Aujourd'hui, malheureusement, Theatre of Tragedy n'est plus. Si, en terme de notoriété, le nom du groupe fut connu par pléthore d'initiés, le succès n'a jamais été au rendez-vous pour la formation, qui, pourtant, livra de superbes opus, dont un en particulier. Velvet Darkness They Fear, datant de 1996, considéré comme LE monument des norvégiens, est une révolution pour le style dit de la « belle et la bête », et inspirateur d'une multitude de groupes. Qu'est-ce qui fait de ce disque une telle réputation ?
L'univers de Velvet Darkness They Fear n'est pas uniquement musical, et nous y retrouvons avec beaucoup de plaisir un goût prononcé pour la théâtralité. Vocabulaire en vieil anglais, inspirations de ce bon vieux Shakespeare, les pistes devenant les actes, les vocalistes, d'un masque vêtu, seront les personnages de ce sombre univers, écrit par des auteurs plus qu'inspirés. Tout cela aide bien évidemment à se glisser dans ce qui semble particulièrement significatif chez nos norvégiens, c'est à dire l'atmosphère, qui ne nous quitte pas au fur et à mesure, restant là, la même, uniforme mais tout sauf monotone. Sombre voir glaçante, elle nous laisse parfaitement entrevoir la mascarade jouée par sieur Raymond Rohonyi et dame Liv Kristine, qui s'amusent à se donner la réplique. Cette ambiance, à la fois froide et envoûtante, c'est ce qui fait tout le charme de l'album, et du groupe en général. Mystérieuse et intrigante, elle donne envie de percer les ténèbres pour voir plus loin, là où une sirène norvégienne nous conduit par des lignes de chant ravissantes. Pour combler le tout, un extrait de dialogue du film de Roger Corman, « Le Masque de la Mort Rouge », paru en 1964, s'intercalera majestueusement, sans briser le rythme, sur la superbe « And When He Falleth ». Car Theatre of Tragedy, en plus de cela, sait créer une vraie osmose entre les éléments intégrés à la musique et la musique elle-même, renforçant de cette manière les émotions véhiculées. Une bien belle réussite de la part des musiciens.
Si le groupe est un pionnier du gothic metal, ce n'est pas pour rien et tous les éléments classiques sont ici présents. Le tempo est lent, lancinant, les guitares lourdes et puissantes, mais l'effet recherché par nos scandinaves, c'est le contraste, magistralement apporté par le clavier et ses touches enchanteresses, mais également par la superbe voix d'une chanteuse, la bien connue Liv Kristine (aujourd'hui meneuse de Leaves' Eyes). En écoutant leur musique, plus besoin de chercher où des combo tels On Thorns I Lay, Draconian ou Macbeth puisent leurs influences pour créer leur propre beauté à eux. L'accent est donné au doom, tempo identifiable rien qu'aux premières notes, et ce style de la « belle et la bête » fait mouche directement. L'alternance entre le grunt colossal de Raymond, ses parties narrées ou de chant clair elles aussi très sombres (parfois pouvant même rappeler dans le timbre Aaron Stainthorpe de My Dying Bride) et la douceur, la luminosité d'une chanteuse qui, ici, donne le meilleur d'elle-même, remplissant son rôle de « belle » à la perfection, n'est pas sans inspirer moult autres nouveaux venus, tant la recette est, ici, somptueuse. Les deux compères accomplissent un travail de grande qualité.
Pour ce qui est des morceaux en eux même, non seulement il n'est à dénoter aucun en dessous ou mauvais, mais également que certains seront classés comme cultes du groupe, ou même du genre. En même temps, difficile de résister à la magie du magnifique « Der Tanz Der Schatten », une pièce entièrement écrite dans la langue de Goethe, mais ne nuisant nullement à la fluidité de ce délicat et romantique titre. Il ne manque pas de mordant, ce brûlot, et ce malgré la noirceur des pièces. Mais au moment d'entendre un « Fair and Guilling Copesmate Death » ou encore « Black as the Devil Painteth », on se dit qu'un Draconian a su où puiser sa lourdeur et ses émotions. Dans tous exercices, les norvégiens excellent et éblouissent littéralement par la profondeur de leur musique, inspirée, et l'aspect condensé en serait presque oublié tant on a l'impression d'entendre à chaque fois une fourrée de différences. Que ce soit quelques samples, des dialogues (« Seraphic Deviltry ») ou quelques notes de piano, chaque élément prend une plus grande tournure, même si cette apparence monolithique ne plaira pas forcément à tous, et pourra être quasi-éprouvante pour certains.
Oui, car Theatre of Tragedy n'est pas si accessible qu'il semble l'être et demande un certain temps avant d'être complètement adopté, une caractéristique inhérente à la formation elle-même car le prédécesseur, éponyme, et le suivant Aégis sont forgés de cette même matière. De même, les relents atmosphériques en lasseront d'autres, ceux qui ne prendront pas le temps de s'imprégner du charme qui fait l'essence même du combo. En fait, cette galette est tout sauf accrocheuse et demande un vrai effort pour s'immerger en son sein. En clair, si vous ne venez pas à Velvet Darkness They Fear, l'album ne viendra pas à vous, c'est aussi simple que cela. La persévérance est une qualité requise pour se plonger dans les ambiances noires, dans le théâtre shakespearien de Norvège, et même si c'est difficile, le moment où on y arrive enfin est magique, car tout se libère enfin et l’émerveillement commence. Peut-être « And When He Falleth » est-elle moins repoussante au départ, cette mid-tempo pouvant servir de passerelle entre l'auditeur et l'opus.
Theatre of Tragedy signe une œuvre majeure du metal avec ce second album d'une noirceur exemplaire et d'une intensité émotionnelle assez frappante. Pour preuve, de nombreux groupes citent encore ce Velvet Darkness They Fear en tant que référence au moment de parler de leur musique. Et vu la ribambelle de groupes (Tristania, Estatic Fear, Macbeth, Draconian, Sirenia, …) qui reproduisent un phénomène assez similaire, cela n'a absolument rien d'étonnant. En tout cas, voilà un brûlot sur lequel il faut jeter une oreille tant il est beau. Incontournable.