Anathema – Judgement (1999)

Sorti en Juin 1999  -  Music For Nations (r.i.p. ...)

"As Ye sow, so shall Ye reap",  'on ne récolte que ce que l'on sème'...

De légères nappes de claviers s'élèvent, telle une brume nocturne qui s'installe, et puis...  'tou-da-dou-da-da-dâ, tou-da-dou-dâ-da-da'... Dès l'entame de la ligne de guitare en arpèges de "Deep", Anathema nous plonge immanquablement dans un univers de nostalgie, de mélancolie, fait de souvenirs, de regrets, de remords et de résignation.


"Feel my heart burning,
Deep inside yearning
I know it is coming ..."

anathema line-up 1999

"Jugement", ou notre propre faculté à raisonner, ressentir et interpréter les choses pour ensuite prendre une décision, fût-elle bonne ou non. C'est aussi le regard que peuvent porter sur nous les autres, fût-il erroné ou non.

C'est en outre ce nom que les Liverpuldiens d'Anathema ont choisi en toute lucidité pour leur 5ème album studio, bien conscients qu'ils étaient attendus au tournant pour cet essai mûrement réfléchi et fruit cette fois d'un véritable travail de groupe (line-up renouvelé).

"Jugement"...  Un mot qui par ailleurs les accompagnera toujours dans leur carrière et les aura toujours guidés dans leurs choix artistiques … ou même choix de vie, tout simplement ?! (en témoigne leur récente profession de foi, We're Here Because we're Here ... Non, décidemment pas si simpliste que ça au fond, ce message!...)

Ce qu'ils ignoraient encore en revanche, c'était qu'à partir de là tous leurs futurs travaux seraient jugés par rapport à cette pièce maîtresse de leur discographie... Un album qui a ce don unique de « parler » à quiconque l’écoute, qui renvoie ses auditeurs directement et inconsciemment à des pages de leur propre histoire intime.

Ce fut également un fer de lance pour bon nombre de groupes ‘atmosphériques’ et intimistes  -  émergents (Green Carnation, On Thorns I Lay ou même le dissident Antimatter, pour ne citer qu’eux) ou même déjà bien établis (Paradise Lost, My Dying Bride, The Gathering)  –  qui la décennie suivante n’eurent de cesse de chercher à atteindre (ouvertement ou bien de manière moins assumée…) la grâce et l’intensité d’une telle œuvre –avec un relatif succès d’ailleurs. Même si « il ne peut en rester qu’un » !!!... ^^

 

judgement cover

Faisant alors suite à un Alternative 4 de toute beauté et déjà encensé, cet opus ne marqua donc aucunement un retour en arrière vers le 'doom-death' des débuts. Au contraire, Anathema suivait le même type d'évolution que ses compatriotes et collègues de Paradise Lost et autres M.D.B, en proposant une musique moins étouffante, et au contraire toujours plus mélodique, romantique et aérée.

Pour autant, point de redite ici : là où Alternative 4 était empreint d'une détresse suicidaire pour le moins inquiétante, qui laissait à penser que le bassiste Duncan Patterson -principal compositeur de cette précédente œuvre- allait à l'issue de l'album lâcher ses cordes pour aller en chercher une autre, Judgement se voudra lui finalement plus léger (seul le 'pétage de plomb' à la fin de "Judgement" -le morceau- rappelle un peu l'énervement d'un "Empty"...), moins désespéré, on en viendrait même à y entrevoir une petite pointe d'espoir qui coïnciderait donc avec le départ de Patterson sur cet opus... Peine perdue, car les frangins Cavanagh (guitaristes et chanteurs du groupe) de leur côté ne commenceront à voir la lumière au bout du tunnel que bien des années plus tard à l’avènement de l'illuminé (au moins tout autant que sa pochette !)  We're Here... dont nous parlions tout à l'heure.

Si l’on retrouvait encore ici quelques réminiscences du passé, en témoigne l’approche plombée dès le premier morceau "Deep" -qui préfigurait ce que sortirait Paradise Lost par la suite- , quelques restes de sonorités les rattachant à la scène dite ‘métal gothique’ (notamment la lourdeur et les claviers suaves d’un "Make it Right" qui évoqueraient presque Type O Negative…), le groupe s’en émancipait bien vite en ouvrant son champ artistique pour laisser place à des morceaux où le clavier était toujours aussi important mais se déclinait plus volontiers en nappes (même si les somptueux pianos étaient toujours de mise sur "Parisienne Moonlight" ou "Anyone, Anywhere") et se faisait bien souvent détrôner par des guitares qui se voulaient désormais plus acoustiques et éthérées.

 

old logo anathema

Les Anathema tournaient ainsi la page Alternative 4 (et par extension celle de l’ère Duncan Patterson) en proposant de vraies ‘chansons’, plus accessibles (le groupe se partageait cette fois le ‘songwriting’ avec le batteur John Douglas de retour au bercail, ainsi que sporadiquement avec le bassiste-intérimaire Dave Pybus, aujourd’hui chez Cradle of Filth…), voire accrocheuses, où la voix claire enfin parfaitement maîtrisée de Vincent Cavanagh, qui livrait ici l’une de ses plus belles performances, fait incroyablement mouche … quand elle ne vous file pas purement et simplement la chair de poule ! A ce titre, on atteint des sommets sur les merveilleuses "Emotional Winter"  ‘qui monte, qui monte’ (et sur l’intro et l’outro de laquelle on retrouve avec grand plaisir la guitare ‘lead’ de Danny, aux confins de David Gilmour et de Mark Knopfler…) et  "Anyone, Anywhere". Cette dernière était d’ailleurs un bien bel exemple (tout comme "Deep", "Pitiless" et consorts) de ce que le groupe savait désormais nous proposer en termes de musique contrastée : d’une gravité et d’une monotonie qui n’auraient pas dépareillé sur Alternative 4 (« no one really cares anymore... » « no one feels the pain I have inside ») on passe à une montée et puissance et une envolée vers un peu plus d’optimisme (du moins sur le terrain musical…), une tonalité dirait-on d'ores et déjà un peu plus ‘pop’… le côté insouciant en moins.

Car le degré extrême d’implication et le ton grave que l’on retrouvait dans la précédente œuvre sont toujours là, malgré les apparences trompeuses de détachement : les frangins, derrière la cuite sévère et le ‘bad trip’ d’une mauvaise nuit, en étaient alors pour ainsi dire au stade de la ‘gueule de bois’ et de l’état semi-léthargique du lendemain. En somme, passé le constat d’échec et d’impuissance face à celui-ci, restait la recherche d’acceptation de la réalité, ou du moins la résignation face à l’inéluctabilité de celle-ci.

Résignation face au temps qui passe ("Judgement", le « I live for today » de "Pitiless"…), face aux amours impossibles ("Make it right") voire aux passions furtives mais sans lendemains (ce splendide "Parisienne Moonlight", également une belle déclaration à la France d’un amour qui ne s’est jamais démenti depuis … hein, Vinnie?! - c’est également sur ce titre que l’on découvrait celle qui n’était alors qu’une petite invitée, Lee Douglas, sœur du batteur et aujourd’hui membre du groupe à part entière, qui mêlait pour la première fois sa voix délicate à celle des frangins, en l’occurrence c’est ici Danny qui s’y collait…).

L’acceptation était également de rigueur pour la responsabilité face aux ravages de l’alcool -et le repli sur soi qui en résulte- sur ce ‘Forgotten Hopes’ où les mots deviennent plus durs, avec cependant quelques concessions (« Did I punish you for dreaming » ?) somme toute pas très étonnantes...

Acceptation qui se révèlera en revanche impossible face au tragique de la mort (auquel on n’échappe que par le biais du rêve…) et de la perte d’un être cher, qui se voit illustrée ici par ce qui restera le moment fort de cet album, "One Last Goodbye" : les frères Cavanagh disaient ici ‘un dernier au revoir’ à leur mère décédée l’année passée, avec une maturité et une lucidité poignantes mais également le profond sentiment insurmontable de perte de repères et surtout de manque, qui font qu’il est impossible pour nous auditeurs (et un peu acteurs, aussi…) de rester de marbre. On ne sombre pour autant jamais dans le ‘pathos’ mais on reste dans ces paroles simples écrites à la première personne et à ce point emplies de sens qu’il s’agit là de la plus belle chanson jamais écrite sur ce thème (avec peut-être le "We’ll Burn the Sky" de Scorpions…).

Il en est d’autant plus difficile de ne pas sentir son cœur et tout son corps se nouer et même de retenir quelques larmes à l’issue du morceau, quand Vinnie lance un dernier et déchirant "Oh, I wish, I wish you could have stayed" avant que Danny ne se lance dans un solo 'Pink Floydien' tout en feeling et en ‘feedback’, comme il en a le secret, transformant ce morceau de bravoure en rien de moins que le "Comfortably Numb" d’Anathema
Un ‘classique’ qui a toujours eu une place à part dans le cœur des fans et qui reste un moment ô combien intense sur scène.  R.I.P. Helen Cavannagh, vous pouvez être fière de vos progénitures…

 

anathema cover inside

"As Ye sow, so shall Ye weep"?!…  Finalement, le pessimisme aura eu raison des frangins, comme en témoigne ce détournement de la célèbre phrase que je vous ai citée au début, et qui figure aujourd’hui inscrit pour l’éternité au dos de cet album… Comme pour nous dire que tous les efforts entrepris ne porteront de toute façon jamais leurs fruits et n’apporteront que des larmes (« weep »).

A la lumière de ce que l’on sait aujourd’hui, on peut penser que cette phrase aura été prémonitoire, si l’on considère la longue ‘traversée du désert’ vécue par le groupe avant de revenir en force avec un nouvel album après une gestation et une période d’incertitude de 8 ans (depuis le pénultième et plus intimiste A Natural Disaster, dont le titre préfigurait également leur situation et ce sentiment de gâchis hélas…).

A cette heure, et tandis que les Anglais commencent à goûter enfin les fruits d’un succès mérité (il n’est jamais trop tard…) avec le brillant -mais surfait- We’re Here Because we’re Here, laissons un instant ce dernier aux fans de Coldplay, Radiohead, Muse et autres Oceansize et/ou aux adeptes d’expérimentations ‘progressives’, et repenchons-nous encore et encore sur cette époque où les Anathema n’avaient pas besoin de gonfler leur production, doubler ou tripler leurs parties vocales, superposer les pistes de guitare, avoir recours à l'électronique et j’en passe, pour nous offrir une musique riche, intense, belle, à échelle humaine et en toute humilité.

Du temps où la véritable essence du groupe se retrouvait dans la pureté et la simplicité de son interprétation, cette célèbre vidéo d’époque -enregistrée dans une chambre d’hôtel- en étant le plus parfait témoignage…

 

Tout est dit.

De la musique ‘vraie’, sincère et humaine –je le répète car il n’y a rien de plus exact les concernant- des mots que je ne saurai par ailleurs jamais associer à d’autres musiciens qu’eux. L’album-culte par excellence d’Anathema et à titre personnel ce que je considère comme un des 10 meilleurs albums de tous les temps, tous styles confondus… (même si les titres "Don't Look Too Far" et "Wings of God" - deux compos de John Douglas, désolé pour lui... - sont clairement de trop ; quant aux interludes instrumentales, selon les jours et les humeurs... on les écoute ou on les zappe!...)

Une expérience auditive en dehors du temps et pourtant que chacun reliera à un épisode de son Histoire personnelle. Qu’ils en soient à jamais remerciés… Aeternitas.
 

LeBoucherSlave


PS : Je voulais en profiter pour rendre un dernier hommage à une ancienne amie et fan n°1 du groupe, Carine "Lady Dark". Nul doute que la musique d'Anathema, et cet album en particulier, l'auront accompagnée dans son voyage ici et là. R.I.P.

 

Anathema make it right

Tracklist:

01. Deep
02. Pitiless
03. Forgotten Hopes
04. Destiny Is Dead (instrumental)
05. Make It Right (F.F.S.)
06. One Last Goodbye
07. Parisienne Moonlight
08. Judgement
09. Don't Look Too Far
10. Emotional Winter
11. Wings of God
12. Anyone, Anywhere
13. 2000 & Gone (outro)
 



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