Auteurs d’un premier album intitulé Angel’s Necropolis en 2012, et de trois EP, dont le dernier remonte à tout juste neuf mois, les suédois de Year Of The Goat reviennent avec un second effort longue durée. Malgré le titre de la galette, nous allons parler en long et en travers de The Unspeakable, et répondre à la question qui taraude tous les fans : ce second opus arrive-t-il à surpasser le premier ?
La réponse à cette interrogation est comme souvent relativement complexe et à nuancer. L’album s’avère assez inégal, et ce n’est qu’au fil de nombreuses écoutes que l’on peut apprivoiser une œuvre a priori assez simple, ainsi que toutes ses subtilités qui se révèlent peu à peu.
Plus encore que dans Angel’s Necropolis, on peut tenter de décrire la musique de Year Of The Goat comme un croisement improbable entre leurs compatriotes encensés de Ghost, et l’énorme machine à stades de Muse. Il est en effet difficile de ne pas comparer la tessiture claire et pure du chanteur Thomas “Sabbathi” Eriksson à celle de Matthew Bellamy, les deux vocalistes partageant un timbre particulier très appréciable.
C’est notamment le cas sur l’incroyable titre qui ouvre les 57 minutes de The Unspeakable, “All He Has Read”. Celui-ci, avec presque les treize minutes au compteur, constitue un fabuleux voyage progressif à la structure aussi fluide que variée. A une longue introduction tribale et percussive mêlée à un flot de chuchotements inversés dans la plus pure thématique satanique et occulte associée au groupe, une excellente ligne de guitare déboule, très propre et polie, évoquant presque les maître du metal progressif, que nous ne vous feront pas l’affront de citer. La voix finit par pointer son nez après plusieurs minutes, et impressionne d’emblée par son rendu, et par les choeurs harmonisés magistraux et grandiloquents qui lui sont associés.
Ces sonorités rappellent déjà les envolées de Matthew Bellamy, et pourraient presque représenter ce que serait devenu le groupe Muse s’il avait réussi son évolution vers des morceaux jugés par beaucoup trop pompeux.
Le morceau s’avère être découpé en plusieurs parties qui pourraient quasiment être des pistes différents, mais qui constituent malgré tout une suite logique et cohérente. Lorsque dans la seconde partie, le chant liturgique et maîtrisé joue dans le aigus sur un effet chevrotant très travaillé, sur un fond de riffs rétros aux flangers délicieusement vintage, le côté occulte du groupe semble peu à peu se déployer.
L’énorme opener s’achève déjà sur un final de guitares harmonisées - prouvant les références années 70 et 80 des Suédois - sur fond éthéré très réussi. Puisqu’il est question de guitares, on remarque dores et déjà que le travail à trois guitares est très soigné et réfléchi. Le son est massif, précis et très riche : les doublages sont rares, et les lignes se complètent souvent dans une parfaite alchimie. Les parties lead, pour leur part, compensent leur relative simplicité par des effets variés et prononcés qui ne tombent jamais dans l’excès.
Par la suite, le chemin emprunté par les Year Of The Goat semble moins assuré : les morceaux plus rock au tempo soutenu, comme “Pillars Of The South” ou encore “Vermin”, viennent apporter du punch et contrastent avec les morceaux plus lents et sombres du disque. Ces morceaux plus directs sont pour certains de véritables hits live en puissance, mais ils contribuent à l’impression d’avoir un disque parfois redondant entre les mains.
Heureusement, plusieurs pistes présentent un grand intérêt, notamment grâce au chant, qui laisse Thomas Eriksson exprimer toute l’étendue de son registre de styles au fil des titres. Ainsi, “World Of Wonders” propose après une introduction massive et imposante un rythme syncopé entêtant, qui voit se poser une voix tourmentée semblable à ce que pouvait offrir Jeff Buckley sur ses compositions les plus sombres. Les refrains sont l’occasion pour le vocaliste de pousser sa voix jusqu’à un subtil éraillement des plus agréables.
“The Wind” propose également un timbre de voix différent, qu’il est difficile de ne pas associer aux Sisters Of Mercy sur les couplets : sur un fond de groove à la basse, les paroles graves sont relevées d’une pointe de chorus, et accueillent à intervalles réguliers un orgue Hammond au son légèrement crunchy.
Les variations rythmiques sont nombreuses, et on peut d’ailleurs saluer le travail du batteur Fredrik Hellerström, dont le jeu polyvalent sert la qualité générale de l’album. Les signatures rythmiques sont par exemple changeantes, et deux titres ternaires viennent chambouler la cadence de The Unspeakable. Le premier, “The Emma”, voit son refrain donner son nom à l’album, et offre un quasi-doom reprenant certains codes du blues (!). Les choeurs cérémonieux et solennels succèdent à une introduction usant et abusant des tritons, pour une ambiance macabre et puissante des plus réussies.
Seconde pièce ternaire, “Riders Of Vulture” clôt magnifiquement le disque, grâce à une seconde partie compensant aisément les facilités que l’on pourrait reprocher à la première. The Unspeakable s’achève ainsi par des cris plaintifs du chanteur, dans une ambiance d’apocalypse, sombre et maléfique, qui s’est malheureusement faite attendre pendant la seconde partie du disque.
Concernant la production, si cette dernière pourrait en premier lieu être critiquable, à la lumière des moyens techniques disponibles aujourd’hui, le souhait du groupe de sonner vintage sans être caricatural vient contredire ce potentiel jugement hâtif. La batterie par exemple, qui peut sembler un brin distante et diffuse au premier abord, s’avère finalement être un élément prépondérant de la patte sonore de Year Of The Goat, en ajoutant à l’aspect entêtant des mélodies, qui enveloppent l’auditeur telles un voile musical éthéré dû au malin.
En définitive, Year Of The Goat signe avec ce second opus une oeuvre inégale, qui n’en est pour autant jamais mauvaise. Certains passages sont une pure réussite, et seuls quelques morceaux de remplissage sont à déplorer. Pour le reste, les fans seront ravis par les nouvelles compositions, que l’on est impatients de découvrir en live. Le groupe maintient son identité propre, et continue de mûrir sans faire de concession. Encore un groupe qu’il va falloir surveiller de près durant les prochaines années !