"Regarde Les Homme Tomber existe plus sur scène que sur album."
Avec un très bon deuxième album en poche, les Nantais de Regarde Les Hommes Tomber ont les atouts en main pour transformer l'essai de la belle réussite de leur premier opus. Alors en tournée française pour deux dates avec les monstres du sludge misanthropique Amenra, nous avons pu en discuter avec JJ et Antoine, les deux six-cordistes du groupe.
La grosse nouveauté sur ce deuxième album, c'est le changement de chanteur. Est-ce que vous voulez bien revenir sur les raison qui ont motivé cela et comment vous avez fait votre choix ?
[Silence gêné]
Jean Jérôme (guitare) : Ah, tu commences direct ! [Rires] Eh bien, Ulrich nous a quitté pendant l'été 2014. Il nous a annoncé qu'il en avait marre et qu'il voulait arrêter. Ca nous a surpris, même si... Il a toujours été dans son monde, un peu à part. Bon après, on sait qu'il était aussi beaucoup pris par Otargos, et je pense qu'il ne s'attendait pas à ce que Regarde les Hommes Tomber monte aussi vite et prenne presque autant d'ampleur qu'Otargos, voire plus.
Antoine (guitare) : Alors moi, je n'ai pas forcément la même version, ou en tout cas la même analyse de cette histoire. Au départ, Regarde Les Hommes Tomber n'avait pas de chanteur. Quand on a formé ce groupe, on s'était dit qu'un de nous chanterait, car on ne voulait pas d'un mec avec un micro, ça nous faisait chier. On s'est rendu compte que ce n'était pas possible. On a fait notre premier concert sans chant, et c'est après ce premier concert qu'Ulrich nous a contacté. Sauf que lui, de part ce qu'il s'est passé avec Otargos, et je pense, ses goûts personnels, voulait arrêter de faire du black metal. C'était son objectif. Or, nous, avec ce groupe, au fur et à mesure que les compos se développaient, on se dirigeait vers quelque chose de plus black. Et ça, ça le saoûlait. Il n'arrêtait pas de le dire, d'ailleurs, et pour un mec qui a passé plus de dix ans dans cette scène, ça m'étonnait. Aussi, il faut savoir qu'Ulrich n'a rien composé dans RLHT, il n'a fait qu'apporter la gestion des lumières...
JJ : Je dirais aussi qu'il nous a apporté un côté plus professionnel, plus carré.
Antoine : Oui c'est vrai. En tout cas, je pensais que cette position lui allait bien, sachant qu'il avait Otargos à côté et nous un peu en tant que groupe de session, mais en fait pas du tout. On n'a pas trop compris, il nous disait tout le temps qu'on vendait trop de trucs, que ça lui prenait la tête, que c'était pas normal qu'on en soit déjà là, etc... Puis il s'est barré.
JJ : Ouais, et il ne s'exprimait pas beaucoup. Concernant Thomas, notre nouveau chanteur, on l'avait déjà testé, avant même qu'Ulrich n'intègre le groupe. Et on était déjà très contents de lui, on était prêts à le prendre. Sauf qu'Ulrich nous a contacté au même moment... Il y a eu quelques interrogations et finalement, on a opté pour Ulrich. Et quand il est parti, on a tout de suite rappelé Thomas.
Antoine : Moi, je n'étais pas forcément enthousiaste pour qu'on fasse ça, je trouvais ça trop facile. Maintenant qu'on avait fait pas mal de concerts, je me disais qu'on pourrait probablement trouver une pointure. Sauf que Thomas s'est pointé en répétition et ça l'a fait direct. Donc on s'est dit "c'est parti, pas besoin d'aller plus loin pour chercher !".
JJ : Et aujourd'hui, on est très contents d'avoir choisi Thomas, que ça soit humainement ou sur scène, c'est génial. Ca a apporté énormément au groupe.
C'est votre deuxième album, et il arrive souvent que les groupes aient des regrets par rapport au premier album, avec le recul, à dire "Nous n'avions pas d'expérience, si je pouvais, je changerais ça ou ça, etc..." Est-ce le cas pour vous ?
JJ : Franchement non. Ce sont deux époques différentes, le contexte de composition des deux albums n'a rien à voir. Le premier album, je l'ai composé tout seul dans mon coin, et les gars m'ont rejoint après. Suite à ce premier album, on a commencé à faire des concerts, à tourner... On est devenu un vrai groupe. Et quand on a commencé à composer le deuxième album, le faire tout seul ne pouvait plus marcher, du coup. On a donc commencé à composer tous ensemble, et c'est comme ça que ça s'est fait.
Antoine : Je suis complètement d'accord. Maintenant, on a peut être des regrets sur un point : en fait, le premier album, c'était aussi la première fois qu'on faisait un enregistrement pro' de ce type, et on s'est un peu bridés. On a tout enregistré au clic, et maintenant, on trouve l'album beaucoup trop lent. Il est bridé. Après, je suis toujours étonné qu'il ait tant marché, c'est génial. Mais c'est clair qu'on a du mal à le réécouter. Notre batteur ne peut plus l'écouter par exemple, c'est pas possible. Je ne sais pas si on peut parler vraiment de regrets car c'est quelque chose d'imprimé dans le temps, mais.... Parce que le truc, c'est qu'on a fait évoluer nos morceaux au fur et à mesure des concerts. Nous ne sommes pas un groupe où tout est figé, calculé. Pour nous, les concerts sont la suite de nos morceaux, et c'est très important. On est devenus plus metal au fur et à mesure, on a commencé à jouer plus vite, et c'est vrai que le premier album est un peu en décalage, maintenant.
Du coup, qu'attendiez vous de ce deuxième album, musicalement parlant ?
Antoine : Aller plus loin dans le concept du groupe. Bon, il y avait aussi le simple fait de réussir à sortir un deuxième album, parce que c'est tout sauf simple : on a beaucoup joué et il n'a pas été facile de faire que tout le monde soit content des compos... Maintenant, on veut aller le plus loin possible, jouer autant que possible.
Du coup, JJ a mentionné une autre énorme différence entre les deux albums : cette fois, vous avez tout composé ensemble. Vous faisiez ça en répète ?
JJ : Ca dépend. Déjà, comme on y a tous contribué, il a beaucoup plus de profondeur, de richesse. Disons que j'ai apporté la matière première, le squelette pour composer l'album, et ça s'est fait à domicile. Après, on a transformé ça en répète tous ensemble. Il y a même certains morceaux de l'album sur lesquels je ne suis quasiment pas intervenu.
Thomas était là dès le début de l'écriture ?
JJ : Non, puisqu'on a commencé à bosser sur le deuxième album quand Ulrich était encore là. Et
Thomas a vraiment commencé à s'investir dans l'album à la fin de l'année dernière.
Antoine : Ca a été compliqué, car on a commencé sans chanteur, et on avait du mal à prendre la voix en considération. Et on aime bien faire ca entre nous. Bizarrement, ça va mieux avec Thomas, alors qu'il est dans le groupe depuis moins longtemps que ne l'était Ulrich. Ce n'est pas Thomas qui écrit les paroles, et je me souviens que j'ai beaucoup été sur son dos en studio pour lui dire de chanter comme-ci ou comme ça. Parce que Thomas vient du death mélodique à la base, donc il n'avait pas forcément le flot qu'il nous fallait. Nous, on voulait quelque chose orienté black, déclamé, et qui suit la mesure, pas quelque chose de saccadé comme ça se fait dans le death. Si tu compares du chant black au chant de Cannibal Corpse, ça n'a rien à voir. Thomas nous a aidé avec
son grain de voix et sa vision différente des choses, mais il n'a pas vraiment participé à la composition.
JJ : Je pense que Thomas habite complètement l'album avec sa voix, au delà de ces considérations techniques. Lui-même est habité quand il chante, et ça se ressent énormément à l'écoute.
Antoine : Ouais, on a bien travaillé là-dessus, on l'a bien fait chier ! [Rires]
Est-ce que le fait d'être original entre en ligne de compte quand vous composez ?
JJ : Notre objectif était avant tout de se démarquer du premier album, sur lesquels il y a beaucoup de riffs qui rappellent nos influences. Sur Exile, on a voulu éviter le côté facile du premier LP.
Antoine : Ce groupe, c'est le jeu de guitare de JJ. Comme c'est lui qui a composé le premier album, il y a imprimé son style, qui est complètement différent du mien. Et mine de rien, la technique a son influence sur la composition. Les morceaux ne sont pas compliqués à jouer, mais il y a certains harmonies, certains mélodies qui représentent le son RHLT, et on a essayé d'explorer cela. Il y a certains accords que d'autres groupes utilisent, mais ce n'est pas notre cas, et cette manière de jouer fait aussi son originalité.
JJ : Il y a quelque chose de vraiment important quand je compose : je veux qu'il y ait une ambiance particulière. J'écris toujours avec cette idée en tête, plutôt que me focaliser sur les riffs qui tâchent par exemple. Je veux te sortir une ambiance qui te mette mal à l'aise, ou autre... Te faire ressentir quelque chose en tout cas.
Antoine : Moi par exemple, j'ai apporté la base des derniers morceaux de l'album. Je les avais en tête depuis un moment et c'était des trucs qui n'etaient pas forcément prévus pour Regarde Les Hommes Tomber. On a réussi à transformer ça pour que cela convienne au groupe, exactement comme JJ l'a dit : en travaillant sur des ambiances qui nous parlent.
Si on regarde la tracklist, on peut remarquer que la durée moyenne des chansons est plus longue : vous aviez envie d'expérimenter sur un format plus long ?
JJ : Comme on travaille beaucoup sur l'ambiance, peut être que notre musique a naturellement évolué vers une orientation plus tournée vers le prog'. Comme on a encore plus voulu travailler les ambiances, la durée des chansons s'est un peu allongée en conséquence.
Justement, il y a le dyptique "They Came"/ "... To Take Us". Pourquoi les avoir séparées sur le disque du coup ?
JJ : A la base, c'est le même morceau. Mais on a fait la séparation par superstition : il y a sept titres sur le premier album, et on s'est dit qu'il en fallait sept sur le deuxième.
Antoine : En plus, si on voulait sortir ce morceau en promo, on s'est dit qu'on couperait l'intro. Bizarrement on le joue pas beaucoup en concert d'ailleurs. A la base, l'intro était légèrement différente, on a fait cette version en studio. On avait les paroles, on cherchait un titre, et on s'est dit qu'on allait faire ça. Sur la tracklist, tu vois qu'il y a les trois petits points, comme ça on montre que c'est vraiment le même morceau. Un peu comme Gojira qui avait fait "From Mars... To Sirius".
Le nom de votre groupe est tiré d'un film. Est-ce que vous vous considérez comme cinéphiles et pensez-vous que le cinéma a une influence directe sur votre musique ?
Antoine : Pas vraiment, en tout cas en ce qui me concerne. Ce qui m'inspire, c'est avant tout les gravures qu'on utilise. Après, on a tous des visions différentes dans le groupe. Moi, ce qui m'intéresse, c'est l'occulte, les gravures, l'ésotérisme, la religion... Je suis passionné par tout ce qui concerne la religion, et c'est ce qui m'inspire. Les films, pas vraiment. Je suis pas assez cinéphile pour donner des références cinématographiques. Je suis avant tout intéressé par le travail graphique.
JJ : J'irais pas jusqu'à dire que je suis cinéphile. Mais, je reste avant tout un musicien, et quand je regarde un film, si je trouve la musique vraiment géniale, ça va me permettre de complètement rentrer dans le film. Je suis toujours hyper attentif à la musique des films. Souvent la musique des films , c'est des trucs ambiants, et parfois, quand je regarde un film, je peux entendre quelque chose qui me fait réagir, jusqu'à me faire prendre ma guitare pour essayer de reproduire cette ambiance. Ca m'a déjà inspiré deux trois trucs pour le groupe. Il y a vraiment des films à la musique marquante.
C'est intéressant que tu dises ça, parce que j'ai eu la chance d'interviewer Ihsahn au Fall of Summer, et il me disait que les musiques de film avaient été une influence directe sur Emperor.
JJ : Oui, ça ne m'étonne pas. En ce qui me concerne, quand une musique me prend aux tripes, j'ai envie de la retranscrire dans une compo. C'est important. En musique de film, le compositeur qui m'a le plus marqué, c'est Joe Hisaishi. Ce mec a composé la plupart des musiques des films d'animation du studio Ghibli., dont ceux de Miyazaki. Ca a pas vraiment de rapport avec nous, mais à travers ses compositions, il a créé une atmosphère assez unique, onirique. ça m'a beaucoup marqué en tout cas. La B.O de In The Mood For Love aussi est assez folle aussi, composée par Shigeru Umebayashi. Je suis un grand fan ! Tu as toute le travail aussi de Brian Eno, sur divers documentaires. Plus récemment, tu as Ólafur Arnalds qui se distingue aussi dans ce domaine. C'est un Islandais qui fait pas mal de bandes son pour des documentaires. Il s'inscrit dans la lignée de ces groupes islandais qui te font voyager avec leur musique, comme Sigur Rós ! Et enfin, il y a Gustavo Santaolalla qui a fait une magnifique BO sur le Secret de Brokeback Mountain ! Il a fait aussi la BO du jeu vidéo "The Last Of Us", qui est magnifique !
Est-ce que tu te verrais composer des musiques de film ?
JJ : Pas forcément. Mais un jour, quand j'aurais du temps [rires], j'aimerais monter un projet un peu plus post-rock, instrumental... Un peu plus posé, vraiment totalement centré sur les ambiances. C'est un souhait !
Vous gravitez à mi-chemin entre la scène black et sludge, on va dire. Or, il y a pas mal de groupes de black qui refusent de faire des concerts. On a d'ailleurs deux exemples emblématiques en France : Deathspell Omega et Blut aus Nord, pour des raisons un peu mystérieuses d'ailleurs. Par ailleurs, même Colin d'Amenra, groupe avec qui vous avez tourné, reconnaît qu'il n'aime pas faire de concerts, mais qu'il le fait estimant que c'est nécessaire. D'ailleurs vous même m'avez dit tout à l'heure que vous étiez devenus un vrai groupe à partir du moment où vous aviez commencé les concerts. Pensez vous qu'un groupe ne peut pas exister sans monter sur scène ?
Antoine : Il n'y a pas de règle. Mais en ce qui nous concerne, c'était primordial. On le savait dès le début. Nous sommes tous issus de la scène hardcore, et dans cette scène là, le concert prime sur l'album. Et on a gardé ça en nous. C'est des vieux trucs, mais ça te marque à vie. Pour nous, c'est évident. On fait de la musique pour ça, en fait. Nous ne sommes satisfaits de notre musique qu'en la jouant sur scène. Ceci dit, je pense qu'on a plus réussi à travailler cela sur le nouvel album. Et je suis toujours touché quand des gens me disent qu'ils ont apprécié l'album.
JJ : Pour rebondir sur ce que tu as dit : oui, j'ai commencé à composer mes morceaux seul. Mais très vite, je les ai passé aux gars parce que je trouvais ça chiant de rester tout seul. J'ai envie de faire un groupe et que tout le monde participe. Et oui, je pense que Regarde Les Hommes Tomber existe plus sur scène que sur album. L'album est un support pour faire des concerts.
Petite question de curiosité malsaine : comment avez vous chopé ce bail avec Amenra ? C'est grâce à Kongfonzi où vous aviez des relations avec le groupe avant ?
Antoine : C'est grâce à Kongfonzi. Après, moi je voulais pas jouer avec Amenra au début. Parce que je savais qu'ils étaient ultra balaises, qu'on faisait pas le même type de musique et qu'on allait perdre. [Rires]
JJ : Moi, quand on m'a annoncé ça, j'étais très content. Parce qu'Amenra est un groupe énorme, et ça ne peut qu'accroître la notoriété du groupe... Même si aujourd'hui, soyons honnêtes : nous n'avons pas leur niveau. Mais on apprend grâce à cela, c'est de l'expérience prise pour la suite. On savait que ça serait compliqué d'ouvrir pour eux, mais d'un autre côté, c'est génial d'ouvrir pour un tel groupe.
Dernière question, qu'écoutez-vous en ce moment ? Des choses vous ont marqué cette année ?
Antoine : Dans les albums de l'année, il ya le MgŠ‚a. On est tous d'accord là dessus dans le groupe. Après, il y a aussi des déceptions comme le dernier album d'un groupe de hardcore de Boston qui s'appelle No Tolerance. Il y a une tape d'un groupe de black de Rouen qui s'appelle Nécropole. Si des gens connaissent, bravo à vous !
Après, je suis allé au Brutal Assault cette année, et j'ai fait des enchaînements de malade : Lucifyre, Dead Congregation et Cult of Fire qui a fait un show hallucinant. Gorgoroth à Paris, c'était énorme aussi! Ah, j'allais oublier Sunn o))) au Brutal Assault, c'était dingue aussi.
JJ : Moi il y en a deux qui m'ont marqué : le dernier Envy. J'avais ete déçu des derniers albums, mais celui là est un immense retour. Et il y a le dernier Urfaust. Il est passé inaperçu, et pourtant c'est de l'ambiant démoniaque! [Rires] Après sur scène, on s'est pris une méchante fessée par Amenra à Paris. C'était douloureux ! Sinon, je n'ai pas beaucoup fait de concerts cette année. J'en faisais beaucoup par le passé, mais ça ne m'intéresse plus autant qu'avant.