Claudio Sanchez, leader de Coheed and Cambria

 « Il est beaucoup plus facile pour moi de parler de ce qui me tient réellement à cœur aujourd’hui. »

Quelques heures avant le concert de Coheed and Cambria à la Maroquinerie, La Grosse Radio s’est entretenue avec son leader, Claudio Sanchez. Nous sommes revenus sur The Color Before the Sun, le dernier album du quatuor, le seul ne faisant pas partie de la saga The Amory Wars. Cette année 2016 marquant également les quinze ans de Coheed and Cambria, nous avons évoqué la carrière du groupe et son évolution après toutes ces années.

Bonjour Claudio et merci de nous accorder cette interview. Coheed and Cambria a sorti son dernier album studio en octobre dernier. Quelques mois plus tard, comment vois-tu cet album spécial dans votre discographie, et comment a-t-il été reçu par les fans ?

Je pense que dans l’ensemble tout s’est bien passé. Bien sûr, le fait qu’il ne fasse pas partie de la saga des Amory Wars (saga de Science-Fiction à laquelle tous les albums du groupe sont rattachés NDLR), nous a un peu inquiété car c’était vraiment un album très différent de ce que nous avons fait dans le passé. Mais dans l’ensemble je pense que beaucoup de gens l’ont très bien compris et accepté. Cela a été très positif pour nous.

Comme tu l’as dit, pour la première fois dans l’histoire du groupe, cet album ne fait pas partie de la série des Amory Wars. Pourquoi avoir fait ce choix ?

Pour moi c’est juste un concours de circonstances qui a abouti à ce choix. Quand j’ai commencé à travailler dessus, je vivais à New-York et plus précisément à Brooklyn. Tu sais, j’ai toujours vécu dans une ville de banlieue et ma femme et moi avons souvent eu l’habitude d’aller à la campagne. A la campagne, tu peux facilement te mettre à travailler quelle que soit l’heure. J’ai toujours eu l’habitude de me lever très tôt et le moment où je suis le plus créatif c’est avant que le soleil ne se lève. Mais dans un appartement en pleine ville, ce n’était pas possible pour moi de procéder ainsi. J’ai dû bouleverser mes habitudes et composer en pleine journée, sachant que mes voisins risquaient de m’entendre si je chantais comme je le souhaitais. J’avais vraiment peur de déranger les gens. Du coup, c’est une période que j’ai mal vécue, où je me suis beaucoup remis en question. J’ai ressenti une sorte de crise identitaire. Et puis mon fils était sur le point de naître. J’ai donc mis tout cela dans mes textes, sans me cacher derrière le masque du concept album.

C’est donc l’album le plus personnel que tu aies écrit. As-tu songé, à un moment donné, à le sortir sous la forme d’un album solo, sous ton propre nom ?

Oui. A un moment je ne savais pas quoi faire de ces compositions. Puis j’ai réalisé, lorsque j’ai terminé l’album, que je n’avais jamais souhaité que Coheed and Cambria ne s’impose de limites, de barrières en termes de créativité. A nos débuts, nous avions également décidé de ne jamais faire d’album non conceptuel. Mais il a fallu faire un choix, car je ne voulais pas imposer de règles strictes à Coheed. J’ai vraiment songé à faire un album solo. Peut-être un jour, nous verrons bien ! (rires)

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Peux-tu nous expliquer le sens du titre de l’album, The Color before the Sun ?

Il y a deux idées derrière ce titre. Comme je te le disais, j’ai toujours été très créatif au moment où je travaillais tôt le matin, quelques fois vers quatre ou cinq heures, bien avant que le soleil ne se lève. C’est donc une sorte de métaphore à propos des œuvres que je créé durant ces moments-là. Mais ce titre évoque également toutes les émotions que j’ai ressenties avant la naissance de mon fils.

Tu es quelqu’un de très créatif, tu aimes également peindre et dessiner. Pourquoi est-ce important pour toi de ne pas te limiter uniquement à une forme artistique musicale ?

C’est vrai que la musique a toujours été une part très importante de ma création artistique. Même en tant que « conteur d’histoire », la musique est une composante de l’art en général. Ceci dit, les Amory Wars ont été pendant longtemps un élément essentiel du groupe, tout comme les histoires que j’écris et que je mets sous forme de comic books avec ma femme. En dehors de l’aspect strictement musical, je pense que tout ce que je produis est lié. Mais c’est effectivement important pour moi de ne pas me limiter. J’adore créer, mettre en place des personnages et des scénarii, les regarder prendre vie. Tout cela fait partie de mon processus créatif, et j’en ai besoin en quelque sorte. Si je n’arrive pas à composer un titre, c’est bien d’avoir une autre forme artistique pour s’exprimer.

Etant donné le caractère très personnel des thèmes de The Color before the Sun, étais-tu effrayé à l’idée de te dévoiler autant aux yeux des fans ?

Je l’étais très certainement beaucoup plus que pour les autres albums. C’est pour cela que les concepts existent. J’ai toujours eu beaucoup de mal à exprimer ce que je ressens et à me dévoiler, puisqu’en tant qu’individu, j’avais toujours peur des retours. Mais aujourd’hui à 37 ans, cela ne me dérange plus désormais. Il est beaucoup plus facile pour moi de parler de ce qui me tient réellement à cœur aujourd’hui.

Pendant longtemps, les critiques ont eu du mal à classer ce que vous faisiez avec Coheed and Cambria. Vous avez été pendant longtemps catégorisés comme un groupe de rock progressif. Est-ce toujours vrai aujourd’hui ?

Difficile à dire. Tu sais, j’adore l’idée d’être rattaché à la musique progressive. Je vois cela avec un sens différent. Pour moi le prog n’est pas seulement synonyme de longs titres épiques comme ce que font certains groupes. Je vois cela comme un terme se rattachant à l’envie d’évoluer, de progresser. Dans cette optique, l’étiquette de progressif ne me dérange pas. Mais pour simplifier, je pense que nous sommes simplement un groupe de rock et ça me suffit. Je sais que certaines fois il est difficile de classer un artiste dans un genre particulier. 

Pendant longtemps vous avez également été comparés à Rush, particulièrement en raison de ta voix qui rappelle celle de Geddy Lee. Est-ce que cela t’ennuie toujours ?

Non ! (rires). Tu sais, quand j’étais plus jeune, Rush était une grande inspiration pour chacun d’entre nous au sein du groupe. Quand je regarde la carrière de Rush, je ne peux que souhaiter avoir la même et atteindre leur niveau ! Tu sais, nous sommes comparé à Rush mais estimons-nous heureux, on pourrait nous comparer à un groupe lambda ! J’espère juste avoir la même longévité qu’eux.

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A propos de longévité, cette année, Coheed and Cambria fêtera ses quinze ans d’existence. Comment vois-tu l’évolution du groupe pendant cette période?

Quand je regarde en arrière, je vois beaucoup de challenges et de persévérance. Nous avons connu des moments de difficulté que nous avons su surmonter. J’aime me dire que nous avons également su changer à chaque album et que nous avons obtenu la reconnaissance de nos pairs. Je crois que cela répond à peu près à ta question ! (rires)

Durant ces quinze ans, y a-t-il un moment que tu retiens en particulier ?

J’aime me rappeler nos débuts, notre premier van, lorsque nous tombions en panne sur la route ! (rires). Si je me rappelle de tous ces moments, c’est parce qu’il y a eu tellement d’instants difficiles entre nos débuts et aujourd’hui ! Mais j’ai toujours l’impression qu’une part de nous quatre se trouve encore quelque part dans ce van. Nous apprécions êtres les uns avec les autres.

Pour revenir encore sur votre carrière, peux-tu choisir un mot pour qualifier chacun des huit albums que vous avez réalisés ? Pour débuter, un pour Second Stage Turning Blade ?

Confus !

In Keeping Secret of silent earth 3 ?

Euh…Concentrés !

Good Apollo vol1 ?

Colère ! (rires)

No world for Tomorrow ?

Combat !

Year of the Black Rainbow ?

Expérience.

Aftermath Ascension ?

(il réflechi longuement) Réunion.

Aftermath Descension ?

Persévérance !

Et pour le dernier, Color Before the Sun ?

Honnêteté ! (sourire)

Ce soir vous allez jouer à nouveau à Paris après plusieurs années d’absence, puisque votre dernière venue remonte à 2012. Pourquoi avoir attendu aussi longtemps ?

Je ne sais pas trop. Tu sais, nous avons été longtemps sur les routes à voyager…mais je ne sais vraiment pas pourquoi. Je vais te dire quelque chose : je suis revenu entre temps à Paris. Pas avec Coheed, mais je suis revenu (rires). J’adore Paris, sincèrement. Coheed and Cambria et le concept des Amory Wars est né dans cette ville. Je pense que c’est une ville et un pays où nous avons du mal à percer. Les fois où nous sommes venus jouer ici, pour être honnête avec toi, c’était un vrai défi ! Je pense que ce n’est pas seulement le cas pour la France, mais pour l’Europe en général. Aux Etats-Unis, nous jouons régulièrement devant deux ou trois mille fans. Ici, nous avons parfois l’impression de régresser et de devoir tout reprendre depuis le début. C’est difficile, en particulier quand tu prends de l’âge. Mais je ne souhaite rien de mieux que de pouvoir venir jouer ici et me sentir totalement accepté.

Comment construisez-vous les setlists avec désormais huit albums à votre actif ?

(rires) Je ne sais pas vraiment ! (rires). Nous essayons simplement de choisir ce qui nous semble avoir du sens sur le moment…Cela se fait aussi en fonction de ce que nous ressentons, dans quel état d’esprit nous sommes. Ce n’est pas si difficile que cela,  nous essayons tout de même de préparer un set équilibré et de faire attention à ce que le public souhaite entendre.

Il y a deux ans, vous avez joué In Keeping of Silent Earth 3, votre second album, dans son intégralité. Penses-tu que vous recommencerez prochainement ?

Oh oui, c’est sûr !

Avec quel album ?

Je pense que le choix le plus judicieux serait Good Apollo vol. 1. Mais c’est pour cela que nous avons créé les Neverender Series (des séries de quatre concerts ayant eu lieu en 2008, pendant lesquels Coheed and Cambria a interprété ses quatre premiers albums en entier NDLR). C’était un moyen pour nous de jouer la saga des Amory Wars entièrement ou de célébrer l’anniversaire d’un album. Mais oui, je pense que le prochain sera Good Apollo.

Quels sont les albums récents qui t’ont marqué ?

Celui qui m’a le plus marqué était l’album de Bon Iver (Bon iver, bon iver, sorti en 2011 NDLR). Il a gagné un grammy aux Etats-Unis. Et c’est amusant car je l’avais pressenti. Ma femme m’a demandé de télécharger l’album à sa sortie et quand je l’ai écouté, je lui ai dit « cet album gagnera un grammy ! ». Et j’avais raison ! (rires) Il est incroyable, du début à la fin. Je pense que c’est mon album préféré sorti durant les cinq dernières années !

Peux-tu nous décrire une journée typique sur la route avec Coheed and Cambria ?

Et bien chaque jour dépend beaucoup du temps dont nous disposons. Tu vois, aujourd’hui nous avons eu le temps d’aller faire un tour en ville. Mais chaque jour est différent. Certaines fois je vais me lever tôt et bosser sur de nouvelles démos avec mon ordinateur. D’autres fois, je me laisse juste aller par flemme ! (rires).

Dernière question, mais pas des moindres, je sais que tu es un immense fan de Science-fiction puisque tu as écrit la saga Amory Wars. Qu’as-tu pensé du dernier Star Wars ?

(Rires) Ah ! Je l’ai adoré, vraiment ! Je l’ai vu en avant-première, et j’étais très excité ! Ma femme m’a accompagnée et elle a eu du mal à croire à quel point j’étais pris dans le film et l’ambiance ! Quand elle me parlait à l’oreille pendant la projection, cela m’a complètement rendu fou ! (rires) « Mais qu’est-ce que tu fais ? C’est Star Wars ! » J’étais vraiment concentré ! J’y suis retourné le lendemain, seul cette fois. J’ai de nouveau adoré et j’ai vraiment pu profiter. Je sais qu’il correspond au squelette de l’épisode IV. C’est évident. Mais je pense que c’était nécessaire, comme un reboot, sans le terme. Avec les préquels les fans avaient besoin de se raccrocher à quelque chose de familier, mais cela reste quand même neuf ! J’ai vraiment aimé tous les nouveaux personnages. Je reste un fan ! (rires). J’ai même hâte de voir les spin-off sur Rogue One et la jeunesse d’Han Solo. Tu sais, la raison pour laquelle j’ai travaillé sur les Amory Wars, c’était à cause de Star Wars. J’aurais pu choisir n’importe quel autre genre littéraire…Mais même le nom est calqué sur Star Wars ! (rires) Oh mon Dieu ! (rires). J’ai d’ailleurs hâte de le revoir une nouvelle fois !

Merci pour cette interview ! As-tu un dernier mot à adresser à nos lecteurs ?

Venez voir nos concerts ! S’il vous plait ! (rires). On aimerait revenir ici aussi souvent que possible ! Vraiment ! Quand ma femme et moi avons planché sur The Aftermath, nous sommes venus ici en France, et nous avons écrit l’histoire en prenant des noms d’endroits parisiens. J’aime vraiment cette ville, et je pourrai passer des heures entières à me promener le long de la Seine, de Notre-Dame à la Tour Eiffel. Je veux vraiment revenir plus souvent vous voir !

Interview réalisée à Paris le 25 janvier 2015
Merci à Roger Wessier et Olivier Garnier



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