Après un concert mémorable au Forum de Vauréal, Yossi Sassi, guitariste lead et compositeur principal d'Orphaned Land a accepté de répondre aux questions de La Grosse Radio. Il en a profité pour parler de son prochain album solo, Melting Clocks, qui sortira l'année prochaine.
La Grosse Radio : C’est votre deuxième tournée pour The Neverending Way Of The ORwarriOR, que vous a apporté la première ?
Yossi Sassi : Avec ORwarriOR, on a fait deux tournées, une en tête d’affiche, et une avec Amorphis. On a aussi eu deux tournées aux Etats-Unis. Cette année, on tourne pour The Road To Or Shalem, notre DVD. C’est super, à chaque fois qu’on revient, c’est dans une salle plus grande.
Avez-vous quelque chose de spécial avec la France ?
C’est notre maison ! C’est un pays très important pour nous. Depuis nos débuts, la France était là pour nous soutenir. Notre première démo a été signée par Holy Records dans les années 90. Ils ont été les premiers à croire en Orphaned Land et au message qu’on véhicule travers notre musique et nos paroles. Et on a beaucoup d’amis un peu partout en France.
Qu’est-ce que cette tournée a de spécial ?
On va tourner pendant un mois, avec trois autres groupes. C’est la première tournée de metal oriental au monde, avec des groupes d’Algérie, de Tunisie et de France (Arkan, Myrath et Artweg). C’est une grande expérience pour nous, ça montre que notre musique et son message ont atteint un autre niveau. Le genre qu’on a créé il y a vingt ans est devenu un standard, et on a de plus en plus de groupes qui le pratiquent.
Comment est l’ambiance entre vous et tous ces gens qui viennent d’horizons différents ?
C’est vraiment super. Pour nous, c’est normal d’être avec des tunisiens, des algériens et des français. On trouve pas mal de similitudes dans nos langues. En plus on se raconte des blagues tout le temps, on n’arrête pas de rire. La religion n’est pas une barrière pour nous, et on voit que ces groupes portent le même message qu’Orphaned Land. Tu peux croire en Dieu, Allah, la Trinité, toi-même ou rien du tout, c’est comme tu veux. On est tous pareils, et c’est ça qui compte.
Passons à votre musique. C’est un melting-pot de plusieurs cultures très différentes, et tout va ensemble. Comment vous faites ?
Tout ça part de mon enfance. Mon père était musicien. Il n’a pas pu gagner sa vie en tant que tel parce qu’il m’a eu quand il était jeune. Mais c’est un très bon chanteur, et quand j’étais petit je le voyais chanter en turc, grec, égyptien. Je me rappelle encore de sa voix puissante. Grâce à lui, j’ai l’oreille absolue. Quand j’ai commencé à jouer de la guitare, je me sentais proche de tout ce qui avait des cordes. J’ai toujours composé la musique avec des instruments acoustiques.
Est-ce de là que viennent vos structures originales ?
Oui, en partie. Premièrement, je compose la musique uniquement en acoustique, avec une guitare sèche, ou un bouzouki, un ûd, un baglama, ou n’importe quel instrument traditionnel. J’ai 22 guitares chez moi. C’est que quand c’est fini que je les transpose en électrique. Deuxièmement, on travaille d’une manière assez simple. Je rassemble tous mes riffs, et après on les prend et on les assemble en fonction de l’atmosphère qu’on veut rendre dans la chanson. On n’écrit pas nos structures, c’est assez spontané.
Comme vous avez plus voyagé qu’avant, est-ce que vous avez pu trouver de nouvelles sonorités pour votre musique ?
Oui, je suis toujours à la recherche de nouveaux sons et de nouvelles idées. Surtout maintenant que j’ai quitté mon autre travail, je peux me consacrer à 100% à la musique. Je compose tout le temps : chez moi, dans les transports, à table, sous la douche… La musique vient à moi naturellement. J’ai un enregistreur de poche, je mets toutes mes idées dessus, et je peux les développer chez moi, avec une basse, des percussions, des samples. Je m’occupe de toute la pré-production, et après je présente tout ça au groupe. Le tout, c’est de rester ouvert d’esprit et de laisser la musique venir à moi.
Parlant d’ouverture d’esprit, Orphaned Land a pu amener des metalleux à écouter de la musique orientale. Est-ce que l’inverse s’est produit ?
Oui, on rencontre pas mal de monde qui n’écoute pas de metal habituellement. Mais ils viennent à nos concerts et aiment notre musique parce que les mélodies leur sont familières. J’adore voir ça. C’est le triomphe de la musique. Pas besoin d’étiquette « metal », « rock », ou « jazz ». C’est juste de la musique, d’où que tu viennes, tu peux l’aimer. On voit plein de gens qui ont des origines différentes, des européens, des hébreux, des arabes… Ils viennent à nos concerts, et ils s’amusent. C’est tout. La situation d’Orphaned Land est assez drôle : dans le monde sombre du metal, on est un peu les « moutons blancs », parce que notre musique est plus légère, et que nos paroles sont plutôt gentilles. Mais pour les autres musiques, on est le « mouton noir ». Or à la fin tout s’équilibre et tout le monde y trouve son compte, c’est le Yin-Yang de la vie.
Kobi (Fahri, chanteur du groupe) a dit que ce qui différencie Orphaned Land des autres groupes, c’est votre vie. Israël est un melting-pot de cultures différentes. Qu’en penses-tu ?
Oui, Israël est un pays assez jeune, né en 1948, peu après la Seconde Guerre Mondiale. Les juifs issus de la diaspora ont émigré vers Israël. Ils étaient dispersés à travers le monde : Hongrie, Bulgarie, Slovénie, Russie, Irak, Libye, Syrie… Ils avaient tous des us et coutumes différents, qui avaient perdurés à travers les siècles. Tout ça a créé ce melting-pot, et je pense que c’est une des choses qui fait que la musique d’Orphaned Land est unique. Grandir dans un tel endroit inspire, et empêche d’être limité et d’avoir peur de découvrir de nouvelles choses. Si j’écoute de la musique arabe, ça me parle. Si j’écoute Bach ou Mozart, ça me parle aussi. Toutes les musiques me parlent.
Vous utilisez aussi plusieurs langues différentes. Pourquoi ?
On en utilise 5 : Anglais, Hébreux, Arabe, Yéménite et Latin. Et ils font tous partie du même processus. On veut faire le pont entre les peuples et les croyances. C’est un moyen de montrer qu’au fond, on est tous pareils.
Vous utilisez également des éléments religieux. Comment les gens ont réagi ?
Statistiquement, la plupart des gens aiment, pas mal n’ont pas de problème avec, et certains sont contre. Mais cela fait partie de la vie d’un artiste. Tu dois faire les choses à ta manière et faire ce en quoi tu crois, et ne pas faire attention à ce que les autres disent. On n’a jamais l’intention de faire du mal à qui que ce soit, mais tu ne peux pas faire de compromis de peur que cela soit mal interprété.
Vos photos promo vont dans cette optique. Peux-tu nous en parler ?
On avait déjà ce concept en tête depuis un moment. Notre label, Century Media, nous a beaucoup soutenu, et nous a donné des idées pour les photos. C’était vrai qu’on n’exposait pas assez notre message. On joue du metal oriental depuis 20 ans, on essaye de faire le pont entre les différentes religions, mais pas beaucoup de gens le savaient. Alors on voulait des photos qui le criaient, qui montraient ce que nous sommes vraiment. Et je pense qu’elles le font bien.
A propos de votre message, il y a aussi eu des réactions assez virulentes a propos de ce qui s’est passé au Hellfest, quand Kobi et Johanna Fakhri ont réuni les drapeaux israélien et libanais.
Johanna, qui a aussi été avec nous ce soir, n’a pas pu retourner dans son pays après ça. C’était son choix, en tant qu’artiste, et elle l’a fait parce qu’elle aime son pays. C’est le problème dans l’art, parfois, même quand tu montres que tu aimes ton pays natal, tu as des réponses inattendues. Mais cela fait partie de la vie d’un musicien. Quand veux faire avancer les choses, tu prends des coups. « Le chemin est semé d’embuches », comme qui dirait…
Tu vas bientôt sortir un album solo (Melting Clocks). Peux-tu nous en parler ?
Maintenant, je vais encore plus loin, avec mon groupe solo, Yossi Sassi. Notre premier album va bientôt sortir, début 2012. J’espère qu’il sera bientôt disponible en France. Après on va tourner pour cet album. Ce sera un genre de rock oriental. C’est plus léger qu’Orphaned Land, beaucoup moins metal. Si vous êtes ouvert d’esprit et que vous aimez explorer différents types de musique, ça pourrait vous intéresser.
De quoi vas-tu t'occuper dans cet album ? Qui y participera ?
Pour le chant, je vais m'en occuper. D’ailleurs, c’est moi qui écrit toutes les lignes vocales dans Orphaned Land, et après je les apprends à Kobi. Ce sera un groupe semi instrumental. On aura des pistes instrumentales avec du bouzouki, du piano et d’autres arrangements spéciaux. On aura aussi du rock et du rock progressif. Les pistes chantées seront une sorte de fusion spéciale. On en aura une avec Marina Maximilian Blumin, une chanteuse d’origine ukrainienne, qui a beaucoup de talent. On va aussi avoir Marty Friedman (ex-Megadeth) qui jouera des solos sur le projet. On a aussi un excellent pianiste, qui a été dans l’industrie du cinéma à Hollywood pendant 15 ans, et qui a été formé à Berkeley. C’est un privilège pour un musicien autodidacte de jouer avec des gens comme ça, qui ont fait des hautes études en musique.
Un dernier mot pour les fans français ?
Merci pour tout ! J’espère revenir bientôt, avec Yossi Sassi ou Orphaned Land !