Crimfall – The Writ of Sword

En ce moment, Battlelore et Kivimetsän Druidi ont le vent en poupe ! Il faut dire que les premiers cités sont là depuis bien longtemps et ont donc eu le temps de se tailler une réputation sur cette scène, tandis que les seconds, considérés comme des futurs espoirs par bon nombre d'adeptes du style (mais j'épargnerais mon appréciation personnelle sur ce combo). A part le style, quel est l'autre point commun entre les deux ? Leur terre natale bien sûr, car c'est bien la Finlande qui a vu naître l'une comme l'autre formation. Et, entre eux, il y a un troisième petit frère, celui qui se fait un peu plus discret mais qui aimerait aussi s'extirper de la masse, j'ai nommé Crimfall.

Crimfall, c'est à la base un trio bien décidé à en mettre plein la vue avec une musique qui n'est pas là pour se la jouer seconde division. Déjà, rien que le line-up, avec un gueuleur chez Draugnim et une belle chanteuse ayant officié chez Tacere, on peut trouver des arguments bien vendeurs. Mais là où nos amis enfoncent le clou, c'est avec en 2009, un premier brûlot, As the Path Unfolds..., qui marquait un grand coup et devenait ainsi un concurrent sérieux, non seulement aux deux pré-cités mais, en plus, promettait de devenir un futur grand nom dans le genre. Oui mais voilà, souvent, les seconds albums, c'est ce qui permet de dire si ça passe ou ça casse, est-ce que le potentiel se confirme ou n'était-ce qu'un moment de gloire éphémère et illusoire, pour s'enfoncer par la suite dans la médiocrité ? Des groupes de la sorte qui se cassent la gueule comme ça, on en trouve pléthore, alors Crimfall, avec son The Writ of Sword, aurait pu ne pas être rangé dans les exceptions. Sauf que ça, c'est sous-estimer le talent de nos finlandais …

Mais commençons par une mise en garde, cher lecteur. Si, aux premières écoutes, vous sentez la déception pointer le bout du nez, alors tentez l'expérience encore et encore car là où le précédent brûlot était plaisant dès les premières écoutes (l'effet de surprise y jouait grandement), The Writ of Sword, lui, demande bien plus de temps pour être apprivoisé et apprécié à sa juste valeur.  Pourtant, aux premiers abords, il semble partager moult points communs avec son prédécesseur, et, dans un sens, il en est sa suite logique. « Dicembré » reprend là où « Novembre » nous avait laissé, c'est à dire introduction calme, qui plante le décor sur des vastes plaines enneigées, avant de laisser éclater la tempête. Bref, la même recette qui, encore une fois, fonctionne merveilleusement bien. Point positif, le quintette (désormais ils sont 5) maîtrise toujours aussi bien l'art de la partie instrumentale et de l'ambiance, qu'elle soit agrémentée d'un magnifique violon apportant une touche de mélancolie, ou encore par une certaine discrétion des guitares, laissant briller les autres musiciens de leur talent. Ces aérations sont de bonne augure et ponctuent avec intelligence et clairvoyance une musique déterminée et résolument épique, d'un groupe qui décide, cette fois-ci, de durcir encore le ton par rapport à la galette d'antan. Entendez par là que les guitares sont toujours incisives, que le growl se taille une part importante du gâteau, que les compositions, en moyenne plus longues, sont un concentré d'énergie envoyé droit dans la face de l'auditeur qui, à force d'avoir la nuque décédée après trop d'headbang, accueille comme le messie la douceur d'un break où l'arrivée de la voix splendide d'Helena Haaparanta, contrebalançant avec le ton bestial de Mikko Häkkinen, formant un duo typé « belle et la bête » du plus bel effet. Oubliez encore les clichés, la jeune femme est loin de se la jouer diva et de vouloir voler la vedette à Tarja sur un terrain lyrique. Avec toute la simplicité dont elle sait faire preuve, la jolie finlandaise égale les meilleures vocalistes actuelles.

Avec ces points communs, vous vous demandez donc en quoi les deux brûlots sont-ils différents ? Pointons déjà une certaine contradiction au sein de cette mouture. Si l'ensemble est définitivement plus tubesque et accrocheur que ce qui était proposé auparavant, avec des refrains bien plus directs et mémorisables, l'opus reste paradoxalement plus difficile d'accès. La faute à cette dualité tristesse/agressivité, paysage/bataille, femme/homme encore plus présente qu'avant, marquée, et forcément un peu déconcertante au début. Ce contraste, qui semble être un mot maître dans cet opus, est renforcé par une production en béton armé qui met en valeur chaque élément. Ainsi, c'est une certaine prise de risque que décide de prendre Crimfall, déroutant volontairement ses fans. Certains adhéreront, d'autres décrocheront trop tôt. Ainsi, la persévérance est une qualité primordiale si l'on veut, une nouvelle fois, rentrer dans l'univers à la fois fantastique et guerrier des nordiques, mais aussi intimiste et dramatique. Que ce soit à l'aide d'introductions d'une beauté à tomber (l'éponyme « The Writ of Sword ») ou d'interludes magiques (« Cáhceravga »), le groupe ne manque pas d'utiliser ces ficelles de la subtilité, du calme plat, avant de repartir sur les chapeaux de roue. Et malgré un emploi récurrent, la beauté est telle à chaque fois qu'on se prend au jeu, car les cinq compères possèdent vraiment ce petit quelque chose qui fait toute la différence, un côté à la fois simple et touchant côtoyant des passages plus complexes et imprégnés de maturité.

Ainsi, c'est d'autres ambivalences qui ressortent de l'écoute, partagée entre spontanéité/calcul, fraîcheur juvénile/expérience acquise. Des mélanges qui se ressentent dans les morceaux, tous d'excellente facture car oui, il n'y en a pas un seul qui soit mauvais. Bon, certes, « From Upon Their Graves » est plus banale, et dans un sens, moins marquante que le reste. Il s'agit là du titre le plus carré mais le moins intéressant. A ce manque de folie agréable mais peu surprenant, on préférera l'ingéniosité de la piste éponyme, la fabuleuse « The Writ of Sword », de loin la plus efficace. Chaque chose est à sa place, entre petite brise d'hiver et blizzard du grand nord, avec toujours l'opposition growl/voix féminine qui marche à merveille, un délice que l'on peut également délecter avec « Storm Before the Calm » ou « Son of North », par exemple. De plus, Crimfall évite le banal écueil couplet/refrain en ce qui concerne les chants, Helena étant employée judicieusement, ne se cantonnant pas qu'à la partie principale, mais se greffant par-ci, par-là, volant presque la vedette au chanteur, le taquinant souvent sur son propre terrain, n'hésitant pas à apporter le calme sur la tempête. Elle est un atout essentiel pour la formation, qui peut ainsi compter sur son talent pour redorer son blason. Même sans les voix, les morceaux sont de qualité, ce qui rend l'instrumentale « GeaÄ‘gái » presque indispensable, et étant une preuve supplémentaire du grand talent dont dispose le combo. « Silver and Bones », piste la plus longue mais au tempo globalement ralenti, plus calme, est une pépite d'intimité et de chaleur.

En revanche, par son côté sombre et peu enthousiaste (malgré quelques « iololeialala » de circonstance), Crimfall s'attirera certainement les foudres d'un certain public, amateur de folk metal joyeux et dansant, style duquel les cinq finlandais s'affranchissent en proposant une musique à l'identité plus marquée, loin des clichés du genre. On sent que les influences tirent à de nombreux moments à la fois sur les scènes black/death que symphonique, la richesse de l’œuvre en est, de cette manière, encore accrue. Le groupe peut même chercher dans la musique de film qu'il reste toujours bon et digère ses inspirations sans tomber dans le repompage, « Shackles of the Moirai » le démontre d'une bien belle manière. En plus, comme si cela ne suffisait pas, on note les interventions discrètes de compatriotes invités, à savoir les frontmans de Moonsorrow et de Turisas. Comme quoi, en Finlande, on décide de se serrer les coudes, semblerait-il.

The Writ of Sword est-il meilleur que le précédent, moins bon, égal ? Difficile à dire tant les deux se ressemblent et à la fois sont différents. Si la galette est moins accrocheuse et chaleureuse qu'As the Path Unfolds..., elle gagne en personnalité et en créativité. Difficile d'accès mais terriblement dévastatrice, cette nouvelle mouture montre que tous les espoirs placés en Crimfall n'étaient finalement pas vains et que les promesses sont tenues. Maintenant, la formation parviendra ou non à faire mieux lors de la troisième réalisation ? C'est la question que l'on peut se poser tant la barre vient d'être placée haut. En tout cas, voici un digne représentant du style, se plaçant désormais nettement au-dessus d'un Kivimetsän Druidi toujours aussi peu inspiré (et que même un Nicolas Dupont-Aignan qualifierait d'arnaque du siècle) et d'un Battlelore qui, s'il reste bon, piétine un peu. La suite promet d'être radieuse, musicalement, si le combo continue de la sorte, car médiatiquement, le quintette n'est pas encore aussi exposé que les deux autres groupes sus-cités. Une injustice à rétablir au plus vite.

Note finale : 8,5/10

Site officiel de Crimfall

NOTE DE L'AUTEUR : 9 / 10



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