Vous, là, au fond, qui lisez cette chronique en ce moment même, ces mots, qui êtes en train de perdre quelques secondes à lire ces lettres alors que vous pourriez faire autre chose (mais votre curiosité va vous pousser à aller plus loin de toute façon, et il faut, car l'album dont on va parler en dessous, il est recommandé par l'UFC-Que Choisir), vous voulez de la musique originale, n'est-ce pas ? Quelque chose qui change de votre univers musical habituel (ou non, d'ailleurs). Voilà donc, mesdames et messieurs (rayez la mention inutile) le nouvel opus de Spiky, intitulé Carnival Symposium. De quoi s'agit-il ? De rock orchestral steampunk, tout simplement. Si vous ne savez pas ce qu'est le steampunk, il va falloir se documenter un peu pour comprendre mieux la chronique. De quoi est-il fait, comblera-t-il les plus exigeants, la vie des habitants de Saint-Pétersbourg en sera-t-elle changée à jamais ?
Pour un non-initié au steampunk, il est très difficile d'imaginer de quoi sera fait cet opus de Spiky. Profusion et gigantisme, l'une des caractéristiques de ce courant artistique particulier, pourrait très bien coller à la musique qui nous est proposée, et en cela l'étiquette elle-même est parfaite pour l'album. L'usage de moult instruments donne une vraie richesse à ce rock orchestral qui recèle de mélodies surprenantes et variées, accrocheuses et inventives, les qualités ne manquent pas, tant à l'écoute, l'auditeur est happé dans un monde que l'on imagine parfaitement. Pour l'objectif de créer un univers propre à la musique, celui-ci est atteint, les multiples éléments posant une brique à l'édifice final qui, une fois construit, s'étant de manière colossale. L'intervention des différents types de voix, qu'ils proviennent d'hommes ou de femmes, les bruitages en tout genre, les sonorités toutes plus diverses et variées, les narrations, les soupirs, les complaintes, et la vapeur qui est une partie intégrante de l'univers steampunk sont là pour bercer l'imagination. Force est de constater que cela marche et, à ce titre, la personnalité qui s'en dégage ne fait que renforcer les sentiments positifs qui s'accumulent au fur et à mesure de l'avancée.
Il faut cependant bien comprendre que la musique de Spiky n'est pas des plus accessibles. Celle-ci demande un certain nombre d'écoutes pour bien s'intégrer à cet univers et s'imprégner des atmosphères, se laisser emporter par celles-ci. Et en choisissant une certaine complexité pour nous offrir une musique de la trempe, nul doute que son compositeur se fermera un certain nombre de portes. Si la patience et l'ouverture d'esprit ne sont pas là, alors nul doute que quelques irréductibles n'arriveront pas à trouver l'objet de leur recherche et abandonneront l'exercice de l'appréciation avant même d'en découvrir les secrets, ce qui serait dommage, bien évidemment. Mais il faut s'accrocher, et sur ce point, Carnival Symposium ne plaira pas à tous. De même, ceux qui recherchent une efficacité qui prime et un style très direct passeront leur chemin devant la diversité des structures, les ambiances qui resteront inexistantes à leurs oreilles (sauf si, bien sûr, l'envie de s'attarder sur la galette parvient à convaincre ces hardis) et le manque d'une certaine « puissance brut » au profit des atmosphères, puissance que l'on retrouvera d'une manière ou d'une autre.
En revanche, on peut observer une certaine uniformité dans le brûlot, que cette dernière passe par les titres ou les traits propres au steampunk, qui sont présents en grand nombre sur chaque morceau. L'assemblage de ces derniers forme un tout, dans lequel une grande cohérence se dessine. Il est plus difficile d'écouter un titre à part, tant l'ensemble forme un véritable puzzle, une mécanique solidement rodée, où chaque pièce s'insère dans l'autre, créant les rouages qui permettent d'obtenir une réelle solidité et, même lors de passages beaucoup plus expérimentaux, pas de risque de se perdre pour ne plus pouvoir suivre. Voilà qui est une grande force, ce fil d'Ariane qui lie et emboîte les titres les uns dans les autres, chaque pièce ayant sa place. Retirez-en une et la machine pourrait bien s'enrayer. Paradoxalement, il y a toujours matière à trouver des morceaux qui se dégagent du lot et apparaissent comme plus séduisants. Et « The Chronophagist », l'introductive, paraît colossale, et ce n'est pas qu'une apparence : elle l'est. Un tel travail entre les harmonies, les voix, les multiples facettes orchestrales et/ou steampunk suscite l'enthousiasme tant il est solide et rigoureux, sans jamais tomber dans le froid ou le fade. Mais en pleine navigation, « The Sick Crow » capte totalement l'attention. Entre les parties instrumentales et les voix, ce florilège est un plaisir pour les cages à miel. Rendons à César ce qui est à César, et couronnons de lauriers nos trois vocalistes : qu'il s'agisse de Spiky lui-même, de Jessica Donati (Ivalys) ou de Captain John Sprocket (The Cog is Dead), les trois apportent un quelque chose qui fait toute la différence. Ils interviennent toujours au bon moment, et de la meilleure des façons. Bravo à eux.
Évidemment, les influences du compositeur sont à chercher vers la musique de film, qui semble être un élément primordial dans l'oeuvre du français. Hans Zimmer et Danny Elfman seraient-ils dans le coin, par hasard ? Dès lors, on pourrait très bien concevoir une piste proposée sur ce brûlot dans un film assez sombre, mystérieux, comme Carnival Symposium, en fait. Et dissipons dès à présent une crainte qu'il serait légitime d'avoir, vu qu'il s'agit d'une auto-production : le son est excellent. Le rendu sonore colle à merveille à ce que l'on attendait, entre ancienneté et modernité, tout en gardant une vraie clarté. De ce fait, chaque élément ressort de cette densité ambiante, le travail de François Fanelli (Sonics Mastering) conserve ces sonorités recherchées.
Avec Carnival Symposium, Spiky décide de ne pas choisir la facilité pour se concentrer sur une musique très personnelle et à l'univers bien ancré dans le mouvement steampunk. Que l'on aime ou non, il faut bien reconnaître un travail minutieux et précis. S'il va diviser, ce ne sera que pour mieux régner sur ceux qui, grâce à la persévérance, seront acquis à la cause du compositeur français. Désormais, il va falloir que pour un album suivant, Spiky nous offre quelque chose d'encore plus surprenant et ingénieux, la barre venant d'être placée très, très haut. Mais avec cette galette savoureuse, il serait difficile de ne pas avoir une certaine demande par rapport à son créateur. La prochaine va être attendue de pied ferme par les fans, et les amateurs du genre.