La réplique hypnotique
Hypno5e. Ou clairement un de ces groupes ovnis qui rendent les étiquettes de genre vaines. A la croisée des chemins entre metal progressif, djent et death metal, le groupe déploie depuis le début de sa carrière une personnalité propre, le rendant reconnaissable quasi-instantanément. Grâce à deux albums qu’ont pourrait qualifier de cultes, Hypno5e s’est taillé une solide réputation parmi ses pairs, qui n’a été que confirmée par des concerts dantesques. Quatre ans après Acid Mist Tomorrow et quelques galères, les voici de retour avec leur chef d’œuvre.
Soyons clairs d’entrée de jeu : Hypno5e n’a pas bouleversé la recette utilisée sur les deux premiers albums avec Shores of The Abstract Line. Disons plutôt qu’ils ont modifié le dosage des ingrédients d’une manière, probablement inconsciente, qui rend l’album plus puissant et jouissif à l’écoute. Au menu, toujours cette alternance entre riffs ultra-rageurs et complexes, faisant face à des passages planants en guitare et voix claire. Sauf qu’ici, tout semble encore plus abouti, plus mûr qu’auparavant. Cette impression se ressent d’ailleurs dès « II. East Shore – In Our Death Lands », avec un riff tout simplement monstrueux, peut être le meilleur de la discographie du groupe, mais qui pourrait aussi avoir une bonne place dans un classement des riffs affiliés aux genres nommés ci-dessus. Vous savez, ce genre de riff qui a l’air sorti tout droit d’un esprit tourmenté, et virtuellement injouable ? C’est ce que Hypno5e fait plus que jamais ici, et avec cet album, vos cervicales vont souffrir. Vous êtes prévenus.
Pour en finir avec les étiquettes, le groupe lui-même se définit comme du metal cinématographique, ce qui se retrouve dans la musique du groupe par l’usage extensif de spoken word. Souvent relégué au rang de simple touche d’ambiance dans le metal, le spoken word fait ici partie intégrante des compositions, d’autant plus que cette fois, un partie des voix sont tirées d’un film réalisé par Emmanuel Jessua, chanteur du groupe. De la musique au cinéma, en passant par la poésie de Céline et d’Artaud : la boucle est bouclée. Et quoi de plus naturel pour une formation appréciant tant la narration que de faire un album constitué d’une seule chanson, divisée en huit parties ? Est-ce pour cela qu’on sent cet album plus cohérent, plus concentré sans se disperser dans tous les sens ? C’est une possibilité, même s’il est évident que certains regretteront la diversité de Des deux l’une est l’autre.
Il faut enfin insister sur la qualité de la production de l’album, qui rend ici enfin pleinement justice à la musique d’Hypno5e, pleine de détails et de nuances qui demandent de multiples écoutes pour être perçus. Tout sonne du tonnerre sur Shores of The Abstract Line : guitares, batterie, et surtout : la voix. S’il avait quelques faiblesses auparavant, c’est clairement du domaine du passé ici, la voix d’Emmanuel n’a jamais été aussi plaisante à écouter, que ce soit avec son chant clair plaintif ou son growl hystérique. Ce dernier a d’ailleurs poussé le groupe à utiliser une de ses chansons écrites en espagnol, reflet de ses origines boliviennes : la mélancolique « V- Central Shore – Tio ». Enfin, on croit aussi parfois entendre quelques réminiscences d’autres groupes, notamment Radiohead sur « III. West Shore – Where We Lost The Ones ».
On sent donc ici avoir affaire à un groupe en pleine possession de ses moyens, qui a pris en studio une orientation acoustique se rapprochant de leur son en concert, un point positif de plus compte-tenu de leur maîtrise virtuose de la scène. Il n’y pas un moment de faiblesse sur cet album, voilà tout, et il va être difficile de faire aussi bien pour le prochain.
Chronique par Tfaaon (Facebook)