Sortie prévue le : 17 octobre 2011 / Century Media Records
Un 'Block' de béton armé...
Pour paraphraser mon cher collègue Yog à propos de Dream Theater, est-il encore utile aujourd'hui de présenter Iced Earth ? Cet illustre combo américain, mené de main de maître depuis plus d'un quart de siècle par son emblématique guitariste Jon Schaffer, spécialiste inégalé à ce jour de la rythmique 'thrashy' hachée à la moulinette (à la force du poignet surtout...), a accueilli en son sein quelques uns des plus éminents vocalistes de la scène métal : John Greely (que devient-il au fait?!) sur le mythique Night of the Stormrider, ou encore le brailleur "Halfordien" Tim 'Ripper' Owens (plus subtil qu'il n'y paraît quand on arrive à le tempérer...) une grande partie de la décennie 2000, et surtout, SURTOUT, le brillant et renommé "maître-à-chanter" Matthew Barlow, qui aura vraiment marqué de son empreinte et de sa 'présence' vocale les albums les plus chers aux cœurs des fans, et dont la carrière est indissociable de celle d'Iced Earth, "et vice et versa"...
Pourtant, après un retour inespéré en 2007, le chanteur rouquin, ne parvenant plus à concilier la vie sur les routes avec sa vie quotidienne et son 'autre' carrière professionnelle en tant que policier (vocation qui s'était révélée à lui suite aux attentats du 11 Septembre...), bouleverse de nouveau la donne et les fans du groupe en annonçant de nouveau son départ cette année, après un 'chant du cygne' discographique (The Crucible of Man en 2008) en demi-teinte...
Pire encore, depuis quelques temps la machine de guerre (on a souvent décrit Iced Earth comme un mix entre un Metallica et un Maiden, entre la puissance et la rigueur du ‘heavy/thrash' US et le côté mélodique et épique du 'heavy/power metal' européen -somme toute la digne relève d'un Annihilator qui saurait enfin écrire des morceaux recherchés et dignes de ce nom! -ça va gueuler...^^), on le sent bien, commence doucement mais sûrement à s'empâter, cet insubmersible du métal se met à s'éroder sur ses flancs et certains fans en viennent à craindre le pire : qu'il ne finisse par rouiller et sombrer pour de bon...
C'est donc avec une certaine appréhension que l'on apprend alors que le groupe a déjà dégotté son nouveau chanteur en la personne du Canadien Stu Block (du groupe de… death progressif -?!- Into Eternity) et enregistré un nouvel album… A quoi faut-il donc s'attendre, à un The Crucible of Man-bis, sombre, morne et mal inspiré? Ou bien davantage à un égarement dans les expérimentations à n'en plus finir à l'instar du gargantuesque -et quelque peu indigeste au final- Framing Armageddon ?!
Les 'die-hard' que nous sommes en oubliions au final un élément important : le talent sans limite de Jon Schaffer. Son "flair", aussi... ("Comment on d'vient chef, chef?!")
Car dès la première écoute, ce Dystopia (laissés de côté pour l'heure les concepts-albums à histoire, et retour aux bons vieux albums à "thèmes" ; ici, les 'dystopies' donc- soit tout l'inverse des mondes idylliques décrits dans les utopies...), 10ème album donc du groupe ici présent, remet les pendules à l’heure et à la fois nous surprend, nous rassure et nous enchante.
Nous surprend car, disons-le tout net, la tâche de remplacer Barlow s'annonçait clairement comme "Mission Impossible : IV" !! Et à l'entame de la première écoute, alors que l'on se demande encore à quelle sauce on va être mangé cette fois, on ne peut donc qu'être décontenancé d'entendre dans les premières interventions du 'petit nouveau' Block une sorte de mix (même si pas un clone vocal pour autant) entre un Owens plus 'thrasheux' et surtout...Barlow himself ! Entre montées criardes et suraiguës ("Dark City") qu' Iced Earth a définitivement incorporées en même temps que 'Ripper' (et qui une fois encore ne feront pas l'unanimité...) à l'époque de son éviction visiblement mal digérée de Judas Priest, et vocaux profonds et amples caractéristiques du 'line-up' emblématique du groupe au temps de son frontman à la crinière de feu (même si le timbre diffère, c'est plutôt dans les intonations ici que l'on s'en rapproche), on se dit que la dernière recrue tient davantage d'une vague "imitation" (écoutez-moi ces chœurs, ces phrasés sur les passages clairs chantés, etc... le mimétisme peut sembler frappant par moments), un perfide manipulateur donc, qui saurait jouer sur tous les tableaux uniquement dans le but de brosser les fans dans le sens du poil...
Heureusement, cette impression ne dure que le temps de le dire... Car ce qui finit par nous rassurer et remporter définitivement notre adhésion de fan, c'est qu'on se retrouve finalement avec le meilleur des deux mondes : une profondeur -dans la voix et l'interprétation- qui faisait défaut à un Owens plus 'lisse' et maniéré, ainsi qu'une 'niaque' que Barlow semblait avoir perdu au fil des années en même temps que sa motivation. Avec en sus de nouveaux atouts propres au nouveau chanteur : une agressivité plus en phase avec les standards d’un 'heavy' contemporain ainsi qu'une jeunesse dans la voix et une polyvalence qui laissent entrevoir beaucoup de capacités et qui est annonciatrice de bonnes choses pour l'avenir d'un groupe que l'on voyait plutôt en fin de carrière au jour d'aujourd'hui, reconnaissons-le.
Au final, le dénommé Block fait donc déjà preuve d'une bien plus grande personnalité qu'il n'y paraît pour sa première incursion discographique dans l'univers du groupe.
Bien plus encore, on ne peut que le remercier d'avoir aidé Schaffer à retrouver son inspiration, l'épaulant en outre quand il le fallait sur le 'songwriting' et l'écriture des mélodies vocales (cela faisait longtemps, comme le guitariste nous l'a d'ailleurs confié, qu'il n'avait pas fait autant confiance à un de ses frontmans! Quand on connaît l'attachement et l'emprise tyrannique qu'a le Monsieur envers son "bébé", ce n'est pas là le moindre des exploits...), insufflant du même coup un dynamisme nouveau à un Iced Earth certes lui pas bien nouveau non plus (on reconnaît clairement la patte et l'écriture du groupe), mais comme renouvelé et transcendé.
Car c'est à un pur 'relifting' de notre institution "heavy"-ricaine préférée que nous avons droit, à un groupe, c'est simple, que l'on croirait ici tout droit sorti d'une cure de jouvence (un peu comme les Anthrax il y a quelques semaines…). A tel point que l'on se prendrait même à considérer ce Dystopia comme un digne petit frère (de 20 ans son cadet, quand même...) d'un Night of the Stormrider !
C'est vous dire si le fier rejeton de Schaffer a retrouvé de son mordant, de son énergie et toute la vitalité qu'on leur connaissait naguère et qui leur avait fait un peu défaut ces dernières années. Pourtant, soyons justes et ne nous emballons pas trop, ce disque serait dans l'esprit plus un mélange entre Horror Show (à ce titre, un morceau comme "Dragon's Child" n'aurait pas dépareillé sur cette dernière offrande...) et The Dark Saga, avec une pointe de Something Wicked... pour relever l'ensemble : du premier, il retrouve une certaine vélocité musicale, un grain d'extravagance débridée dans le jeu des divers instrumentistes (mais sans non plus le côté grandiloquent voire 'théâtral' -thème des 'monstres' oblige...- de l'illustre chef d'oeuvre de 2001) ; du second, il recèle par moments ce côté 'thrash' amerloque ("Boiling Point", "Days of Rage") plus contenu et compact mais toujours aussi puissant ; et enfin du dernier -qui a pour de bon fait décoller la carrière de nos Ricains- il s'illustre par un côté délibérément mélodique et accrocheur -par moments, oserais-je avancer le terme de "commercial"?!... mais dans le bon sens de ce terme ^^, et ces arpèges et accords plaqués en son clair de toute beauté.
Il est à noter par contre que si l'on retrouve cette fougue et cette nervosité d'antan, on en perd pour le coup la diversité musicale, la mise en place orchestrale et une grande partie de la dimension épique auxquelles l'auditeur s'était entretemps habitué de la part d'Iced Earth. Les morceaux reposent essentiellement sur des structures simples, des mélodies et arrangements qui sont quasi-exclusivement le fait des guitares et des (somptueuses) mélodies vocales ; exit donc les percus tribales de Framing Armageddon (c'est peut-être pas plus mal au final...^^), les nappes de claviers, chœurs grandioses, violons, orchestrations et tout le bazar...
Cette nouvelle mouture dépouillée redonne leur place de choix aux "chansons", à des morceaux moins denses et plus compacts de prime abord certes, mais immédiatement mémorisables et d'une qualité et d'une efficacité sur lesquelles il n'y a vraiment rien à redire.
A l'inverse, c'est peut-être ce qui gênera les fans des plus récentes œuvres du groupe et/ou des envoûtantes ambiances de Burnt Offerings ou de Night of the Stormrider. Dommage ainsi que l'on ne retrouve pas en fin d'album une bonne vieille trilogie épique comme ils savent si bien nous en pondre, et espérons que ce sera pour la prochaine fois! (Barlow et même 'Ripper' y avaient eux tout deux déjà eu droit pour leur baptême du feu avec le groupe).
Il ressort alors de cet album une dimension 'live' qui devrait certainement faire mouche lors de la prochaine tournée du groupe, qui comptera pas moins de 2 dates en France! (et l'on n'ose imaginer la tuerie s’ils nous balancent des vieux brûlots comme "Violate" ou "Stand Alone" dans une telle configuration!^^)
D'autant qu'oublié l'aspect maussade et pessimiste des précédentes réalisations, la nouvelle 'patate' de la bande à Schaffer s'accompagne d'une tonalité plus foncièrement optimiste ("Anthem", "Tragedy and Triumph", "Iron Will" et le final de 'Dark City') : ainsi que nous le confiait le guitariste dernièrement, Iced Earth cherche maintenant à faire passer des messages d'espoir face à un monde en plein déclin... Contrairement à ce que sa pochette, ainsi que la 'bio' promotionnelle qui accompagne la sortie de Dystopia laisseraient entendre, cet opus n'a pas le côté menaçant et de mauvaise augure des sociétés déchues et déshumanisées de 'V pour Vendetta', 'Blade Runner' ou '1984' qu'il nous décrit en filigranes au fil de ses textes.
On n'en est pas encore à du Helloween guilleret non plus, mais on se rapproche davantage d'une musique et d'une attitude fédératrices un peu à l'image des teutons de Rage il y a une quinzaine d'années, ou même encore de leurs idoles éternels d'Iron Maiden. Le flegme et la touche 'arty' britanniques en moins et la patte 'in-your-face' américaine en lieu et place, il va sans dire. Le groupe a retrouvé la même cohésion qu'à l'époque du somptueux line-up du Live in Athens... Autant dire que ça promet!
Même les ballades (qui s'écartent quelque peu des 'power-ballads' caractéristiques du groupe –vous savez, genre calmes sur les couplets puis over-'heavy' sur les refrains…), si elles traitent bien souvent de sujets graves (la perte d'un être cher qui avait déjà inspiré à Schaffer le célèbre "Watching over Me" est aujourd'hui au centre d'un poignant "The End of Innocence" coécrit par Stu Block), se parent aujourd'hui d'un voile plus léger, une pureté quasi-folk déjà initiée en son temps par un "Ghost of Freedom" sur Horror Show, voire plus anciennement par "A Question of Heaven" sur The Dark Saga (à quand des versions acoustiques de toutes ces chansons?...).
Iced Earth signe en définitive aujourd'hui son meilleur opus depuis The Glorious Burden ! (si, si, pour moi cet album était bien une réussite… bon allez, OK, pour les puristes, disons depuis Horror Show alors !? ^^) Une résurrection qui fera date, reste maintenant à enfoncer le clou pour une nouvelle consécration méritée…
LeBoucherSlave
7,5/10