rougir, car si l'on sent cette petite inspiration, non seulement il est impensable de pouvoir lancer une accusation de plagiat qui serait étonnée en plus d'être absurde, mais en plus, ce qui renforce encore les qualités d'Amplifier, le groupe ne reprend à ses compatriotes que le meilleur, pour ainsi, en l'intégrant à sa musique, avec les plus délicieux ingrédients, régaler les papilles des nostalgiques de cette grande époque pour le rock. En plus de ce type de sonorités, l'incorporation de passages electro mais aussi de quelques petits instants de folie, comme l'introduction « The Runner » ont quelque chose qui va lorgner vers l'islandaise Björk, et nul doute qu'Homogenic de cette dernière soit sur la table de chevet des trois membres du groupe. Mais dans l'ensemble, c'est également à Porcupine Tree, autre combo du pays où il pleut tout le temps, que la musique pourrait évoquer. Ce côté prog n'est pas sans rappeler les oeuvres de Wilson, mais là encore, les deux formations possèdent toutes deux une identité bien définie, ni l'un ni l'autre ne va copier les oeuvres de son voisin, et s'ils tirent chacun un peu de la musique de l'un pour s'en servir dans l'autre, une personnalité inhérente aux deux groupes se dessine.
A la guitare comme au chant, Sel Balamir fait des merveilles et tire vraiment son épingle du jeu parmi de nombreux concurrents dans le rock progressif. Sa voix est définitivement rock, ce qui donne plus d'ampleur à la musique que n'importe quelle autre type de voix aurait pu le faire. En somme, un choix gagnant avec ce frontman talentueux, qui, en plus de tout cela, parvient à faire naître l'émotion dans tout ce qu'il touche, avec une interprétation pleine de finesse, de subtilité, une magie qui se produit dès lors qu'il entre en contact avec la musique. Une osmose renforcée par une excellente production qui sait mettre en avant les détails, les subtilités, et rendant sa voix encore plus attachante lorsqu'elle est placée sur le devant de la scène.
Les titres sont, comme vous l'aurez déjà compris, totalement différents les uns des autres, et aucun n'est interchangeable, chacun possédant une place. A vrai dire, il est dur d'en dégager un, le tout forme un monolithe dans lequel il faut plonger tête la première et se lancer dans l'écoute sans broncher. Les titres sont plongés dans un vrai contexte, par conséquent, dur d'en citer un qui sera meilleur qu'un autre, qui aura véritablement marqué, ou au contraire déçu, c'est à la fois une grande force et une faiblesse pour Amplifier. Ce côté compact leur assure un pur gage de qualité, une marque certifiée dans les rayons « joyaux », mais il manque un petit quelque chose qui fait toute la différence sur un ou deux titres. Mais puisqu'il faut bien parler de quelque chose d'appréciable, alors « Interstellar » n'ennuie pas ne serait-ce que l'espace d'une seconde et, entre ses arrangements electro et son côté rock puissant mêlé aux touches progressives, voici donc une petite pépite, et d'autres l'accompagne. « Minion's Song » ou « Interglacial Spell » sont des morceaux qui interpèlent dès le début, et ne quittent pas votre esprit, là où « Trading Dark Matter on the Stock Exchange » est un bijou atmosphérique avec quelques réminiscences sur le dernier Anathema. En clair, un vrai moment d'extase où vous ne risquez pas de vous ennuyer. Petite mise en garde, on reste devant un disque ésotérique, difficile d'accès et où seuls les armés de courage réussiront à ressentir toute la beauté de l'oeuvre.
Pas besoin d'y aller par quatre chemins, il faut dire ce qui est, ce The Octopus est une franche réussite. Des détails à foison, fourmillant de petits éléments intéressants, qui valent le détour, des pistes aussi bonnes les unes que les autres, une production au top et un chanteur à la voix expressive et bourrée d'émotions, c'est la recette qui compose l'excellent rock progressif d'Amplifier qui s'élève parmi les plus grands. Attention tout de même aux impairs, car trop de complexité peut très vite fait peur et déstabiliser les moins aguerris. Ce nouvel album se doit d'être maîtrisé, d'y revenir, écoutes après écoutes, avant d'en tirer toutes les leçons et la finesse. Une galette magistrale, l'une des meilleures de l'année.