Instant Karma ?
par Le Boucher Slave
Le classicisme a du bon...
Le vieil adage me ferait également dire que "c'est dans les vieux pots que l'on fait les meilleures soupes", mais en l'occurrence, KARMA TO BURN ne donne pas dans la "soupe" justement...
Ni dans la facilité.
Là où certains groupes d'aujourd'hui jouent encore "les yeux dans le rétro" (WITCHCRAFT et autres GRAVEYARD pour ne citer que les plus talentueux), et ce, sans jamais décoller des 70's, ni de leurs (bonnes) vieilles recettes, et bien souvent ... sans décoller du tout d'ailleurs!, les p'tits gars de KARMA font tranquillement leur petit bonhomme de chemin, sans avoir besoin de se retourner tant la remorque BLACK SABBATH/BLUE CHEER/LED ZEPPELIN est déjà de toute façon solidement arrimée à leur bahut.
On a donc affaire ici à du 'stoner', les derniers arrivés l'auront deviné, avec cette formation américaine de Virginie occidentale, formée en 1994 et qui s'est notamment acoquinée avec les mecs de KYUSS (John Garcia a chanté sur un titre de leur précédent méfait de 2010, que le bassiste Scott Reeder a également produit). Mais ce qui démarque notablement les KARMA de bon nombre des combos de ce genre, c'est qu'il donne majoritairement dans l'instrumental. Ce qui leur permet une liberté musicale et d'expérimentation totales, et, convenons-en, leur confère une moins grande accessibilité. Autre particularité : celle de donner à ces pièces instrumentales, au fil des albums, des numéros et non des titres.
Si le premier petit 'gimmick' de guitare en introduction de 'Forty-Seven' (le premier morceau de 'V' est donc un instrumental...) annonce clairement le feeling et le 'groove' du style des Ricains, avec ce petit côté 'southern rock'/hard-rock sympa digne d'un rade enfumé de la route 66, le groupe ne tarde pas à durcir son propos dans le son et c'est à quelque chose de bien plus lourd et 'graisseux' encore qu'il faut s'attendre par la suite, avec ce riff froid et tranchant que ne renierait pas l'actuel DARKTHRONE (notamment avec son morceau "These Shores are Damned") s'il s'adonnait davantage aux mid-tempos, ou tout autre groupe de 'black n' roll'.
Parler d'un combo de black-métal norvégien dans cette chronique peut paraître incongru, pourtant c'est signe que KARMA TO BURN parvient à dégager des 'atmosphères' d'une musique pourtant brute et exécutée dans sa forme la plus dépouillée (guitare/basse/batterie), réussissant tour-à-tour à évoquer le vide du désert Américain où quelques bourrasques viennent balayer les touffes d'herbes et les brindilles, ou bien la froideur et le silence des montagnes des Appalaches, ou encore l'odeur d'huile d'un moteur surchauffant sous le cagnard, sur une route qui n'en finirait pas (toutes ces ambiances sont notamment palpables sur les titres 'Fifty' et 'Forty-Eight').
On ne tarde donc pas à se laisser envelopper par 'l'aura' de ce disque, même si l'on ne tarde pas non plus malheureusement à noter certaines longueurs et répétitions qui empêchent de porter cette dimension 'cosmique' de bout en bout. Au moins, le groupe ne reste pas dans un registre purement 'rock n' roll' dans lequel bon nombre de ses comparses se complaisent en nous rabâchant des morceaux typiquement 'plug and play' et sans grand relief, misant uniquement sur l'efficacité.
Quand il s'agit de faire parler la poudre, les KARMA TO BURN savent eux aussi toutefois sortir les bonnes armes de leur arsenal. Notamment cette basse, à la fois ronde et ronflante à souhait. Un peu comme si Geezer Butler avait copulé avec Lemmy (c'est vous dire si ça sent le poil!^^)
A ce niveau, la 4-cordes sur 'Forty-Eight' est volubile, galopante, 'Sabbathienne' en diable! Chapeau bas, Monsieur Rich Mullins! Le côté 'heavy' prononcé, et quelques riffs pas piqués des vers donnent lieu à de bonnes séances de 'headbanging' à l'écoute...
La batterie est percutante et sonne de manière très naturelle, ce qui lui donne ce côté 'instinctif' et sauvage, même si elle développe des roulements et breaks plus recherchés.
Malgré tout, KARMA TO BURN ne parvient pas à mon sens tout à fait à ses fins.
Les longueurs et le sentiment de répétition déjà signalés plus haut finissent par conférer à cet album, en dépit du côté travaillé des morceaux, un aspect de grande 'jam' de garage, plaisant au début mais un peu lassant à la longue, surtout quand le groupe retombe dans du stoner plus 'basique' sur la dernière moitié de l'album. La production dépouillée vient renforcer cette impression, le son bien que massif et percutant conserve un côté un peu brouillon -principalement dans les fréquences graves- trop "ronronnant". Et l'aspect purement instrumental combiné à tout ceci donne une tournure d'improvisation prétentieuse assurément non voulue à cette galette (ces riffs 'catchy' sont peut-être bien sympa, mais pas tous transcendants non plus, et les mettre ainsi en avant sans autres additifs reste un peu léger pour les attentes d'un 'metalhead' en 2011).
Dommage que ce côté 'décousu' fasse au bout du compte perdre beaucoup de son impact à cet album. C'est notamment flagrant lorsqu'on s'attaque aux morceaux 'chantés', efficaces à souhait (avec, on s'en serait douté, une influence très 'Osbournienne' du 'guest' Daniel Davis -comparse de Mullins dans YEAR LONG DISASTER- mais également une nonchalance plus typique d'un Robert Plant), et l'on se dit alors que placés en début d'album, avec les morceaux instrumentaux venant aérer çà et là, on aurait tenu là un disque un peu plus irréprochable. Un track-listing différent aurait clairement pu changer la donne, mais peut-être était-ce aussi le souhait du groupe que de déstabiliser un peu l'auditeur à ce niveau-là, ou bien de l'imprégner d'abord de son univers sonore avant de lui déballer toute son efficacité.
Ils sortent les bonnes armes, oui, mais pas toujours au bon moment. Ainsi, le solo de guitare de tueur sur l'imparable 'Jimmy D' nous fait clairement regretter de ne pas avoir davantage entendu Davis en deuxième guitare et dans ce registre-là plus tôt dans l'album...
Sentiment mitigé pour ma part, donc. Classique sur le fond et aventureux dans la forme, il ne manque maintenant qu'un petit quelque chose encore pour quitter le trop 'classique' justement et tendre vers le vraiment "classieux". Une prochaine fois peut-être? Il faudra en tout cas sonder un peu les festivaliers qui les auront vus sur les planches au Hellfest cette année, pour savoir ce qu'ils envoient en live...
6/10
LeBoucherSlave
PS : un mot sur la reprise du 'Never Say Die' de BLACK SABBATH en titre final (vous savez, le morceau que tout le monde connaît - surtout grâce à la version d'OZZY sur son Speak of the Devil- mais dont personne n'a acheté l'album éponyme!^^) : bien sympathique au demeurant, mais on aurait préféré une autre composition de leur cru à une reprise sur un album de 8 titres!