Matt Kleiber, chanteur de Karelia

C'est ce lundi 19 septembre peu avant 20h que j'ai pu discuter une demi-heure au téléphone avec un certain Matthieu Kleiber. Ou Matt, pour les intimes. Mais qui est ce monsieur ? Un musicien alsacien, chanteur/compositeur du groupe français Karelia. Une formation ayant subit pas mal d'évolution depuis ses débuts, bien connue pour ses premières parties récentes avec Scorpions, et qui sort en cette rentrée son 4ème album intitulé Golden Decadence chez Music For Ever/distribution Season of Mist. Un personnage atyptique mais éminemment sympathique pour un groupe qui ne l'est pas moins...

Ju de Melon : Bonsoir Matt, comment ça va ?

Matt Kleiber : Ca va nickel... et désolé du retard !

Aucun problème ! Alors te voici en promo sur Paris pendant deux jours, une habitude pour toi de venir sur la capitale ?

Je connais un minimum oui, en tout cas le choc culturel n'est pas flagrant (rires) ! C'est surtout intéressant d'avoir une telle visibilité et d'enchaîner les interviews, à la base c'est pas évident.

Golden Decadence est donc le 4ème opus du groupe, sorti fin août en distribution Season of Mist si je ne m'abuse... à moins que ça n'ait été repoussé ?

Oui il y a eu un petit retard sur la distribution mais ça se met doucement en place, normalement il est disponible dans le commerce là. En tout cas ceci n'est pas plus mal car on est plus synchronisé avec la promo du coup.

Un peu stressé ou tu la prends à la cool cette sortie ?

Ah non, on ne peut pas la prendre à la cool du tout, surtout après un tel boulot niveau production et du temps passé à fignoler les détails. D'autant plus qu'il s'agit de notre premier album avec une liberté d'expression totale, aussi bien sur le visuel que sur la musique elle-même. C'est la première fois qu'un album de Karelia porte vraiment l'identité du groupe : sans contrainte, avec une totale liberté... c'est vraiment notre bébé, du coup si ça ne plait pas c'est Karelia qui ne plait pas. Un peu de pression donc.

Comment s'est passé le processus d'écriture ? Quelques changements par rapport aux précédentes habitudes du groupe ?

Oui il y a eu des changements, ici les guitaristes ont pris une part plus importante dans la compo. Le 10ème morceau de l'album ("Body's Falling Apart") est à 100% l'oeuvre de Sam par exemple. Quant au morceau avec Rudolf Schenker (Scorpions), il est plus issu d'une vraie collaboration de guitaristes avec des claviers plus en retrait. Bon évidemment, je repasse derrière avec toutes mes contraintes emmerdantes, comme d'habitude ! (rires)

Karelia - Golden Decadence (2011)

Sinon, la pochette est disons... explicite ! Il y a une forte critique sous-jacente du business musical disons "mainstream", représentée uniquement par la chanson "MyTV Sucks" ou plus globalement encore ?

C'est avant tout "MyTV Sucks" qui représente cet aspect, en effet. Théoriquement l'album était d'ailleurs censé s'appeler comme ça, il porte clairement le sens de notre démarche : un beau "fuck" au système en gros, ne pas respecter les codes. Attention, ça n'a pas la vocation d'être beau niveau visuel, il faut y voir le second degré et tout le côté "rock 'n' roll" qu'il y a derrière.

Avec un petit passage à la Eminem sur cette chanson...

Ouais encore que Eminem c'est loin d'être le pire niveau "bling bling", on touche plutôt au style le plus caricatural du rap qui lui-même est un peu le style caricatural de la musique aujourd'hui. Que ce soit au niveau des "putes" qui tournent autour des artistes que des billets à foison, un vrai cliché en somme.

On s'attendait presque à ce que la reprise de Lady Gaga jouée parfois en live se retrouve sur l'album...

(rires) Non mais justement on ne voulait pas s'imposer plus de 30 secondes de musique hors propos ! Par exemple sur "MyTV Sucks" tu as cette intro rap mais le but était de rebasculer aussitôt dans le rock bien gras et intègre qu'on essaye de faire.

A côté de ça il y a aussi une belle chanson d'amour, "The Way Across the Hills"... 100% sérieuse pour le coup avec le featuring de Rudolf Schenker ?

Oui, disons que j'ai toujours voulu faire une ballade typée années 90 genre "Nothing Else Matters" ou "Still Loving You", je voulais vraiment me prouver que j'en étais capable. Le fait que Rudolf participe à l'album a fini par me convaincre, du coup la voici !

En tout cas elle est sympa, avec un bon feeling.

C'était le but : écrire une chanson comme à l'époque de ces standards qui nous ont fait mettre des mains au cul des filles dans les boums ! (rires)

Parlons des influences musicales... très diverses et variées ici, si je te dis que ça va un peu de Faith No More à Samael en passant par Guns n' Roses par moments (je suis volontairement vague et large ici - rires), tu me réponds quoi ?

Je réponds qu'il y a rien qui puisse me faire plus plaisir ! Pour le coup dans ta liste il n'y a que des trucs que j'adore. C'est justement là qu'on veut en venir, car cet album est un véritable cri d'alarme envers ce côté de plus en plus "codifié" qui touche le rock... et pas seulement le rock d'ailleurs. Les gens se sentent obligés de respecter ces codes, or nous on met 30 secondes de rap en intro ou 1 minute de flamenco en fin de morceau... c'est du blasphème pour eux quoi (rires) ! Certains seraient prêts à te cramer sur place pour ça. Pour nous être rock 'n' roll c'est être là où on ne t'attend pas, de faire un "fuck" à chaque fois. Peu importe les enjeux commerciaux derrière, il faut être capable de prendre à contre-pied en "emmerdant" le système en place... un peu comme le fait Axel Rose d'ailleurs ! Alors voilà, nous on est comme ça, pas le genre de truc qui plairait à une grosse maison de disque comme Sony BMG par exemple.

Mais malgré tout, tu n'as pas peur de te faire "cramer" par certains comme tu le dis ?

Non, pas plus que ça. Les gens qui nous crament le font souvent avec une insistance étonnante... Logiquement, quand tu n'aimes pas un truc, t'écoutes pas et t'en parles pas. Certains avec nous vont beaucoup plus loin, notamment sur Youtube... Alors tu te dis que c'est le reflet d'une identité, et que donc tu existes. Au début c'est blessant, mais après tu t'y fais et tu sais que c'est inévitable... Certains détestent mais d'autres adorent, c'est ça le principal.

Matt Kleiber (Karelia) Interview

En parlant de tout ça, je me souviens des débuts de Karelia - car j'ai eu la chance de connaître dès le premier album ! Il y a eu une grosse évolution depuis... rappelons qu'au début Karelia était un groupe de power metal un peu dark symphonique ! D'ailleurs, renies-tu complètement cette période ou... ?

Ah non, on ne renie rien du tout, d'ailleurs j'aime bien ta dénomination sur le premier style du groupe, c'était exactement ça. A la base c'est ce que je voulais faire, du metal sympho avec plein de choeurs, d'instruments à vent, etc... Tout simplement parce que j'avais envie de me prouver que j'en étais capable, toujours ce défi perpétuel (rires) ! Puis au final tu te rends compte que même sur ce terrain de jeu on se sent à l'étroit, que tu tombes vite dans les clichés que l'on t'impose. Alors on évolue, malgré la pression de certaines maisons de disque, et c'est tant mieux au final. Après je suis admiratif de ces groupes comme The Gathering ou Paradise Lost qui ont su évoluer sans jamais renier ce qu'ils ont fait.

D'ailleurs une preuve que tu ne renies pas tes anciens morceaux, on retrouve deux chansons du second album repris en acoustique ici dans les bonus track... une sorte d'hommage à vous-même ? (rires)

Oui, on s'aime beaucoup et on tenait à le prouver (rires²)

(rires) Ou une manière de se dire que ces chansons "on les a faites et on les aime bien" en quelque sorte ?

Non, en fait c'est plus compliqué que ça. A la base, tu ne réécoutes jamais spontanément ce que t'as fait dans le passé. Par contre, certains gens te font réécouter des trucs, du coup parfois tu te retrouves à "subir" tes vieilles compos et tu ne peux pas t'empêcher d'analyser et de décortiquer ce qui a été fait. Alors tu trouves des trucs maladroits que tu ne ferais plus aujourd'hui, ou des moments cools mais mal exploités... Donc tu veux rebricoler dessus. Ceci remonte à l'époque de Restless où on avait fait quelques passages dans des radios généralistes comme France Inter, sur lesquelles ont ne pouvait pas jouer en live des titres trop "saturés", et c'est là qu'on s'est mis à jouer des vieux morceaux unplugged. Et comme ça passait bien, on s'est dit que ce serait intéressant de les avoir ici en bonus track.

Et cette évolution au final... Pourquoi ainsi et pas autrement ?

Disons qu'avec l'expérience du live en premier partie de Scorpions, on s'est retrouvé face à des contraintes "d'immédiateté" en quelque sorte. Sur les deux premiers albums, t'as plein de titres de 6 minutes avec plein de trucs dedans, or là tu ne peux pas trop les jouer dans ces conditions. Devant des gens qui ne te connaissent pas, il te faut des morceaux de 3 minutes avec un refrain qui reste en tête de suite et potentiellement chantable dès la deuxième fois. Du coup après on se retrouve avec un nouvel album aux titres assez courts, typés "radio edit" en quelque sorte. Un disque au final plus digeste et plus accessible à la première écoute.

Franchement, rencontres-tu encore des fans qui te disent "regretter" cette époque ?

Oui, énormément. Ca craint mais en même temps ce sont des gens qui aimaient le groupe pour de mauvaises raisons (rires)... Ils nous aimaient car c'était français et que ça se rapprochait des standards comme Rhapsody ou Nightwish. J'en ai vu jusqu'en 2007 débouler en perfecto et faire la gueule pendant nos concerts, ils avaient l'air assez déçus. Mais franchement, sans renier ce qui s'est passé, tu as envie de changer... La cour de récré te parait vite petite et à un moment tu t'emmerdes. Puis voilà, le metal sympho est un style très codifié où les choix sont assez restraints.

Parlons un peu des expériences live... Jouer en première partie de Scorpions, ça doit changer une vie non ?

Honnêtement oui, ça change une vie, c'est clair. C'est quand même super valorisant car tu te retrouves sur des scènes immenses avant des légendes... et là, faut vraiment pas prendre la grosse tête sinon tu vas droit dans le mur. C'est à des moments comme cela que tu prends de vraies leçons d'humilité, tu vois quelle est ta vraie condition sur des dates aussi importantes. En gros tu n'es que le paquet de chips avant une blanquette de veau ! (rires)

Ah pas mal la comparaison (rires)... Non mais sérieusement, ça doit mettre une vraie pression sur les épaules surtout non ?

Le vrai souci c'est que là on est considéré comme le groupe qui ouvre pour Scorpions, rien de plus. Dans une logique très "française" je dirais. T'es de suite étiqueté, t'as une maman qui s'appelle Scorpions et certains croient qu'elle fait tout pour que tu sois riche et célèbre... ce n'est pas vraiment comme ça que ça marche ! Après t'essayes de prendre un peu de recul mais forcément tu ne peux pas cracher dans la soupe, la bienveillance de mecs comme ça ne se refuse pas. Mais cela crée forcément une certaine jalousie disons...

Quels projets à venir à ce niveau ? D'autres premières parties de gros concerts ou une tournée en tant que tête d'affiche ?

On a quelques concerts en tête d'affiche de prévus là bientôt, à Paris et à Lyon. Ensuite on refait une première partie de Scorpions à Genève au mois de novembre avant de repartir sur une tournée plus modeste... Quelques dates en vrac pour la fin de l'année à Mulhouse, Toul, Avignon ou encore Chambéry en décembre. En 2012 nous aurons certainement d'autres grosses dates mais le problème c'est que tu n'as un vrai contact avec les gens que lorsque tu joues 1h30 et que les fans sont venus pour toi, moins nombreux mais avec qui tu as un vrai échange. Car voilà, quand tu files des albums après un concert de Scorpions, t'as un peu l'impression d'être à l'usine et tu ne profites pas vraiment des gens.

Karelia 2011

Parlons un peu "polémique", quel est ton point de vue sur la scène metal en France et sa (non)exposition dans les media ?

L'album est fait pour ça ! Et pour dénoncer ça... Le titre "MyTV Sucks" n'est pas là pour rien. Aujourd'hui, au-delà du fait que le rock 'n' roll disparaisse un peu, on constate surtout une vraie perte de culture. Aujourd'hui t'as une génération qui pense avoir le monde à portée de mains, et qui ne s'intéresse à rien. Par exemple, si sur Facebook je mets une photo de moi sur un cheval, tu vas avoir des tas de commentaires... par contre si je postes un nouveau titre de Karelia, t'en auras dix fois moins. De nos jours, le contenu n'a plus vraiment d'importance, seul le packaging compte. C'est pour cela qu'on a fait un CD basé sur un visuel tape à l'oeil, avec un rappeur en vison qui compte sa liasse de billets avec des putes et de la drogue autour.

Et tu n'as pas peur de t'attirer les foudres d'un certain public avec tout ça ?

Pour ça faudrait déjà que ces gens s'intéressent à autre chose... du coup je pense pas. Par contre, pas besoin d'aller aussi loin, même dans le metal tu peux trouver des mecs qui veulent ta mort pour ce genre de truc. Mais l'avantage avec une telle pochette c'est qu'on ne voit que ton album dans le rayon metal ! Limite tu te dis que le gars de la FNAC était bourré quand il a mis le CD là (rires)... Sans déconner, je ne fais pas bouffer 300 personnes, je ne suis pas Lady Gaga et je ne joue pas ma vie avec Karelia. Le but est d'avoir une liberté artistique totale, de choquer, de surprendre, bref c'est ton rôle d'artiste. Que les gens aiment ou pas, tu t'en branles... Bon après, tu peux aussi passer pour un groupe de "vendus" car tu changes de style tout le temps, certains nous prennent pour des girouettes qui ne cherchent qu'à choper la tendance. Alors qu'en fait c'est tout le contraire ! Si on s'était contenté de faire 3 albums comme le premier, Sony BMG serait toujours derrière nous avec un gros budget comm et on vendrait à fond au Japon... au lieu de ça non, on emmerde Sony et on a refusé de faire un deuxième album comme le premier.

Es-tu pote avec quelques groupes français du genre ou pas tellement ?

Le souci c'est que... disons que avant oui, mais plus trop maintenant (rires) ! On se retrouve dans de gros concerts, récemment on a joué sur un festival avec Judas Priest ou Sepultura, du coup certains veulent être potes avec nous mais cela ne transpire pas la sincérité. On sent qu'ils veulent un peu se servir de nous pour accéder à une certaine notoriété. Du coup tu n'as pas de rapport sain avec les autres groupes français, sauf s'ils sont plus gros que toi... Par exemple on a eu de très bons contacts avec Dagoba, pour ne citer que celui-ci.

Et toi quand tu ne composes pas pour Karelia, quelle musique écoutes-tu le plus ?

Plein de styles de différent, et j'ai tendance à ne plus trop écouter de metal d'ailleurs. Tout simplement parce que si tu veux jouer du metal "surprenant", ce qui est un peu le leitmotiv du groupe, il ne faut pas trop en écouter sinon tu as certains automatismes qui se créent. Un peu comme un chien planté devant une gamelle de croquettes. Par contre tu reviens à des fondamentaux du rock 'n' roll... vu que c'est la Coupe du Monde de Rugby en ce moment, on peut parler de "fondamentaux" (NDLR : Avec l'accent de Bernard Laporte)... des sons du début des années 90, "tout en percussion, tout en contact" (rires) ! Du Pearl Jam, du Alice in Chains, du Guns n' Roses, même du Pink Floyd tiens...

On peut même remonter jusque dans les années 70...

C'est vrai, par contre Pink Floyd tu peux te permettre d'en écouter mais pas trop de t'en influencer car c'était une époque où tu pouvais faire des titres de 12 minutes et où les gens avaient le temps d'écouter.

La perception de la musique a changé depuis, c'est vrai... Même si ça revient un peu, pas mal d'artistes sortent des disques typés old school en ce moment.

C'est vrai, ça se ressent surtout au niveau de la production, certains ne veulent plus de ces prods Finnvox à la Stratovarius avec la batterie qui claque ! Ils veulent retrouver un truc un peu plus humain. J'espère que c'est ça qui sauvera le style en fait...

Faut espérer, enfin bon le rock et le metal existeront toujours, mais après... croisons les doigts surtout pour que l'industrie musicale ne se casse pas trop la gueule.

Ce qui me ferait vraiment chier, et je pense que ça en prend le chemin, c'est que le rock devienne un peu comme le classique, c'est à dire un style estimé mais dans lequel il n'y a plus rien à composer car tout a été fait. Du coup il n'y aura plus trop de créativité...

Matt Kleiber Karelia 2010

En tout cas merci pour cette interview... décalée mais super agréable, ça change un peu !

Merci à toi, ça c'est une vraie interview au moins ! (rires)

C'était l'interview Karelia, pas formatée !

Comme l'album quoi... (rires)

Voici qui fait une belle conclusion en tout cas. Et bon courage pour le reste, interviews et tout ça...

A très bientôt, et merci pour cette bouffée d'oxygène au milieu de ces trop nombreuses questions à la con habituelle ! (rires)

Voilà ce qu'on appelle un échange marquant et spontané, une entrevue décalée mais loin d'être dénuée d'intérêt et d'informations précieuses. Il ne vous reste plus qu'à courir chez votre discaire préféré pour vous procurer ce nouvel opus qui, lui aussi, devrait en surprendre plus d'un.



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