Il arrive que des sorties passent relativement inaperçu aux yeux de la communauté, alors que leur impact sur un genre est parfois grand. Les exemples dans l’histoire ne manquent pas, et c’est ce type de phénomène qui a probablement frappé .neon, le deuxième album de Lantlôs qui fête ses cinq ans ce mois-ci. Un disque qui marquait le début de la collaboration entre Herbst et Neige, le premier s’occupant d’enregistrer la totalité des instruments, le second de poser sur l’ensemble son chant torturé, totalement différent de celui d’Alcest.
Vous l’aurez compris, on parle bien ici de post-black metal, un genre somme toute assez récent mais qui a ces dernières années donné naissance à un nombre incroyable de groupes, d’un niveau qualitatif souvent très bon. Seulement voilà, dans cette jungle, être bon ne suffit pas et il faut être capable de sortir le chef-d’œuvre qui fera basculer votre destin. Or c’est simple, Lantlôs réussit sur .neon à trouver l’équilibre parfait que tant de groupes ont cherché en vain à atteindre pendant des années : donner une personnalité forte et différente à chacune des chansons, tout en restituant un ensemble homogène.
La réussite de la démarche tient à un parti pris initial simplissime : enfin oser affirmer la basse comme instrument principal d’un album de black metal. Une basse qui tout au long de l’écoute nous fait connaître toutes les émotions, se faisant lente et langoureuse sur « Minusmensch » ou rapide sur «.neon ». Dans un genre musical où sont d’habitude privilégiées les ambiances froides et sombres, les Allemands injectent grâce à cela une certaine chaleur, sans pour autant lorgner vers les compositions chatoyantes d’Alcest. On est à la fois très proche et très loin du projet principal de Neige, qui chante ici comme on l’a rarement entendu chanter. Le Français hurle sa mélancolie avec cette technique de scream si particulière qu’il utilise d’habitude avec parcimonie mais qui éclate ici au grand jour sur tout un album. Les rôles sont inversés, si bien qu’on retrouve son chant clair uniquement sur « Pulse/Surreal », lorsque le duo se fait plus doux pendant quelques minutes.
Bien que la basse ait donc une place de choix sur .neon, les autres instruments ne sont pas en reste et confèrent aux compositions une atmosphère de douce mélancolie. Les mélodies jouées à la guitare par Herbst sont assez classiques du genre, mais elles finissent toujours par acquérir ce petit détail qui les rend vite inoubliables comme celle de « These Nights Were Ours », le tube de l’album auto-désigné ainsi en raison de sa brièveté. La batterie, encore assurée par Herbst (avant de laisser son compère Felix Wylezik s’en charger sur les albums suivants) est elle aussi plutôt discrète exceptée sur la chanson-titre « .neon ». Sur les autres titres, sa présence se fait surtout sentir par le biais de changements de rythmes qui font souvent chavirer l’auditeur, passant de blast beats impromptus à des rythmes bien plus lents, évoquant les batteurs de jazz.
Car oui, cet album possède bien une façade jazz indéniable, complètement assumée notamment sur le titre d’ouverture « Minusmensch », et son break basse/piano totalement hallucinant. A ce jour, Lantlôs reste un des seuls groupes à avoir osé ce mélange jazz/black metal de façon aussi maitrisée alors que bien peu ont tenté l’expérience. La prépondérance de la basse joue évidemment beaucoup dans cette impression, si bien qu’elle se diffuse un peu partout à travers le disque, de « Pulse/Surreal » à « Coma ». Profitant de la présence d’un vocaliste français, Herbst se fend également d’une composition dans notre belle langue, « Neige de Mars ». Un titre au final représentatif de l’ensemble, puisqu’il suit une progression diaboliquement simple et répétitive, mais ponctué d’un break incroyable qui redistribue totalement les cartes et donne à la chanson une émotion intense.
Avec cette sortie, Lantlôs a réussià définir un genre, que Herbst son leader expérimentera de nouveau avec plus ou moins de succès par la suite, avec et sans Neige. Ce coup de génie resté finalement assez confidentiel n’en reste pas moins un album qui marque l’auditeur du début à la fin, par ses arrangements travaillés et son ambiance caractéristique, froide mais parfois étrangement chaude et jazzy. Une expérience sensorielle atypique dans le microcosme du post-black metal et dont peu de sorties du genre sont parvenues à égaler l’intensité.