Les metalleux chrétiens américains de Theocracy sont de retour ! Mince, avec une telle entrée en matière, j'ai probablement fait fuir une bonne partie de ces metalleux allergiques à la religion... d'autant plus que, pour enfoncer le clou, cette formation power metal mélodique (et hop, en voici d'autres qui s'enfuient) répend sa foi jusque dans les paroles et autres thématiques de chacun de ses albums. Et ce As the World Bleeds, sorti le 25 novembre 2011 chez Ulterium Records (un label... chrétien), ne déroge pas à la règle. Bien au contraire. Avec des textes dans la droite lignée des Theocracy (2003) et Mirror of Souls (2008) préalablement présentés à nos oreilles.
Et dire qu'à ses débuts, Theocracy n'était que le timide mais déjà prometteur projet solo d'un Matt Smith étonnant, multi-instrumentiste et chanteur parfois maladroit sur un premier opus éponyme au charme unique et empli d'une profonde naïveté touchante. Depuis, l'artiste solo s'est mué en leader de groupe, s'entourant de musiciens talentueux pour un Mirror of Souls bien plus abouti 5 ans plus tard. Une production d'adulte faisant suite à une offrande quasi infantile, une vraie maturité acquise d'un seul coup d'un seul et plaçant Theocracy dans la cours des quasi-grands pour un style en perte de vitesse. Cependant, des améliorations pouvaient encore être apportées, on le sentait... Ce trosième disque répond-il donc à ces attentes à la fois légitimes et exigeantes ?
Niveau son global, le combo d'Athens (en Georgie, pas en Grèce... mais attention, l'état américain, pas le pays - bouh que ça devient compliqué) a encore franchi un cap, un vrai palier digne des superproductions du Finnvox ou de Sascha Paeth. Rien n'est laissé au hasard, exit les synthés midi du premier CD ou les quelques imprécisions du second... Et c'est là qu'on pourrait se poser une question : Theocracy a-t-il perdu au passage cette spontanéité qui faisait son charme ? Oui et non. Oui car la formation grandit, gagne aussi en éléments progressifs, mais...
Non, car les mélodies sont toujours là, implacables et inaltérables. Si bien que la plupart des chansons restent en tête après une ou deux écoutes. Cela en est parfois agaçant d'ailleurs, tant de facilité à composer de tels hymnes peut faire naître certaines jalousies ! Chaque refrain ou preque est une réussite, à ce niveau on atteint une perfection rare... Des morceaux comme "The Master Storyteller", "Hide in the Fairytale" ou "Light of the World" raviront largement les amateurs du genre. Rien à redire. Et on ne peut même pas prétendre que ces lignes de notes soient véritablement copiées sur d'autres tubes (rapprochons-les parfois de Freedom Call, tout au plus), Theocracy bénéficiant d'une signature assez personnelle à ce niveau.
Par contre, certains hommages clairs aux Edguy, Stratovarius, Rhapsody, Hammerfall ou Helloween jaillissent ici et là. Le titre "Nailed" se permettant même le luxe d'emprunter quasiment un passage au titre "Painkiller" de Judas Priest tout en imitant quasiment l'introduction de "Mysteria", première chanson du Hellfire Club d'Edguy. Manque simplement le "Welcome to the freak show" et nous y sommes... Mais bon, "Nailed", ça ne vous rappelle pas aussi un certain "Nailed to the Wheel" qui figure sur le Mandrake de la bande à Tobi ? Les guitares semblent ici y faire une certaine allusion. En y réfléchissant bien, c'est véritablement Edguy la principale influence de certains titres, l'introduction de "Drown" et quelques riffs ou structures faisant pas mal écho à ce groupe allemand devenu depuis tout autre... Voilà, nous y sommes, Theocracy serait donc ce Edguy qui aurait dû continuer sa carrière dans le heavy power mélodique d'antan ? Pied de nez aux amateurs d'un Age of the Joker bien décevant au passage (au risque de passer pour un provocateur, je les inviterai avant tout à écouter ce nouvel album de Theocracy pour bien juger la différence).
Alors on va dire que Theocracy vit dans le passé, n'évolue pas... Sur certains titres c'est une vérité certaine, oui, mais rien que niveau son comme dit plus haut ainsi que sur quelques compositions à la fois fouillées et risquées, on ne peut pas partager cette pensée. Le premier titre de cette galette, "I AM" et ses 11 minutes entre épique et progressif toujours teinté de power mélo, en est l'exemple atypique. Une vraie bombe qui, contrairement à ses petites soeurs plus simplistes, nécessite plusieurs écoutes pour être parfaitement digérée - les petits détails la confectionnant apportant d'ailleurs une certaine fraîcheur nouvelle à l'approche musicale globale de ce disque. Matt Smith et ses amis n'hésitent pas dès lors à muscler leur jeu, à la fois à un niveau plus "thrashy" mais aussi sur un plan technique très intéressant. En cela, l'apport du batteur Shawn Benson semble plus qu'intéressant, son jeu étant assez spécifique et démarqué du "bourrineur power traditionnel à la Jörg Michaels".
La conclusion éponyme offre elle aussi son lot de surprises intéressantes entre changements de rythme et structures plus alambiquées, on en vient même presque à regretter - prise à part - qu'elle ne dure que 8 minutes. Prise à part cependant, car l'album en son ensemble s'étire sur plus d'une heure et pourrait en lasser certains à la longue. Et c'est à cet instant qu'on se rend compte que certains titres plus "dispensables" composent ce As the World Bleeds, le single "30 Pieces of Silver" par exemple ou "Altar of the Unknown God" qui semble être une redite de "Nailed" mais dans une tonalité moins convaincante et un refrain un poil décevant. On se posera également quelques questions sur un "The Gift of Music" plus que sympathique mais qui nous fait prendre conscience que cet album manque d'une ballade épique majestueuse à la "Bethlehem", présente sur Mirror of Souls. Dommage... même si cet hommage à la musique a un bel intérêt textuel plutôt profond.
La musique c'est la vie, voici le message passé ici. Bien sûr, ils vont plus loin, précisant au passage que la musique est un cadeau de Dieu, et que Dieu est partout... mais alors partout, du début à la fin, que ce soit de la vie ou de cet album. Cependant, rien ne dérange ici, et même l'agnostique ou l'athée le plus profond ne devrait pas se laisser troubler afin ainsi de jouir le plus possible de l'écoute d'une production globale aux contours joyeux et agréables.
Theocracy s'affirme peut-être comme la vraie relève happy power/speed d'une scène qui manque cruellement de nouveaux talents confirmés. En espérant que la troupe ne se perde pas trop en émoluments progressifs (pour l'instant bien digérés) à l'avenir, ou du moins avec parcimonie et tout en gardant cette signature si "innocente" dans leur son. Qu'ils nous évitent donc une évolution à la Kamelot et on sera content, du moins si on est un fan inconditionnel du genre.
Note : 8.5/10