Dans la chaleur climatisée d'un grand hôtel parisien, nous retrouvâmes Nastia et moi deux membres du groupe heavy américain Iced Earth : Jon Schaffer, son guitariste/leader charismatique, et le nouveau chanteur canadien Stu Block. Une interview détendue et professionnelle suivit ainsi son cours...
Ju de Melon : Bonjour les gars et bienvenue à Paris, vous êtes là depuis hier il me semble...
Jon Schaffer : Oui, nous sommes arrivés hier.
Ju de Melon : Qu'est-ce que cela vous fait d'être ici ? C'est ta première fois il me semble, Stu...
Stu Block : Oui c'est ma première, et j'aime vraiment ça mec ! J'ai un peu joué au touriste hier soir et j'étais comme un gamin en voyant la Tour Eiffel. J'ai toujours voulu visiter Paris donc c'est cool d'être ici, j'aimerais vraiment y revenir en vacances...
Ju : Quant à toi John, c'est ta... je sais pas... au moins 10ème visite ici ?
Jon : Probablement plus que ça, mais c'est toujours un plaisir, surtout depuis que j'ai rencontré Olivier (NDLR : Olivier Garnier, Replica Records) ; j'ai pu croiser des gens super sympas grâce à lui donc c'est génial. Le problème c'est qu'on a jamais trop de temps pour profiter, on vient surtout pour le travail, moi aussi j'aimerais venir passer quelques vacances ici pour découvrir plus de choses mais... un jour peut-être qui sait !
Stu : C'est écrit dans ton contrat que tu n'as pas droit à des vacances ?
Jon : Je crois oui, je suis un bon petit esclave... "Tais-toi et bosse !"
(Rires)
Jon : Je ne pense pas qu'on aura encore le temps cette année, on part assez tôt demain matin et on travaille jusqu'à assez tard ce soir...
Ju : Rentrons directement dans le vif du sujet, il s'agit du tout premier album avec Stu derrière le micro. Tout ceci fait suite au (deuxième) départ de Matt Barlow, il n'avait plus trop de temps j'imagine... Comment as-tu vécu cette situation ?
Jon : C'est avant tout sa décision, il a eu l'opportunité de revenir à temps complet dans le groupe et il aurait pu se faire encore plus d'argent, mais ce n'était pas sa priorité. Il veut tout simplement rester proche de sa famille. C'est admirable de sa part... Mais tu sais il a une autre carrière (NDLR : Policier aux Etats-Unis) et il a mené cette vie de front depuis son retour en 2008. En ce qui me concerne, Iced Earth c'est ma carrière, j'ai pris cette décision il y a de nombreuses années, j'y mets toute mon énergie... J'avais prévenu Matt en lui disant : "Le monde de la musique a changé depuis que t'es revenu, les ventes s'écroulent, certains magasins de disque ferment, du coup le groupe a besoin de beaucoup tourner". Et en y réfléchissant bien, il s'est rendu compte qu'il ne pourrait pas assumer tout ça. Tu sais, il est marié à ma soeur, tu sommes un peu...
Ju : Comme des frères ?
Jon : Oui, il n'y a aucune rancoeur entre nous, il a juste une trajectoire différente de la mienne et il doit suivre son chemin. Et moi le mien.
Ju : Est-ce que t'as senti le coup venir ou... ?
Jon : Oui et non, disons que je savais que Matt aurait une décision à prendre en ce qui concerne le nouvel album et la tournée qui allait suivre. Quand je lui ai présenté la chose, je lui ai dit que je savais que cela serait difficile pour lui, du coup je lui ai demandé de réfléchir et de décider. Le groupe doit continuer à avancer malgré tout, il le savait et n'a eu aucun problème avec ça. Matt est quelqu'un de bien, il comprend vite les choses... Tu sais, j'ai été une sorte de pionnier, j'ai quitté ma maison à 16 ans pour démarrer ce groupe, j'ai vécu dans la rue et fait pas mal de conneries. Depuis, j'ai fait avancer les choses et le groupe s'est construit une belle réputation en Amérique du Nord... et quand je regarde le monde tel qu'il est, je me dis que nous ne devons pas nous laisser faire et nous exporter vers d'autres pays émergents : l'Amérique du Sud, le Brésil, la Chine, l'Inde... On va prendre notre avenir en mains et ne pas laisser Iced Earth devenir la victime du monde occidental. Nous avons une mission, mec !
Ju : Et désormais le groupe avance avec un nouveau chanteur, Stu... pas nouveau dans le monde de la musique d'ailleurs puisqu'il officie déjà dans Into Eternity. D'ailleurs comment est-ce que Stu a intégré le groupe ?
Jon : Nous avons pris contact avec différents chanteurs et j'ai en quelque sorte suivi mon intuition. Quand j'ai vu l'intensité de Stu sur des vidéos de Into Eternity, sa passion, je me suis dit qu'il serait la parfaite présence dont Iced Earth avait besoin. Je n'étais juste pas sûr au niveau de la voix car il a un style très différent, il fallait donc faire des tests... mais rien qu'en le voyant j'ai eu un bon feeling, un peu comme quand j'ai recruté Freddie dans le temps - et ce malgré plusieurs "auditions" en vidéos Youtube etc. J'ai su que c'était lui, un peu comme Stu. Je fais beaucoup confiance en mon instinct, si l'alchimie est là je ferai plus confiance en ce point qu'à des enregistrements... On avait aussi la possibilité de recruter un suédois, un nord-américain, mais le feeling l'a emporté. Et dès que nous nous sommes rencontrés en studio, ce fut la révélation !
Stu : Oui c'est clair, c'était vraiment cool. Nous nous sommes bien entendus dès les premières secondes. De plus Jon avait besoin de quelqu'un capable d'écrire avec lui des mélodies, des paroles, etc... Et je lui ai vite prouvé que je pouvais le faire, que je pouvais coller au groupe malgré ma façon de chanter assez différente dans Into Eternity. J'ai pu proposer différentes options de mélodies et travailler ma voix en conséquence, je ne savais même pas que je pouvais sortir de telles choses et Jon m'en a donné la possibilité. Tout s'est donc goupillé très vite, et pourtant il m'a de suite fait comprendre qu'il n'aimait pas les canadiens...
Jon : (Rires)
Stu : Tu dois être américain pour être dans ce groupe...
Jon : Oui d'ailleurs il a dû devenir citoyen américain et abandonner sa citoyenneté canadienne !
Stu : Voilà, désormais je suis un esclave américain et ça me va ! De toute façon, je suis dans Iced Earth, c'est ça le plus important ! (rires)
Jon : (Rires) J'aime le communisme, j'aime le fascisme...
Stu : (Rires) Nan pour être sérieux, c'était génial, comme si j'étais destiné à chanter dans ce groupe. Pour moi c'est une nouvelle chance, c'est très différent d'Into Eternity. Vivement que je fasse ça en live !
Jon : T'as écouté l'album au fait ? T'en as pensé quoi ?
Ju : Il est vraiment bon, on sent d'ailleurs dès la première chanson "Dystopia" que Stu a pris ses marques en mettant sa personnalité au service du groupe. Ca fonctionne parfaitement. Et pas mal de variété dans la voix aussi sur les autres chansons... C'est marrant parce que parfois on a l'impression d'entendre Matt Barlow, c'est vraiment le style du groupe qui veut ça on dirait !
Jon : Oui, c'est un peu ça, on entend de suite le style d'écriture et de production propre au groupe. C'est vraiment ça car je ne pense pas que Stu ait la même voix que Matt. On m'avait fait la même remarque sur Sons of Liberty comme quoi je chantais comme Matt... pourtant j'en suis loin d'être capable ! Mais voilà, c'est la musique que j'écris, il y a une familiarité inconsciente dans chacun des morceaux que je compose.
Ju : En ce qui concerne la composition, est-ce que tout était prêt quand Stu est arrivé ou vous avez pu travailler ensemble ?
Jon : Disons que le processus avait déjà commencé, j'avais quelques instru de prêtes mais rien de bien approfondi. Quand Stu est arrivé, tout est allé très vite, l'inspiration s'est accélérée et nous avons travaillé ensemble des mélodies vocales ainsi que des paroles.
Stu : C'était vraiment instantané, franchement j'ai déjà été dans quelques groupes auparavant et je n'avais jamais autant senti cette alchimie avec quelqu'un. Vous savez, dans ce monde qu'est l'industrie musicale, on a beaucoup de pression. Jon en avait, et il a su m'en transmettre en me donnant à peine deux jours pour travailler deux chansons... Evidemment, j'étais un peu paniqué, mais au final j'ai su relever le défi. De toute façon c'est sous la pression souvent que les meilleures choses se font.
Ju : Parlons des paroles, y a t-il un concept autour de ce Dystopia ?
Jon : Il y a un thème récurrent mais ce sont différentes histoires. Un thème qui colle bien à la pochette de l'album d'ailleurs...
Ju : Des thèmes très sombres...
Jon : Oui, mais pas seulement !
Stu : Une chanson comme "Anthem" par exemple, ou encore "Tragedy and Triumph"... elles sont assez positives celles-ci.
Jon : Il y a une chanson bonus sur le digipack, "Iron Will", qui est assez optimiste aussi. C'est vrai qu'il y a pas mal de choses assez noires et dérangeantes sur cet album, mais c'est aussi contrebalancé avec des histoires plus "légères". C'est volontaire de notre part, on ne voulait pas non plus plomber l'auditeur avec des morceaux uniquement tristes ! Il est important de donner de l'espoir également.
Stu : Quand j'écoute certaines chanons, comme les 3 cités à l'instant, j'ai en quelque sorte la chair de poule et ça me donne encore plus d'envie pour la suite !
Ju : Comment situeriez-vous cet album dans la discographie du groupe ? On sent la touche Iced Earth totalement intacte mais il y a quelque chose de neuf, comme une énergie nouvelle...
Jon : Cette énergie qui porte l'album est très positive, les trois précédents avaient un côté très épique et presque théâtral parfois. Ici c'est plus direct, c'est du heavy metal qui te prend aux tripes, on pourrait presque le comparer à Something Wicked Comes This Way ou à The Dark Saga dans sa direction musicale. Sur ce nouvel opus, il n'y a pas un grand moment "épique" à part, c'est le tout qui donne cette sensation. Cet album a été composé avec une bonne énergie, je ne sais pas d'où ça vient exactement mais c'est comme ça... ça dépend des périodes de ta vie au moment où tu écris. Par exemple, sur The Crucible of Man, je venais de perdre ma soeur au moment où j'étais en pleine composition. La 3ème personne de ma famille à disparaître en l'espace d'un an. C'était brutal, comme tu peux l'imaginer... Du coup, sur cet album, je me rends compte que certaines chansons sont venues plus difficilement, de certains arrangements que je ne fais pas d'habitude. Tout n'y es pas aussi fluide que cela l'est habituellement. Après tout, je ne suis qu'un être humain... qui l'eut cru ?
Stu : Jon n'est donc pas une machine, même si on pourrait parfois croire que si... (rires)
Ju : Est-ce que vous vous sentez plus proches de certaines chansons sur cet album avec un peu plus de recul ? Stu en a déjà cité quelques unes par exemple...
Stu : Toutes les chansons sont en quelque sorte un témoignagne de nos vies à Jon et moi, de ce qui se passe autour de nous. Il y en a une qui m'est très chère : "End of Innocence", elle parle de ma mère qui est actuellement très malade et du fait que je dois me faire à l'idée de la perdre bientôt. Mais ce fut une bonne thérapie pour moi que d'écrire sur ce sujet... J'avais besoin de m'exprimer sur ce point.
Jon : Oui, une bien belle chanson, spéciale également pour moi mais pour une autre raison. Mais je ressens toute la douleur de Stu dans ce morceau... Je connais ce sentiment, quand j'ai écrit "Watching Over Me" j'ai dû bien mettre une dizaine d'années pour transférer toutes les émotions que j'avais en moi dans le texte et la composition. C'était dur mais une chance de pouvoir exorciser ainsi ses démons, et je suis heureux de voir que Stu ait pu écrire cela alors que sa mère est encore avec nous pour l'entendre.
Stu : Cet album est en quelque sorte une véritable thérapie...
Jon : Je pense qu'il le sera pour beaucoup de gens, il y a tellement de choses bizarres et horribles qui se passent sur cette Terre que j'espère pouvoir leur apporter un peu d'espoir et d'humanité avec notre musique. Avec ce système qui paralyse l'occident et une grande partie du monde, tu te sens sans défense, paralysé, tu perds peu à peu ce lien privilégié que t'as avec ton esprit... Si tu peux te regarder dans le miroir, prendre conscience de tout cela, alors tu peux espérer changer le monde et le ramener sur le droit chemin. Sur cet album, bien que cela soit assez abstrait, il y a un parallèle fait entre la science fiction et la réalité... mais tout est très "réel" ici ! Le message est clair : on espère que les gens n'attendront pas trop longtemps le "sauveur" pour faire bouger les choses et qu'ils prendront leur responsabilité pour remettre les choses d'aplomb. Si chacun sur cette Terre prend conscience qu'il peut faire quelque chose, on s'en sortira peut-être.
Ju : Du coup la pochette semble assez représentative de tout cela... très inspirée "marvel comics" non ?
Stu : Non, Jon n'en lit jamais pourtant... (rires)
Jon : C'est un procédé stylistique que nous utilisons déjà depuis plusieurs années, mais c'est vrai qu'elle est très sombre celle-ci. ce qui est dépeint ici est très "laid", et c'est un peu ce que je ressens quand je regarde le monde autour de moi... ça va très mal, il faut l'avouer. Nous subissions une crise économique sans précédent, à cause de la corruption généralisée... Pour nous le système américain est rempli de "criminels" en tout genre. Il est venu le temps d'une révolution... pour la liberté, bien évidemment, pas pour aboutir sur une dictature ! Tout le monde doit se recentrer sur cet idéal de liberté et ainsi faire changer les choses.
Ju : Parlons un peu des live à venir, car jusque là Matt Barlow était encore le chanteur du groupe pour les derniers festivals...
Jon : Oui, il a chanté avec nous pour la dernière fois au Wacken en Allemagne.
Ju : Un moment assez émouvant j'imagine...
Jon : Oui, pour nous tous !
Ju : Quid de la suite ?
Stu : Nous allons répéter ensemble dans les conditions live afin d'être parfaitement prêts pour la tournée. Dès que j'ai un peu de temps, en dehors de l'écriture et de la promo, je m'entraîne sans arrêt chez moi afin de bien m'imprégner de chaque chanson. Je sais très bien qu'on attend beaucoup de moi en tant que frontman, et je sais quoi faire pour bien m'intégrer à l'ambiance sur scène ayant moi-même regardé quelques lives précédents du groupe. Je pense qu'on va bien s'amuser !
Ju : Au niveau de la tournée à venir, quels sont les plans prévus ?
Jon : On va d'abord jouer en Europe avant d'enchaîner avec les Etats-Unis vers la fin du mois de janvier. Ensuite ce sera au tour de l'Amérique du Sud et de l'Asie pour finir... On devrait être sur la route une grande partie de l'année 2012, avec juste deux mois de repos entre temps mais pas plus ! (rires)
Ju : Et pendant cette période de repos, Stu, prévois-tu de retravailler avec Into Eternity ?
Stu : Non. Je risque plutôt de m'entraîner encore plus sur les chansons de Iced Earth, c'est désormais ma priorité. Et bien sûr je passerai du temps en famille, c'est très important pour moi. Je sais déjà que je passerai Noël avec mon père et ma mère à Vancouver, j'ai beaucoup de gens à voir et c'est très important pour moi.
Ju : Du coup Into Eternity est un peu en pause forcée ?
Stu : Pas vraiment, ils peuvent faire ce qu'ils ont envie, ils sont libres. Après, s'ils ont vraiment besoin de moi et si j'ai un peu de temps, je suis prêt à les aider : ils sont comme des frères et je ne veux pas les abandonner. Cependant, Iced Earth est devenu un travail à temps complet, et le gars que tu vois à côté de moi là c'est mon patron... mais il est sympa hein, donc je me sens chanceux de l'avoir et je veux lui prouver que je peux me concentrer sur le groupe. Aucune envie de m'éparpiller à droite et à gauche sur d'autres projets. Telle est ma vie désormais.
Jon : Oui, Stu est totalement dévoué au groupe et c'est vraiment génial, on n'avait pas connu ça depuis fort longtemps. Ca fait plus de dix ans qu'on n'avait plus eu un frontman aussi impliqué.
Ju : Et toi Jon, qu'en est-il de Demons & Wizards ? J'ai interviewé Hansi Kürsch (Blind Guardian) l'an passé et déjà on évoquait le fait qu'il était difficile de vous réunir par manque de temps...
Jon : C'est toujours le même problème malheureusement, et je ne pense pas que cela soit possible avant 2013 au moins... Enfin bon, ne présageons de rien, mais c'est plutôt compromis au moment où je te parle. On veut vraiment refaire un album mais c'est jamais trop le moment... On s'est croisés il y a peu de temps en Allemagne, on a juste passé une soirée ensemble et du coup nous n'avons fait que discuter de choses et d'autres en amis. Je sais qu'il y a une grosse demande concernant ce projet...
Stu : Ca je confirme, c'est un énorme truc ! Je suis fan de la voix d'Hansi d'ailleurs.
Jon : Un mec génial, l'un de mes meilleurs amis.
Ju : Un petit point sur Sons of Liberty, ton dernier projet dont le premier album est sorti l'an passé... une suite est-elle prévue ?
Jon : Oui, j'ai prévu de sortir un EP 5 titres pour le mois de décembre. Ce projet est clairement là pour faire passer un message sur les incohérences du système financier actuel, des dangers du monde capitaliste. Il est avant tout éducatif. Il faut que les gens sortent de chez eux et parlent entre eux, fassent passer le mot... L'ignorance est notre plus grand ennemi.
Stu : La puissance réside dans le savoir.
Jon : Et vous aussi en France vous pouvez bouger, rappelez-vous la prise de la Bastille... ce serait cool de revivre un évènement du genre non ? (rires)
Ju : Quelques derniers mots pour les fans français ?
Stu : Je suis très impatient de tous vous rencontrer. Vraiment.
Jon : On sera à Paris le 8 novembre et à Lyon le 9, on vous attend nombreux. En espérant que vous allez aimer l'album !
Ce nouvel album sera donc disponible dès le 17 octobre prochain chez Century Media, un certain Boucher Slave devrait vous en reparler en chronique d'ici là. Et de ce que nous en avons entendu, il ne devrait pas décevoir grand monde... bien au contraire !
Un grand merci à ma fidèle Nastia pour les photos