Jusqu'à ce que la peur ne nous définisse plus... Tout un programme ! Tel est le titre traduit en français du 3ème opus des finlandais de Ghost Brigade, sorti hier 19 août chez Season of Mist. Comme si cet intitulé était prémonitoire d'un changement, d'une évolution, d'une progression vers des sphères plus "positives", plus optimistes... Il est vrai que le précédent brûlot Isolation Songs était quelque peu sombre et empreint d'un pessimisme accablant, mais pour un résultat artistique sensationnel et une place parmi les meilleures sorties de l'année 2009. La barre est donc très haute au moment de découvrir cette nouvelle offrande...
Le nom de l'album laisse peut-être présager ce postulat, mais il semble certain ici que Ghost Brigade ne cherche pas à copier les canons d'un Isolation Songs qu'il savait inégalable et inimitable. Non, le combo finlandais avance et s'approprie d'autres touches tout en gardant son côté froid et énergique. Sauf qu'ici les choses changent sans véritablement changer, ce qui devrait en dérouter certains.
Il serait potentiellement facile de minimiser la portée artistique de ce Until Fear No Longer Defines Us si on s'amuse à le comparer à son prédécesseur. La tentation s'avère trop grande, tant est si bien que chaque chroniqueur sera certainement tenté de le faire à ses risques et périls. Cet éceuil semble cependant difficile à éviter, pour des raisons plus mystiques que personnelles, après tout il est complexe de s'effacer un tel chef d'oeuvre de l'esprit...
Sur ce nouveau disque, tout démarre en douceur, avec une introduction qui n'en est pas vraiment une mais qui ne constitue peut-être pas ce que l'on pourrait appeler une "chanson à part entière". Ultra minimaliste (une guitare, quelques claviers ambiants, un chant calme et presque suggéré), cet "In the Woods" ajouterait presque un côté folk à la musique éthérée et si personnelle de nos amis finlandais. Cependant, l'idée semble ici non aboutie, et l'enchainement avec "Clawmaster" s'avère brutal alors qu'un développement aurait pu être attendu (rappelons-nous du sublissime "Birth" sur l'opus précédent, décliné sur 9 minutes de bonheur et un peu dans cette même atmosphère).
Ainsi le reste de l'album s'enchaîne mécaniquement, piste par piste, des compositions souvent raffinées et riches en subtilité mais... Mais quoi donc ? Voilà le souci, nous ne parvenons pas à comprendre, à complètement rentrer dedans, du moins à s'immerger pleinement dans le génie du groupe ici largement suggéré mais pas suffisamment offert à notre âme. Un peu comme si cet album se réservait à ses créateurs, n'ouvrant pas la porte nécessaire à sa contemplation. Frustrant quelque peu l'auditeur lambda qui ne sait ainsi sur quel pied danser.
Car autant Isolation Songs ouvrait ses portes, bien que difficiles à enfoncer au premier abord, à une large richesse palpable par n'importe quel pélerin perspicace et avide de sensations fortes ; ce Until Fear No Longer Defines Us semble se refermer sur lui-même et ne parvient pas à faire exploser son contenu au plus grand nombre. Serait-ce donc un album élitiste et égocentrique voulu ainsi par ses architectes ? Pour un nouveau commencement, sans doute, et ainsi montrer que ceux-ci pouvaient aller au-delà du précédent... Mais peut-être un peu trop loin.
Le but premier d'un album est bel et bien un partage avec ses auditeurs, ses fans, or ici Ghost Brigade rate une marche et s'oublie quelque peu dans une introspection trop profonde. De ce fait, chaque titre pris à part remplit un rôle intéressant et déchaîne quelques passions, mais ainsi mis à la suite on peut avoir l'impression que rien ne se passe. Ou trop de choses, c'est au choix, pour un résultat final décontenançant bien que très loin d'être mauvais.
Reste donc à commenter l'oeuvre musicale en tant que telle, les chansons naviguent entre un sludge progressif toujours aussi délicieux et un dark metal très nordique... car non, Ghost Brigade n'a pas changé de style, toujours reconaissable parmi tant d'autres et toujours aussi rafraîchissant. Si "Clawmaster" ou "Traces of Liberty" s'avèrent être des modèles de puissance latente à la fois mélodique et sombre, d'autres comme "Cult of Decay" ou le splendide final "Soulcarvers" (élu morceau de l'album) jouent plus sur l'émotion et ce sans jamais tomber dans la mièvrerie. Bien évidemment, Manne Ikonen (égal à lui-même niveau chant) et ses potes musiciens s'amusent toujours autant à mélanger les deux aspects, "Breakwater" ou "Torn" étant les meilleurs exemples du genre - riches en changements de tempo. Ainsi cité, vous avez le must de l'album, un exemple de ce qui peut encore faire frémir et ainsi presque faire oublier l'analyse ci-dessus. Tout le problème se situe donc dans l'enchaînement mais aussi, parfois, dans un certain manque d'intuition comme ce "Divine Act of Lunacy" manquant de corps et répétitif dans le mauvais sens du terme. Ou quand l'hypnose ne prend pas... chose rare avec Ghost Brigade cependant, on peut donc leur pardonner quelques écarts. Faisons la même remarque avec "Grain" (morceau bien trop "léger" pour un tel groupe) et la boucle sera en quelque sorte bouclée.
Inutile d'en dire plus sur le contenu propre de ce brûlot, il renferme ses secrets personnels et pourra certainement ravir ceux qui auront trouvé la clef. Artistiquement il saura donc être une réussite certaine, et qui sait peut-être se révèlera-t-il être un incontournable sur le tard ? Nous ne demandons qu'à voir et nous l'espérons tous... jusqu'à ce que la peur ne définisse plus notre approche vers lui.