Another brick in the (charred) wall...
Derrière ce nom qui en jette mais quelque peu barbare (allez-y, essayez de le répéter 10 fois de suite, de plus en plus vite et avec l'accent, pour voir!...) se cache en fait le fleuron du métal estampillé US d'aujourd'hui. La fine fleur du genre et de la nation s'y est en effet donné rendez-vous : le 'monstre' de la basse Steve DiGiorgio (ex-Sadus/Autopsy/Death/Control Denied/Iced Earth/Testament et on en passe!), le décrié mais industrieux chanteur Tim 'Ripper' Owens (ex-Iced Earth/Judas Priest/Malmsteen) et enfin le guitariste-producteur Jason Suecof (plus connu pour son travail en studio avec les Trivium, Chimaira, All That Remains, DevilDriver, God Forbid, ...). Le tout sous la houlette du génial Richard Christy (batteur sur les monstrueux The Sound of Perseverance de Death et The Fragile Art of Existence de Control Denied -dont nous vous reparlerons bientôt, NdlR...- , et un temps intérimaire au sein d'Iced Earth), le compositeur principal de cette œuvre récemment sortie chez Metal Blade et intitulée Cold Winds on Timeless Days (on remarquera comme les mecs sont vraiment fans de ces initiales... vous pouvez d'ores et déjà faire vos pronostics sur le nom des prochains albums! Des places pour le nouveau spectacle de 'stand-up' de Richard Christy à gagner...^^).
(L'homme est en effet aujourd'hui, parallèlement à ses projets musicaux, devenu animateur et comique à la radio et télé américaine, voilà qui peut casser un peu le mythe! A l'inverse, chez nous, pensez-vous que Cauet se mettra un jour au métal??! Ahem.... 🙁
Au-delà de leurs carrières respectives, on retrouve également ici d'anciens partenaires et compagnons de route au sein de formations majeures, qu'en est-il alors de l'influence de ces expériences passées sur la musique pratiquée par nos compères aujourd'hui? Retrouverait-on sur cet album des traces et réminiscences d'Iced Earth, de Death ou de Control Denied? (je sens votre cœur battre très fort, n'est-ce pas?...) Tuons le suspense tout de suite... La réponse est : oui et non. Vous voilà bien avancés... Mais développons!
Concernant Death, les espérances seront de courte durée car l'auditeur réalise très vite que ce n'est pas à un album de 'métal extrême' qu'il a affaire, mais à un recueil de métal au sens large et à même de toucher un large public. Pour cela, Charred Walls of the Damned a pour lui l'avantage de son 'background' et de son spectre musical très ouverts, n'hésitant pas à aller piocher dans les éléments les plus appropriés issus du 'death' ou même du 'black' (les notes en aller-retour de "Zerospan"...). Alors, quand bien même Christy dégaine les 'blasts' sur ce même "Zerospan" justement, ou "The Beast Outside my Window", ou encore un "Avoid the Light", cela ne dure jamais bien longtemps et reste tout à fait gentillet et acceptable pour les oreilles novices ou réfractaires. L'ensemble reste de toute façon ultra-mélodique, ce qui ravira par exemple (même si ce n'est pas non plus la "couleur" de l'album) les fans de 'melodeath' d'obédience scandinave mais "américanisé" (est-il utile de vous citer des noms?!...), enlevé donc mais toujours très raffiné et abordable, jamais "brutal". Si l'espiègle batteur, comme à son habitude, se fait plaisir en cognant très fort et de manière très sur-accentuée -qui traduit très bien l'enthousiasme communicatif qui le caractérise- , on constate qu'il calme un peu le jeu par rapport au précédent opus (éponyme) de 2010 : si les fûts (pas étonnant, tiens...) -grosses caisses et caisse claire- sont bien présents (trop?), la batterie dans son ensemble se veut plus linéaire et un peu plus effacée surtout lorsque c'est au tour des gratteux de faire parler la poudre -celle qui viendra calciner le "Mur"... de son, cette fois, ainsi érigé.
Toutefois, puisqu'on en est au chapitre des guitares, précisons tout de suite que là non plus on ne se trouve pas dans le même registre qu'un The Sound of Perseverance - pour ne pas le citer... : si l'album de CWOTD regorge lui aussi de mélodies, il ne s'agit pas là de la nervosité et de la vélocité des 'leads' torturées et vicieuses d'un Chuck Schuldiner. Sur ce Cold Winds on Timeless Days, Jason Suecof, émérite six-cordistes lui aussi (et également producteur -avec Christy- de cet opus) mais aux aspirations autrement différentes, abat un travail de haute volée (et bien souvent de haute voltige!) mais reste toujours dans les frontières bien délimitées du "accrocheur à l'oreille" (et "pas assez énervé" rétorqueront certains), se gardant bien de risquer de les dépasser, démarche que d'aucuns jugeront parfois un peu trop frileuse et conventionnelle certes, mais qui demeure bougrement maîtrisée et efficace! Toutefois, pour faire taire les esprits-chagrins qui pourraient craindre un traitement 'metalcore US' en raison du passif en tant que producteur de Suecof, rassurons-les au moins sur ce point : il ne s'agit pas encore là d'un album 'édulcoré' qui va "dragouiller" sans remords les 'teenagers' et caresser dans le sens du poil les oreilles les plus sensibles aux velléités commerciales. Simplement, la production est il est vrai bien plus propre et douce encore que sur le précédent essai du groupe, et en outre même les grosses rythmiques 'heavy' et riffs "marteau-pilon" semblent avoir subi un gommage destiné à leur enlever tout surplus d'agressivité. Le genre de petits détails qui fait que l'on en reste majoritairement à du ressenti "c'est bon, ça" et pas non plus à du "c'est énorme!" tout du long... Pourtant, c'est simplement le signe que l'on a affaire à des "damnés" du perfectionnisme, se condamnant à ne rien laisser passer en terme de prod' de haute tenue et "actuelle".
Indéniablement, les mélodies, point fort de l'album, restent imparables de bout en bout et ne manqueront pas de se fixer dans votre crâne. Et il y en a pour tous les goûts, des somptueuses guitares acoustiques introductrices de "The Beast Outside my Window" à celles hispanisantes de "Timeless" en passant par les 'tapping' de "Forever Marching on" ou le solo tout en 'feeling' de "Bloodworm", sans oublier les bonnes bouffées d'air frais que constituent les nombreux passages en son clair (à l'instar de cette première poignée de secondes d'ouverture, où l'on croit s'être trompé de CD et avoir laissé un live d'Aerosmith dans sa platine : - << Hein?! Ils reprennent "Dream on", les CWOTD??! >>...).
Pour autant, pas de "sucreries" au programme, soulignons-le encore. Il semble en outre que le groupe soit en train de trouver son style et sa formule en proposant un album plus long que le précédent (passant de 35 petites minutes naguère à presque une heure de musique) mais aussi moins varié pour ainsi dire, concentrant aujourd'hui son propos sur un métal irrésistiblement frais et moderne dans le son et l'attitude, mais conservant dans son approche une part de savoir-faire propre aux bases du heavy métal traditionnel, ce qui fait plaisir à entendre. 'Catchy' et volubile sur les couplets, et plus posé, viril et emphatique sur les refrains (souvent doublés pour leur insuffler une dimension de 'choeurs'...), cet hybride est en fait une digne déclinaison à la grandiloquence US du 'power-métal' européen. En réalité, CWOTD réalise ainsi sur cet album une prouesse qu'on ne retrouve finalement pas ou que peu dans les réalisations actuelles, réconcilier deux mondes, voire deux époques...
Les inconditionnels de Control Denied en seront pour leurs frais, point de dimension "progressive" à signaler ici, l'ensemble se veut direct et à impact immédiat. En outre, les aficionados de démonstrations et prouesses musicales ne pourront se délecter de certaines prestations des virtuoses DiGiorgio et Christy qu'en étant patients et en tendant l'oreille, tant ils se sont délibérément 'bridés' cette fois (ou bien sont minimisés au mixage : même si on devine la basse de Steve "claquante" à souhait, ça n'ira guère plus loin...), sauf sur de rares passages à l'instar de l'intro tout en 'tapping' basse et en descente de 'toms' (lesquels manquent singulièrement d'identité ou d'une signature sonore d'ailleurs) sur "On Unclean Ground". On sent bien que là n'est pas le propos du groupe.
En revanche, Charred Walls of the Damned risque fort de récupérer un paquet de fans d'Iced Earth période Owens (et ils sont plus nombreux qu'on voudrait bien le croire à regretter -avec le recul- son départ...). Il faut dire que 'Ripper', le bougre, s'en tire très bien... S'il a encore tendance à singer sans grande recherche à côté la diction et le phrasé de Dio -influence indéfectible ou déformation professionnelle encore plus forte depuis qu'il a rejoint les rangs du tribute band au Maître, Dio's Disciples?- sur certains couplets (c'est carrément déroutant dès l'entame de "Timeless Days"!), ou comme à l'accoutumée ceux de Rob Halford, il monte par ailleurs moins qu'à son habitude dans les suraigus 'Painkilleriens' parfois irritants qu'on lui connaît pour rester dans une interprétation plus subtile et 'pénétrée', plus proche pour le coup du Halford assagi et appliqué de Nostradamus. Toutefois, c'est en partie grâce à lui que le groupe conserve quand même un pied dans le métal purement 'old-school', du fait de sa signature vocale bien ancrée dans le registre d'un Judas Priest ou d'un Iron Maiden : rendons-lui au moins les honneurs qui lui sont dûs de ne pas avoir cédé, au nom d'un certain "jeunisme" et de l'air du temps, à la tentation du chant 'growlé' ou aux alternances voix 'core' hurlée/chant clair (pas sûr que ça lui aurait réussi, de toute façon!) qui infestent la majeure tendance du métal dit "moderne" à l'heure actuelle. Ici, notre "brailleur" d'hier se fait plus posé, se déchire peut-être moins les tripes que la dernière fois chez CWOTD ou que dans Beyond Fear, mais on le retrouve dans un registre plus canalisé qui rappelle en revanche ses meilleurs moments dans le Iced Earth de The Glorious Burden et plus encore du Framing Armageddon : sa solennité sur les refrains, en outre, apporte tout le côté vraiment 'épique' que l'on aime dans le 'power métal' à l'européenne (qui lui fait gagner ses lettres de noblesse au lieu de se réduire à du speed-métal-guilleret) et qu'il manquait encore jusque-là à Charred Walls of the Damned... c'est maintenant chose faite! On n'en est pas encore au lyrisme de Rhapsody ou de Blind Guardian mais les fans de ce type de groupes qui regretteraient les récents errements de ces formations à force d'expérimenter de nouvelles voies devraient peut-être se pencher sur ce lointain cousin américain, qui apporte à la fois le supplément de "niaque" et ce côté 'lorgnant-vers-le-commercial-sans-donner-l'impression-d'y-toucher' (rappelons qu'aux Etats-Unis, le métal est un genre qui passe encore sur les ondes...) qui les caractérisent, tout en gardant un classicisme humble qui les honore...
Mais ce Cold Winds on Timeless Days n'est pas non plus exempt de défauts. En outre, on regrettera avec le choix de tels musiciens que l'ensemble ne soit pas plus aventureux et véloce, comme d'autres pourront regretter à la longue le manque de "mordant" du son de guitare (si l'on excepte le ravageur "Lead the Way"!) et le côté un peu 'convenu' de l'ensemble. Pour ma part, le principal reproche que j'adresserai à cet album est sa durée, qui à l'inverse de sur le précédent essai occasionne quelques longueurs et redondances : dans un esprit de maturité, Charred Walls of the Damned affirme ici de manière soutenue son style plutôt que de vouloir "toucher-à-tout", mais cela requerra davantage votre attention que par le passé.
Ne jetons toutefois pas la pierre à une formation encore jeune, même si composée de vieux briscards ayant de la 'bouteille' (allez d'ailleurs jeter un œil aux bières préférées de Richard Christy sur son site officiel, ça vaut le détours! ;-), et gageons que si le premier album était celui de la recherche, du tâtonnement, et que le deuxième ici présent se veut davantage celui du positionnement, le prochain sera à n'en point douter celui de l'équilibre, enfin.
Vous l'aurez compris, et ce malgré ses quelques failles donc, ce Mur des Damnés ne sera pas pour tout de suite celui des lamentations en ce qui nous concerne : gageons qu'il résistera fort bien aux assauts du temps et à ceux qu'on pourrait lui faire, et qu'il est appelé à tenir fièrement debout encore un bon bout de temps au milieu de votre discographie. Il bat même pour le coup d'une courte tête, par la qualité de ses compositions, le dernier Iced Earth dans le rayon des offrandes "métal relevé à la sauce US" sorties cette année (même si ce dernier le distance quelque peu sur le registre de la simple 'niaque' vocale -sans parler du 'tranchant' inimitable du son "Schaffer"...). Ne reste maintenant qu'à espérer croiser ces fiers démons Ricain sur nos routes françaises -et si possible dans leur formation "culte" originale, pas avec des musiciens de session!- afin de voir se confirmer tout le bien que l'on pense d'eux.
LeBoucherSlave