" Je suis comblé avec Between the Buried and Me"
Quelques heures avant le troisième concert de la carrière de Between the Buried and Me à la Maroquinerie, La Grosse Radio s’est entretenue avec Paul Waggoner. Membre fondateur et guitariste du groupe, il est revenu sur les choix artistiques que les Américains ont mis en avant sur Coma Ecliptic, leur dernier chef d’œuvre. Nous avons également évoqué le concept développé dans cet opus, ainsi que la place de cet exercice dans la musique progressive. Le musicien nous a également confié pourquoi le groupe a choisi de faire confiance à Haken pour ouvrir sur cette tournée européenne. Entretien avec une étoile montante du metal progressif.
Bonjour Paul. Merci de nous accorder cette interview. La tournée européenne a débuté il y a quelques jours. Comment se passe-t-elle jusqu’à présent ?
Jusqu’à présent tout se passe très bien. Nous avons donné beaucoup de concerts en Angleterre et aujourd’hui c’est notre premier concert de la tournée sur le continent européen à proprement parler. Paris va donc être le point de départ de la vraie tournée européenne !
Vous allez promouvoir Coma Ecliptic, votre nouvel album sorti il y a deux mois. Peux-tu nous expliquer le concept développé dans cet opus ?
L’histoire parle précisément d’un homme qui se retrouve dans un coma, qu’il a lui-même provoqué, dans le but de trouver une vie meilleure. Il voyage dans ses vies antérieures dans le but de retrouver celle où il était le plus heureux. Chaque chanson représente l’une de ses vies passées, une étape dans son voyage.
Il n’y a aucune relation entre Coma Ecliptic et les deux Parallax ?
Non, aucune. Enfin, il y a une chanson sur laquelle Tommy (Rodgers, chanteur de BTBAM NDLR) a évoqué une sorte de connexion. Mais il a fait ça seulement pour le côté fun. Les histoires sont tout de même très différentes.
Les albums concepts font partie de votre identité et de votre discographie depuis la sortie de Colors (2007). Est-ce un passage obligé pour un groupe de metal progressif ?
Je ne pense pas que nous soyons obligé de le faire, mais nous aimons simplement cela. Le type de musique que nous écrivons a beaucoup de dynamiques, des climax et des moments plus posés. Cela nous évoque vraiment une ligne directrice comme un scénario, une intrigue. La musique que nous écrivons s’y prête particulièrement bien. Et nous aimons beaucoup écrire des albums concepts. Cela ne veut pas dire que nous le ferons à chaque fois. Mais c'est bien de le faire. Mais tu peux être dans un groupe de prog et ne pas écrire de concept du tout. Pour moi, faire du prog correspond plus à l’idée de vouloir repousser des limites en terme de créativité. Tu n’es absolument pas obligé d’écrire des albums concepts. Mais ça reste quelque chose qu’on aime faire parce que c’est fun, c’est un challenge.
Coma Ecliptic possède plus de parties en chant clair et moins de growl que sur les albums précédents. Etait-ce quelque chose que vous aviez en tête avant d’aborder le processus de composition ?
Hum…(il hésite) Pas vraiment. Nous savions que la musique serait moins agressive, avec moins de riffs inspirés du death metal. Il y en a tout de même, mais dans l’ensemble les riffs sont plus mélodiques. Je pense que c’est la raison pour laquelle Tommy a essayé de travailler sur des parties de chant plus adaptées à la musique. Cela aurait été bizarre d’avoir du growl sur un riff mélodique. Je pense qu’il a vraiment essayé de trouver le style vocal le mieux approprié à la musique. En raison du concept, il a aussi tenté de narrer au mieux l’histoire…
Et de s’approprier et différencier les personnages ?
Oui exactement. Tout cela joue un rôle dans sa façon de chanter. Sur un passage il va faire du chant hurlé, puis du chant clair. Sur « Ectopic Stroll » il prend même une voix bizarre, comme dans un cirque. Je pense qu’il réagit seulement à la musique à travers son interprétation.
Je trouve cet album également plus cohérent que les précédents, plus homogène. Penses-tu que la stabilité du line-up depuis Alaska (2005) en soit la raison ?
Oui cela doit jouer. C’est vrai que cela fait un long moment que ce line-up est stable. Dix ans déjà ! A chaque album, l’alchimie entre les membres devient de plus en plus forte. Nous devenons également plus vieux et plus matures en tant qu’individus à chaque entrée en studio. C’est vrai que nous sommes sur la même longueur d’onde d’un point de vue créatif. Et puis nous sommes aussi meilleurs musiciens qu’à l’époque. En 2005, nous essayions de trouver notre son, et maintenant nous tentons de le développer à chaque album. Nous avons plus d’expérience et nous nous faisons plus facilement confiance. C’est un environnement de travail plus confortable pour écrire et trouver des idées. Effectivement, je pense que cela a un impact important pour composer des albums plus élaborés. Si le line-up était nouveau, cela serait plus difficile à mettre en œuvre.
Qui apporte les idées et la base des morceaux pendant le processus de composition ?
Nous tous. Nous écrivons tous ensemble. D’abord individuellement, puis nous mettons les idées en commun, par des échanges de fichiers ou en se retrouvant en salle de répétition. Puis chacun ajoute sa patte, apporte une seconde idée qui développe la première. Quelquefois les titres démarrent sur des idées vraiment simples. Cela dépend, mais nous essayons d’organiser toutes nos idées en groupe.
Depuis la sortie de Parallax, il y a de plus en plus d’influences électroniques dans votre musique. Penses-tu que le travail solo de Tommy en soit la raison ?
Je ne sais pas si son travail solo a une influence dans notre musique. Mais en tant que musicien, il évolue, devient meilleur en tant que claviériste. Il est plus à l’aise avec les éléments électroniques. Dan (Briggs, basse NDLR) écrit également des parties électroniques de son côté. Comme je disais tout à l’heure, en vieillissant nous développons nos envies musicales et nous apportons des choses différentes au groupe. L’important c’est que ce que Tommy apporte nous plaise et que nous aimions utiliser ce qu’il écrit pour BTBAM. Sur le nouvel album, c’est vrai que le clavier a servi pour écrire beaucoup de passages.
Comme sur « Dim Ignition » par exemple…
Oui, « Dim Ignition » ou encore la chanson « Coma Machine ». Le premier riff sur cette dernière a été créé au clavier et a servi de squelette. Dans le passé, en 2004-2005 nous n’aurions jamais procédé de la sorte. Mais aujourd’hui, cela nous paraît naturel à faire.
Ce soir, c’est également la troisième fois que vous jouerez dans cette salle parisienne de la Maroquinerie…
(il coupe) Oui, nous ne grossissons toujours pas ! (rires) Plus sérieusement, c’est bien de jouer ici. Nous aimons toujours jouer à Paris, car en général on vient directement d’Angleterre où nous écumons les très petites salles. Ici, il y a 400 personnes, ce qui est vraiment bien ! Il y a toujours beaucoup d’énergie quand nous jouons dans cette salle, c’est l'un de nos endroits préférés pour jouer en Europe, avec Amsterdam.
Haken va ouvrir pour vous ce soir et pour le reste de la tournée. Les avez-vous personnellement choisis pour cette tournée ?
Nous les avons effectivement choisis car nous adorons ce qu’ils font. Pour moi, The Mountain (le dernier album d’Haken NDLR) est un chef d’œuvre. C’est un vrai groupe progressif, qui mélange des influences plus anciennes comme Gentle Giant avec des passages plus modernes. Et ils sont vraiment bons en live ! En plus, ce sont des mecs super sympa.
Mike Portnoy (ex-Dream Theater) vous a découvert et vous a donné un coup de main en vous invitant à la Prog Nation en 2008, puis quelques années après il a fait de même avec Haken. Cela a-t-il établi une sorte de relation entre BTBAM et Haken ?
Non, nous connaissions Haken avant Mike Portnoy ! Mike est très impliqué dans la recherche de nouveaux groupes de prog. Il nous a filé un coup de main en 2008 et c’est vrai qu’il a aidé Haken également. Mais il est juste très ouvert d’esprit et adore dénicher des nouveaux groupes. Mais c’est juste une coïncidence ! C’est Dan qui m’a fait écouter en premier Haken. J’ai trouvé cela vraiment bon. Mike a du découvrir Haken en raison des influences de ces derniers, très axées dans le prog classique, qu’il adore. Il a également découvert Pain of Salvation à l’époque. Mais nous aimions Haken avant Mike ! (rires)
Un peu plus tôt dans votre carrière vous avez choisi d’enregistrer un live sans public (The Parallax Future Sequence : Live at the Fidelitorium). Ce choix rappelle Pink Floyd et le live à Pompei. Etait-ce une forme d’hommage ?
Oui en quelque sorte. Radiohead a également procédé comme cela. Nous trouvions cela cool car nous avions déjà fait un album live avant (Colors Live NDLR), qui reposait beaucoup sur l’énergie du live et de la foule. Cette fois-ci nous voulions mettre l’accent sur la musique et sur notre interprétation de façon simple. De plus, beaucoup de nos fans nous avaient déjà vu en concert. C’était l’occasion de leur montrer quelque chose de différent. C’était un vrai challenge. Car quand tu joues en public, tu peux te laisser porter par l’énergie. En studio tout doit être parfait, et c’est quand même assez difficile à faire ! (rires). Et pour les musiciens, c’est vraiment intéressant de pouvoir regarder plus précisément quels plans nous jouons.
Pourquoi ne pas avoir intégré également les trois titres de Parallax : Hypersleep Dialogues ?
Bonne question, je ne sais pas ! (rires). Peut-être parce que ça nous donnait trop de travail (rires). Nous aurions probablement dû le faire, mais à ce moment précis nous n’avions plus joué de titre de Parallax I depuis longtemps. Donc nous n’aurions pas forcément pu les jouer correctement (rires).
Ces chansons sont donc difficiles à répéter même pour vous ?
Oui. Hier, Tommy et moi avons discuté des morceaux que nous voudrions rejouer en live. Nous avons évoqué l’idée de rejouer "Informal Gluttony" de Colors, mais je me rappelle plus du tout comment la jouer. C’est la raison pour laquelle je publie les partitions sous forme de tab books, pour pouvoir m’y replonger de temps en temps et voir si je suis encore capable de les jouer. Quand j’apprends une nouvelle chanson, une ancienne sort de mon cerveau ! (rires) C’est horrible ! (rires). Mais Dustie (Waring, second guitariste du groupe NDLR) a un cerveau bizarrement conçu, il se rappelle de tout. Même des chansons du premier album éponyme que j’ai écrites et dont je ne me rappelle pas. Et il ne jouait même pas sur cet enregistrement !
Quels groupes écoutes-tu actuellement, si tu as le temps d’en écouter ?
J’écoute probablement moins de musique que les autres membres du groupe. Surtout en tournée, car après un concert, je n’ai pas envie d’entendre quoi que ce soit ! Mais je n’écoute pas tant de metal que ça. J’écoute régulièrement les albums d’Haken ou Pain of Salvation. Mais souvent j’aime les albums de guitare acoustique, très reposants. Je suis fan d’un gars qui s’appelle David Rollins, qui fait quelque chose qui s’apparente à du folk/bluegrass. Il est très bon et a une très belle voix. Et je vais peut-être te surprendre, mais j’adore le nouvel album de Weezer ! (rires). Pendant longtemps je n’ai pas écouté ce qu’ils faisaient car je trouvais que c’était de la merde. Mais le dernier est vraiment bien ! Dan, de son côté, écoute vraiment de la musique bizarre et complètement barrée, d’avant-garde. J’aime un peu ce style aussi, mais en restant dans les choses plus classiques comme John McLaughlin, Mahavishnu Orchestra, Alan Holdsworth… Mais même eux paraissent normaux à côté de ce que Dan écoute ! (rires)
Quels sont vos plans pour le futur ?
Nous voulons jouer dans plus de festivals, comme le Hellfest que l’on a fait il y a deux ans. Je pense que nous allons être sur les routes pendant encore deux semaines, puis nous rentrerons chez nous avant de refaire une tournée américaine. Les tournées là-bas sont vraiment très longues. Au moins cinq ou six semaines complètes. Puis après cela nous essayerons d’aller en Australie, Nouvelle-Zélande puis au Japon, avant de revenir en Europe. Nous avons beaucoup de dates à venir ! (rires).
Qu’est-ce que cela te fait de savoir que ta musique est écoutée partout dans le monde ?
C’est vraiment bizarre. C’est génial, mais c’est bizarre. Même ici, le fait de voir des gens qui ont écouté et qui aiment ce que nous avons écrit, c’est super. Au Japon, en Australie ou au Mexique, les gens ont entendu notre musique ! Et ils la connaissent bien, j’ai du mal à y croire ! J'ai vraiment de la chance !
De quel album de ta discographie es-tu le moins fier ?
Le moins ? (rires) C’est vraiment une bonne question ! Je ne sais pas ! Sur chaque album je suis fier de ce qu’on a fait au moment où nous l’avons fait. Le premier album est peut-être le plus déconnecté de ce que nous jouons aujourd’hui. Il est très prog, très mélodique et très hardcore. Je ne ressens pas une profonde connexion avec cet enregistrement, car c’était il y a très longtemps, j’avais 22 ans à l’époque. J’en ai 36 aujourd’hui. Je suis quelqu’un de différent. Mais malgré tout, je reste très fier de ce qu’on a fait à l’époque. Si je l’écoute aujourd’hui, c’est vrai que je risquerais de grimacer en entendant certains passages. Mais je n’ai aucun regret !
As-tu déjà songé à enregistrer un album solo ?
Je me sens comblé avec la musique de BTBAM. Pendant un moment j’ai songé à faire un album solo axé sur la guitare. J’avais même commencé à écrire de la musique pour ce projet. D’ailleurs le début de "Famine Wolf" (sur Coma Ecliptic NDLR) est venu quand je travaillais pour cela. Puis je me suis rendu compte que ça irait bien dans un titre de BTBAM. Si je fais un album solo, il faudra que ça soit totalement différent, plus acoustique. Mais je suis heureux avec ce que j’écris pour Between. Dan et Tommy ont leurs projets solos, mais moi je suis comblé avec BTBAM.
Merci Paul. As-tu un dernier mot pour nos lecteurs ?
Merci à tous pour votre soutien, et nous avons hâte de jouer devant vous ce soir ! Et les fois suivantes, et qui sait, peut-être que cette fois-ci, nous nous produirons enfin dans une plus grande salle ! (rires)
Merci à Roger Wessier.
Entretien réalisé à la Maroquinerie le 25 septembre 2015 par Tfaaon et Watchmaker
Photographies live : © 2015 Arnaud Dionisio/ Ananta
Toute reproduction interdite sans autorisation écrite du photographe.