Le Forum, Chauny le 19 novembre 2015
Furia collective face à la haine
Pour ses dix ans, le festival proposé par le conseil régional de Picardie a voulu conserver l'éclectisme qui caractérise sa programmation en proposant une soirée consacrée au metal dans la petite, mais dynamique, cité de Chauny. Dans un contexte morose, les trois formations ont délivré chacune des performances convaincantes basées sur un partage chaleureux. Malgré la peur causée par la tragédie du 13 novembre, le public a répondu en masse en se déplaçant des quatre coins de la Picardie et même pour certains de plus loin, positifs à bloc devant la haine et l'intolérance.
Le Forum de Chauny est un ensemble culturel qui comprend un cinéma et une salle de spectacle pouvant accueillir 660 (six de plus et nous avions le nombre de la bête) personnes. La salle est très bien équipée et sonorisée, ce qui en fait un lieu de concerts parfait pour l'Aisne, plutôt sinistrée en matière de concerts metal et assimilés. Un peu plus de six mois après avoir accueilli les Suédoises de Crucified Barbara, le Forum ce 19 novembre reçoit dans le cadre de la dixième édition du Picardie Mouv, une affiche portée sur le riff velu : à la tête d'affiche Mass Hysteria, en pleine tournée promotionnelle de leur dernier album Matière Noire, se sont ajoutés les Amiénois Anorak et le collectif francilien La Nébuleuse d'HIMA. Une soirée, que l'on a cru un moment annulée, marquée d'un contexte particulier, résultat de la peur et du traumatisme engendrés par les attentats du Bataclan. Mais voilà les Mass l'ont annoncé sur leur page Facebook : les dates prévues seront maintenues malgré les pertes survenues dans l'entourage du groupe. The show must go on, et les deux autres formations à l'affiche ne se sont pas faites prier pour les suivre dans cette volonté de continuer à célébrer la musique et la vie.
Forcément, dehors et à l'intérieur, tout est affaire de sécurité et de surveillance, pendant que des maîtres-chiens tournent autour du bâtiment, des agents fouillent les sacs (qui doivent ensuite être déposés au vestiaire) et la salle est remplie de personnel habilité à s'assurer qu'aucun incident ne perturbe la soirée. A noter aussi que les photos sont interdites (à l'exception des accrédités). Le public se montrera coopératif et quelques téléphones seront sortis à la fin du concert des Mass Hsyteria pour immortaliser l'événement sans que la sécurité ne bronche, comme quoi la solidarité et la tolérance existent encore dans notre beau pays.
La Nébuleuse d'HIMA
La soirée débute vers 20h30 avec l'arrivée sur scène de La Nébuleuse d'HIMA, un collectif de Seine-Et-Marne d'une quinzaine d'artistes mélangeant arts graphiques et musique aux diverses influences (electro, hip-hop, metal, world musique...). Le spectacle est donc à la fois visuel et auditif, le tout mené par Faustine Berardo, petit (mais grande par le talent et le charisme, non ce n'était pas seulement pour me rattraper) bout de femme pleine de nerfs à la voix puissante et maîtrisée et à l'aisance scénique évidente qui s'est mise d'entrée le public dans la poche.
Derrière, l'accompagnement musical, composé de deux djs multi-instrumentistes/performers et de deux guitaristes délivrant des riffs puissants, est assuré sans que rien ne soit à redire. On éprouve aucune peine à entrer dans l'univers (décliné sur deux deux recueils-audio Once Upon A Time… sorti en 2012 et Falling Between Two Stools en 2014) torturé et onirique, avec des textes chantés majoritairement en Français, du Collectif.
Le mélange electro/ethno/hip hop avec des grosses guitares fonctionne très bien et dans ses moments les plus énervés on pense à Eths (Faustine par moments pousse un growl à faire pâlir bien des vocalistes metal par sa puissance comme sur « Honte Sur Toi pt.1 » par exemple ), mais en plus imaginatif. Nul doute que La Nébuleuse d'HIMA a gagné de nouveaux fans ce soir, et c'est amplement mérité.
Anorak
Mo, vocaliste d'Anorak me l'a dit : ce soir il va falloir prévoir les bouchons car ça va saigner. Et effectivement en écoutant les balances des Amiénois on comprend vite que nous n'allons pas assister à un thé dansant. Lorsque « Red Cellar » débute, le public se prend la puissance du grind'n'roll en pleine face, et c'est parti pour trois bons quart d'heure de riffs massifs et de section rythmique dévastatrice, le tout mené par le chant coléreux et torturé de Mo.
A côté de moi un spectateur un peu plus âgé que la moyenne ne semble pas trop comprendre ce qu'il voit et entend, il esquisse une grimace qui finit par se transformer en sourire, « C'est puissant ! » glisse-t-il enthousiaste à un ami l'accompagnant.
Puissant, techniquement irréprochable et terriblement précis dans sa volonté de tout dévaster sur les planches. Le rouleau-compresseur Anorak est là pour vous prendre par le cou et vous étrangler jusqu'à ce que vous deveniez pâle mais heureux d'être vivant, car le but n'est pas non plus d'achever. Le répertoire puise principalement dans Go Up In Smoke et Sick, les deux dernières réalisations du combo, pas de temps mort, peu de place aux longs discours car le temps est compté pour se faire bien voir, et tout s'enchaîne à un tempo effréné, avec quelques cassures pour mieux repartir sur les chapeaux de roue ensuite.
Mo prend juste la parole pour remercier l'audience et l'inviter à exécuter circle pits (les premiers de la soirée), pogos et slams, lui même se jetant dans le public à la fin du set. L'assistance ne se fait pas prier pour un grand défoulement, dans la bonne humeur et le respect de chacun. De même pour le groupe qui semble possédé par sa musique, Scope et Tim sautent partout et Mo effectue même un slam dans le public.
A noter que le son, très bon, fit ressentir parfaitement chaque instrument, que ce soit les coups de caisse claire robustes de Gui, les lignes de basse précises et groovy de Tim ou les riffs précis et coupants comme un scalpel, de Scope. Anorak en présentant son mélange de hardcore, metal et de sonorités plus rock'n'roll a prouvé qu'il avait du métier dans l'art de tenir une scène. Ne reste plus qu'à espérer que le successeur de Go Up In Smoke (que La Grosse Radio avait beaucoup aimé), dernier album sorti il y a deux ans déjà, ne tarde pas trop à pointer le bout de son nez, c'est tout le bien que nous leur souhaitons.
Setlist Anorak :
Red Cellar
Go Up In Smoke
Deserve Your Meat
Crowded Sunny Streets
Wood Philosophy
Horror For Trance
Long Black Half Hair
I've Never Been Part Of You
Mass Hysteria
La salle se remplit de plus en plus tandis que la scène se prépare à recevoir les têtes d'affiche de cette soirée. Le backdrop représentant le logo du groupe est de couleur noire, couleur qui a dominé l'actualité nationale ces derniers jours, couleur du deuil, celui éprouvé par notre nation mais aussi celui de ceux qui aiment la musique et la font vivre en se rendant aux concerts, en la jouant ou en écrivant dessus. L'ambiance monte en intensité au fur et à mesure que l'attente se fait longue.
Puis, les lumières s'éteignent. Le « Get It Hot » d'AC/DC se fait entendre et on se prend à se demander ce que ce bon vieux Bon Scott aurait pensé du bordel dans lequel notre monde est plongé actuellement. Les musiciens de Mass Hysteria arrivent, acclamés par le public, on sent qu'un truc magique va se produire, une communion, on ressent des frissons.
« Tout Doit Disparaitre » retentit, à l'écoute de ce morceau extrait de L'Armée Des Ombres, précédent disque des Mass, on se rend compte que le son est encore puissant et clair (à l'exception du chant de Mouss parfois en retrait) et que la qualité du concert va en jouer.
On peut se moquer de l'optimisme un peu « baba-cool » de Mass Hysteria genre « faisons du metal mais tout le monde il est beau et gentil », cela peut prêter à sourire mais avouons qu'en ces temps troubles ce genre de discours fait du bien et unifie chacun, du vieux hardos aux jeune métalleux chien fou (de la casse) en passant par les curieux. Tout le monde semble adhérer au discours rassembleur des Parisiens. Mass Hysteria ne joue pas pour son public mais pour le public, ceux qui ont fait l'effort de venir les voir.
Les musiciens sont heureux d'être là, cela se voit sur les sourires qu'ils affichent. Les kids se déchaînent en slams, circle pits et walls of death et la fête commence. Mouss est en verve, il harangue, invective sur les événements récents et présente les morceaux : certains d'ailleurs collent terriblement à l'actualité comme « L'Enfer Des Dieux » dont le refrain est un véritable manifeste. Le public est aux anges (et non dans l'enfer des dieux) car le groupe ne fait pas la différence entre le fait de se produire dans une métropole ou une petite ville de province.
Tout le monde presque fait le signe de ralliement proposé par les Mass, le V de la victoire qui remplace la traditionnelle « Mano Cornuta », preuve que les terroristes n'ont rien gagné car nous sommes tous là, unis et « Positif à bloc » comme décrit dans cet autre hymne qui va aussi prendre une dimension spéciale ce jeudi soir.
Il y a aussi ces petits clins d'oeil comme la citation du « California Über Alles » des Dead Kennedys en plein milieu d'un titre et transformé en « Mass Hysteria Über Alles », et ces moments de complicité avec le public comme lorsque Mouss chambre Raphaël Mercier, rappelant au batteur ses origines picardes. Ou lorsqu'il interrompt « L'Archipel Des Pensées » en s'excusant, déclarant que ce même Raphaël a cassé sa caisse claire, qu'il va falloir la changer avant de reprendre le show. Pour faire patienter, les deux guitaristes Yann et Fred (le membre de Bukowski, aussi producteur des derniers albums, s'est d'ailleurs très bien intégré au groupe) se lancent alors dans une espèce de blind-test avec le public, où nous avons pu reconnaître quelques riffs célèbres comme « I'm Broken », « Roots Bloody Roots », « Angel Of Death » ou « Thunderstruck »...
« Vous avez soif ? » finit par lancer Mouss à l'assistance qui répond avec enthousiasme et le frontman s'en va chercher une bouteille backstage pour partager l'apéro avec ceux qui font l'effort de s'avancer au devant de la scène en attendant que le problème technique soit réglé.
Il y a aussi « Respect To The Dance Floor » où les filles sont invitées à monter sur scène pour exécuter une chorégraphie « entre Abba, les Beatles et Metallica » comme le demande le chanteur. Tout se termine par un « Furia » qui porte bien son nom tellement tout le monde semble, positivement, déchaîné.
Seule ombre au panneau : ce petit bonhomme placé à côté de la sono dans les bras de son père qui ne semble pas apprécier le show et qui pleure. Vincent le bassiste demandera à ce dernier de placer des bouchons sur les oreilles de l'enfant et Mouss proposera de venir assister au reste du concert sur le côté de la scène, là où le son est moins fort. Mais le papa préférera apparemment rester là où il est avec sa progéniture qui semble avoir souffert le martyr. N'imposez pas les décibels aux enfants si vous voulez qu'ils aient plus tard le goût des bonnes choses.
Il n'y a pas eu de rappels et personne n'a songé à en réclamer, tout le monde est allé ensuite retrouver les membres du groupes sur le stand merchandising ou au bar à l'invitation de Mouss pour signer des autographes et taper la discussion. Car Mass Hysteria c'est « Plus Que Du Metal », de l'énergie positive, contagieuse et de la générosité.
Setlist Mass Hysteria :
Tout Doit Disparaitre
World On Fire
Chiens De La Casse
Notre Complot
Une Somme De Détails
L'Enfer Des Dieux
Vector Equilibrium
Positif A Bloc
L'Archipel Des Pensées
Vae Soli
Tout Est Poison
P4
Contradiction
Plus Que Du Metal
Respect To The Dancefloor
Furia
*Malheureusement depuis, Anorak a annoncé sa séparation, ce concert donné à Chauny aura donc été le dernier, ce qui rend toute possibilité de nouvel album caduque...
Merci aux Anorak boys pour l'invitation, le pass backstage et la bière...
Photos © 2015 Lyrama Photography- Visiter son site
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