“Ce qui m'intéresse en musique c'est quand des mecs se confrontent à des choses qui ne font pas partie de leur culture première.”
Après un EP paru en janvier 2016, Mars Red Sky, sortira son troisième opus le 29 février prochain chez Listenable Records. Apex III est une nouvelle invitation au voyage de la part du groupe de heavy rock bordelais. Nous avons rencontré les très sympathiques Jimmy Kinast (bassiste) et Matgaz (batteur), qui nous parlent ici de l’univers du groupe, de leurs débuts, mais surtout de ce nouvel album, Apex III.
Bonjour à tous les deux, merci de nous accorder cette interview. Vous pouvez présenter Mars Red Sky pour les lecteurs qui ne vous connaissent pas encore ?
Jimmy : Alors moi c'est Jimmy, je joue de la basse, à côté de moi c'est Mat, qui joue de la batterie. Il nous manque Julien, qui est là-bas, qui est à la guitare et au chant. On est un trio, Mars Red Sky, on a commencé il y a 6 ans et on sort notre 3ème album. On se définit comme un groupe de heavy rock psychédélique. On nous colle aussi l'étiquette stoner, ce qui ne nous ennuie pas, d'ailleurs c’est ce qui nous a permis de nous faire connaître au début. Le « stoner » est devenu un terme un peu fourre-tout, c'est normal qu'on y soit aussi...
Comment vous sentez-vous à l'approche de la sortie de ce nouvel album ?
Mat : Fort bien. On a fait un concert la semaine dernière où on a joué tous les nouveaux morceaux, pas dans l'ordre de l'album, mais au moins on les a tous joués. C'était cool de voir qu'après un peu de travail, ces morceaux se prêtent bien au live. On ne les maîtrise pas comme on les maîtrisera dans 30 dates, mais on arrive déjà à un bon résultat. On part en tournée mercredi en Espagne, et ça va être la première potée... d'une succession de potées.
Jimmy : Dans une très grande potée du 1er au 19 mars, tous les jours avec Stoned Jesus et Belzebong.
Mat : Ça va être la potée royale dans le tour bus. Mais on ne sait pas encore qui va mettre la potée à qui dans le tour bus.
Jimmy : Je pense que les Ukrainiens vont mettre la potée aux Polonais et nous on va filmer.
Donc vous disiez que vous aviez réarrangé les morceaux pour les jouer en live ?
Mat : Un petit peu. Par exemple il peut arriver qu'il y ait trois lignes de gratte qui jouent au même moment...
Jimmy : On a eu l'opportunité de greffer deux paires de bras supplémentaires à Julien, on a fait appel à un éminent chirurgien aux Etats-Unis.
Mat : Mais quand on a vu le devis, on s'est dit que ça allait pas être possible.
Jimmy : Ce qu'on essaye de faire par contre, c'est quelques tentatives d'hybridation entre des nouveaux morceaux et d'autres, plus anciens. C’est vraiment pensé dans un processus de création, pas dans un processus de pot-pourri. C’est comme si on créait de nouveaux arrangements, on peut imaginer qu'on fait quelque chose de nouveau. L’idée étant de créer un ou deux Frankenstein à base de deux morceaux différents qui ont 5 ans d'écart.
Et du coup, est-ce que vous pouvez nous présenter un peu ce nouvel album ?
Mat : Il s'appelle Apex III (Praise for the burning soul). Il va bien. Il a été d'abord conçu sur 8 mouvements, 8 morceaux, on a été obligéd'en foutre un dehors pour la version vinyle. Mais il a ressuscité sur un EP qu'on vient juste de sortir. Il est passé du statut de morceau viré, à face A du EP.
Jimmy : Il est passé de princesse, parce que c'était le plus vieux morceau, à vieille pute, et ensuite il a été réhabilité comme madame, voire maman. Il représente assez bien l'album et les différents chemins qu’on représente et qu'on approfondit ensuite sur l'album.
Il s'agit de quel morceau ?
Jimmy : « Shot in Providence », on a sorti le clip il y a quelques semaines. Avec des chevaux fous et des raies manta qui volent. On ne se refait pas…
Vous pouvez nous expliquer d'où vient le titre de l’album, Apex III (Praise For The Burning Soul), qui ne parle pas forcément à tout le monde ?
Jimmy : Euh... Julien ? … En fait, c'est une référence au triangle, quelque chose qui renvoie pas mal à l'occulte, tout comme à la formation trio, puisqu'on s'est rendu compte...
Mat : … qu'on était en trio.
Jimmy : Et en fait apex ce serait les pointes d'un triangle, donc ce serait nous. Nous sommes les pointes d'un triangle. Après le sous-titre Praise for burning soul, c'est une référence à un bouquin que lisait Julien quand on était en studio. Donc Julien, c'est l'homme cultivé du groupe... D’ailleurs, il lit en Anglais.
Mat : Ah il nous fait rire, il lit en Anglais et il met des étiquettes sur ses bouquins. Et il oublie toujours d'éteindre la lumière quand il va se coucher aussi. Je lui ai demandé moi « mais à quelle heure tu as éteins la lumière ? » Oh bah il n’a pas su me répondre hein... Mais les livres, il en a partout. Ça lui coûte une fortune. Alors que quand on lui parle de Polydor là, y'a plus personne. D'ailleurs on a voulu appeler l'album Apex Polydor III.
Jimmy :…Donc c'est une référence littéraire quoi.
Il y a beaucoup de références littéraires dans vos morceaux ?
Jimmy : C’est sûr qu'il y en a, mais pas non plus des masses. Les paroles, en tout cas, c'est plutôt le terrain de Julien, même si on a participé sur cet album, on a fait un titre en commun. Julien aime beaucoup la littérature américaine, donc ça fait partie des influences pour les textes.
Mat : Après ce qui est drôle c'est que le livre dont on parle était aussi présent dans le studio, il faisait partie des murs du studio. Genre pour caler un baffle ou quoi... A un moment son regard s’est posé sur le dos du livre et il a vu « Praise » et le bouquin s'appelait The Burning Soul. Donc ça a donné ça.
Jimmy : Julien il voit toujours des choses… C'est comme ça qu'est venu le nom du groupe, Mars Red Sky, d’ailleurs. Il lisait les paroles de « Dragonaut » de Sleep et à la ligne il y avait marqué « Mars red sky ». Et à ce moment-là on cherchait justement un nom de lieu, qui rappelait le voyage et ça lui a tout de suite parlé. Je sais que tu ne vas pas oser poser la question, donc je te raconte. Mais tu devais déjà le savoir. (rires)
En effet, mais c'est un bon rappel. Au niveau de la composition, comment ça se passe dans le groupe ?
Jimmy : Ça dépend. Il y a quelques morceaux où Julien arrive avec une structure assez définie. En général les morceaux les plus mélodiques, comme « Under the Hood ». Mais ça peut aussi se passer autrement, pour « Friendly Fire » ça a commencé avec une de mes lignes de basse en répète. Puis Julien est arrivé avec une mélodie qu'il se chantait dans le bus et il s’est trouvé que ça collait bien. Du coup on a fait ce morceau en une heure... Mais généralement, chacun se ramène avec ses idées ou ses riffs. Ce qui est important par contre c'est le process de groupe, ça vient naturellement et franchement on est bien connectés pour ça. Même si on a chacun nos envies et nos influences. On est différents. Comme trois chiens différents, chacun son nonos.
Mat : Alors lui, c'est le chien d'arrêt. Il va chercher la proie, quand ça bouge plus il laisse tomber.
Jimmy : Aussi, on essaie de réfréner Julien dans ses pulsions. Il veut toujours rajouter des couches de mélodies, d'harmonies… On le pousse à simplifier. Il a ses projets solos de folk, de pop, à côté pour faire toutes ces saloperies. Moi j'essaie de faire en sorte que les morceaux ne fassent que 2 notes, comme ça je peux faire autre chose pendant que je joue. J'aime les trucs vraiment lourds, plutôt côté doom. Mat lui, est plus metal.
Mat : Ouais. Moi j'ai un groupe de musique africaine à côté pour y mettre tous mes rythmes. Comme ça il y en a un peu qui transparaissent dans Mars Red Sky, mais je me déverse dans d'autres orchestres à côté.
Jimmy : Mais pour le coup, Mat est arrivé dans le groupe il y a 4 ans, et il n'y aurait jamais eu cette évolution dans le groupe sans lui. Il apporte beaucoup au niveau des rythmes, comme moi je pense amener sur les textures de son, ou pour conceptualiser les trucs. En gros, Julien lui c'est tout ce qui est harmonie, toi les rythmes, moi l'emballage... C'est bien, je n’avais jamais pensé à ça comme ça. Mais c'est vrai non ?
Mat : Bah couillon, bien sûr.
Au niveau de l'enregistrement comment ça s'est passé cette fois ? Je sais que vous avez l'habitude voyager. Vous avez enregistré où ?
Mat : À coté de Bordeaux, dans une maison-studio. Ça, c'est très important parce qu'on aime bien que ça reste toujours un peu artisanal. On est pas dans le délire d'aller mettre beaucoup d'argent dans un studio.
Jimmy : Tout ce qu'on voulait c'était enregistrer avec notre Brésilien chéri avec qui on avait enregistré notre deuxième album au Brésil. Gabriel Zander est donc arrivé avec ses valises, et Jacob Dennis. Ce qui est vachement bien, ils sont adorables.
Mat : Ils bossaient tout le temps. C’était même pas les 2/8 c'était les 2/12.
Jimmy : Et pour la première fois, il ne nous est rien arrivé. Pour les deux précédents albums, il nous était arrivé des trucs hallucinants. Pour le premier, on s'est retrouvé dans une cabane d'éleveur de chevaux dans le désert espagnol par hasard. On a fait un album alors qu'on voulait faire une démo pour faire des concerts au tout début du groupe. Au final, ça a donné un disque dont on est hyper fiers et qu'on continue à vendre. Pour le deuxième on faisait une tournée aux Etats-Unis, on s'est retrouvé coincés au Brésil et on a rencontré Gabriel par hasard, dans un tout petit studio.
Mat : Du coup, pour le troisième on attendait qu'il arrive un truc, tous les jours... Ah si, le premier jour le studio était pas rangé, il y avait des souris. Alors ça, ça m'a énervé. Tu cuisines un risotto et qu'est-ce que tu vois ? Des souris, bordel.
Jimmy : C'était quand même assez paisible. On avait un calendrier, et on avait déjà des projets de tournée, mais on a pris notre temps. Enfin, prendre du temps pour nous c'est enregistrer en 15 jours. On a pu faire des arrangements, des trucs un peu chiadés. Notamment sur « Mindreader », qu'on a fini en studio. Alors ce qui est drôle c'est qu'au dernier moment on a voulu le faire au clic mais en fait c'est le morceau où il y a le plus de variations de tempos sur tout le disque... Pour le coup, on a plutôt eu des surprises musicales pour cet album. En 15 jours on a réussi à faire autant que les groupes qui paient cher pour 2 mois de studio, qui s'en branlent et qui jouent aux cartes en attendant l'inspiration...
Mat : C'est peut-être un détail pour vous.
Jimmy : Mais pour moi ça veut dire beaucoup. Il jouait du piano debout. France Gall, tu comprends...
Vous avez de belles références musicales dans Mars Red Sky... Pour en revenir aux débuts du groupe, est-ce que vous aviez déjà un univers affirmé en vue, sur le plan musical mais aussi au niveau de l'imagerie, ou ça s'est développé au fur et à mesure ?
Jimmy : Peut-être que oui, c'est à dire que le projet au début était basé sur une idée de voyage. Il se trouve qu'on a fait beaucoup de tournées en plus grâce à ce groupe. A l’époque, Julien avait un groupe, qu'il a toujours mais un peu en sommeil. Moi j'avais rien à voir au pâté. L'ancien batteur, lui, il s'est retrouvé là par hasard. Pour les visuels et notre son, on a trouvé assez rapidement. Julien s'accordait très, très bas, parce qu'il ne devait pas y avoir de bassiste, moi je suis arrivé à la 2 ou 3ème répète. Le son a été trouvé assez vite et maintenant on évolue aussi au fur et à mesure. C'était pas quelque chose de réfléchi. Julien s'épanouie dans ce projet, et ça vient de cette facilité qu'il a en lui… Eh je dis des trucs que j'avais jamais dits. Mat, note ça pour les prochaines interviews ! Ça vient aussi de tout ça, c'était en Julien mais on apporte chacun notre truc... Il est beaucoup dans la contemplation, il prend son temps... Et pas que pour la musique (rires)
Mat : Je confirme (rires)
Jimmy : « Oh bah il est où Julien ? Oh bah encore aux toilettes ! » (rires)
Ah, il commence à y avoir de gros conflits dans le groupe à ce que je vois.
Jimmy : Oui on va splitter parce que Julien passe trop de temps aux toilettes. Non mais s'il y a bien un groupe où tout va bien, c'est nous... Mat et moi, on a un truc qui fait qu'on devrait tout le temps s'engueuler mais on n’y arrive même plus ! C'est nul ! On sait toujours ce que l'autre va dire et que ça va faire chier (rires). Mais pour en revenir à ce que je disais, tout est arrivé un peu accidentellement quoi.
Mat : Je peux apporter un point de vue un peu extérieur puisqu'au départ je n'étais pas dans le groupe. Julien m'a appelé, moi je ne connaissais pas le groupe, donc j'ai regardé et j'ai tout de suite vu une identité assez forte. Je connais bien Julien et je pense que ce qui contribue à cette identité forte, c'est qu'ils ont commencé à jouer de cette musique sans avoir aucune culture de cette musique, sans connaître Kyuss par exemple. Ce qui était aussi mon cas.
Jimmy : Ce qui n'est pas étonnant c'est que tu ne connaisses pas Kyuss, par contre que tu ne connaisses pas Mars Red Sky... Enfin bon, tu habitais en Charentes...
Mat : Moi ce qui m'intéresse en musique c'est quand des mecs se confrontent à des choses qui ne font pas partie de leur culture première. Dans le groupe on vient tous du punk rock, de l’indie rock, on a tous écouté la même chose. Mais au départ à part Black Sabbath et Led Zeppelin...
Jimmy : On a fait une petite recette parce que ça nous plaisait de jouer vraiment lentement, petit à petit ça s'est un peu effacé, même si on conserve les effets de ralentissement. Au début, Julien avait une grande nonchalance dans le projet, il était très occupé à côté. Avec l'ancien batteur on s'appelait pour se demander si Julien allait avoir le temps pour une répète... Avec Mars Red Sky, il lâchait prise de tous les projets qu’il avait à côté, c'était complètement la récréation. Je pense que ça a ouvert des vannes, on a trouvé des sons qui nous plaisaient, saturés, haut perchés, pop, sur des grosses guitares… On a cultivé ça, et c'est tombé aussi comme ça parce qu'on s'en fichait...
Mat : Oui il y a un côté naïf. Autant on peut contrôler certaines choses, autant ça, tu ne peux pas décider d'être naïf ou non en musique.
Jimmy : C'est fou on est en interview depuis ce matin et on n’avait pas encore dit un dixième des choses intéressantes qu'on est en train de dire là. (rires)
C'est toujours le même illustrateur qui s'occupe de vos pochettes ?
Jimmy : Oui tout à fait. On essaye de raconter une histoire au travers de nos pochettes. En gros, on arrive avec des idées, on lui propose, et parfois il propose aussi. C'est une collaboration.
Mat : Alors en fait ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe. Jimmy a un code d'accès au cerveau de Carlos, notre illustrateur. Il contrôle son cerveau à distance et c’est lui qui décide.
Jimmy : Parfois, il a des idées aussi ! Genre l'idée du rideau pour cet album, ou de la comète sur le premier album. En fait, Carlos, il est un peu déprimé, et moi, je suis un peu dictateur je parle beaucoup, je suis un peu relou. Je lui mange le cerveau en fait, je suis tellement relou qu'il ne peut plus avoir d'esprit critique, il bloque. Puis parfois il se rebelle un peu, il fait des trucs... Je lui demande pourquoi il m'envoie ça et même lui il ne sait pas, c'est nul ! (rires)
Mat : Non mais on a une très bonne relation avec Carlos, mais Jimmy contrôle beaucoup de choses.
Jimmy : On met aussi beaucoup en commun. D'ailleurs, Mat va bientôt m'apprendre la musique africaine. Ça a un peu commencé sur le nouvel album, il y a un plan qu'on appelle l'Afrique. Oui, on donne des noms à nos plans... Il y a la choucroute Sepultura. On a aussi petit-jira, moyen-jira, et gros-jira. Comment tu veux faire des morceaux de 8 minutes si tu ne nommes pas les parties ?
Vous tournez beaucoup à l'étranger, plus qu'en France, comment vous l'expliquez ?
Mat : Parce qu'il y a plus d'étranger que de France. (rires)
Jimmy : J'aurais bien nuancé un peu... Mais c'est ça, oui. (rires) La réponse est parfaite, question suivante.
Mat : Pour étayer un peu le propos, on a un chant en Anglais, c'est plus facile de tourner en Europe mais on va également tourner ailleurs. Mais on est un groupe européen donc on tourne en Europe, c'est notre territoire de jeux.
Jimmy : Il a une vision très sociale/démocrate. Mais au-delà de ça, la déchéance de nationalité peut arriver à tout moment. (rires)
Merci beaucoup à tous les deux ! Un dernier mot pour nos lecteurs ?
Mat : On n’est pas des chevaux.
Jimmy : Oui, c'est important, il faut le dire, il faut le dire...
Julien (qui se joint à nous) : Moi j'ai un mot à dire, tout ce que ces deux-là ont dit depuis le début, c'est que des conneries.
Mat : Pour conclure, tout ce qu'on a dit, c'est pas ce que vous croivez.