Le « metal à chanteuse » n'est pas forcément le style le plus développé en Espagne. Si Diabulus in Musica connaît une forte émergence et gravit les échelons très rapidement, d'autres comme Niobeth ou Ankor restent encore dans l'ombre malgré de nouvelles sorties. Et c'est un autre groupe dont vous n'aurez probablement jamais entendu parler qui nous arrive de cette contrée, et plus précisément de Las Palmas. Scandelion, quintet ayant presque 10 ans d'existence, nous offre une première offrande auto-produite : The Garden of Lies.
La première chose que l'on remarque, c'est que le groupe espagnol est très inspiré … par ses prédécesseurs. Et c'est là le premier reproche à adresser à Scandelion, celui de ne pas encore posséder une personnalité particulière. En effet, comment ne pas penser à Theatre of Tragedy, celui de la vieille époque, tout au long du périple ? C'est complètement flagrant sur une piste comme « Apocalypse Flower » qui aurait très bien pu se retrouver sur l'un des deux premiers opus de l'influence principale de notre combo ibérique. Son manque d'originalité et d'identité est heureusement fortement compensé par un certain talent d'écriture, mais également celui de réminiscences. Le groupe souhaite jouer sur la corde sensible de la nostalgie et susciter diverses émotions au travers de cette astuce, en nous proposant la formule des norvégiens retranscrite à des sauces différentes. Globalement, même si l'atmosphère est toujours aussi sombre, la musique tend bien moins vers le doom. Mais il conserve de nombreux points qui rappellent son illustre ancêtre, comme la dualité vocale, le chant guttural ou l'utilisation du clavier comme outil atmosphérique, pour émouvoir, effrayer, faire rêver … Un instrument multi-fonction, en somme, comme il l'était chez le groupe scandinave.
C'est cependant avec bonheur que l'on constate que nous n'avons finalement pas à faire uniquement à un simple clone de Theatre of Tragedy et autres Tristania (de la vieille époque, on se comprend bien sûr). Pour commencer, les espagnols nous paraissent sympathiques. A l'instar des brésiliens d'Iluminato, on sent l'envie de faire ressusciter un style qui semble être (malheureusement/heureusement, choisissez selon votre préférence) passé de mode et prendre la poussière. Alors un petit effet Madeleine de Proust de temps en temps, ça ne fait pas de mal. En plus de cela, l'alternance des chants est plutôt bien respectée et, bon point pour Scandelion, elle ne tombe pas forcément dans le prévisible. Chaque partie est bien distincte, et ne se délimite pas à un regrettable couplet/refrain entre les deux voix qui casserait un jeu plutôt bien établi, mais cependant, qui gagnerait à être encore travaillé davantage. Par contre, on pourra reprocher un petit côté répétitif à notre quintet, qui semble de temps en temps ne pas assez varier dans ses structures, dans ses ficelles utilisées, dans ses ambiances qui sont peu distinctes. Alors une piste comme « Sparkles », courte et simplement guidée par la voix féminine, aux effets electro superficiels mais efficaces, au piano de circonstance et aux guitares affûtées, nous fait souffler un peu par son aspect lumineux qui transcende et se démarque.
Car l'un des problèmes de The Garden of Lies, c'est de ne pas posséder un titre suffisamment marquant, accrocheur, et ce en dépit d'un niveau global plutôt élevé, que ce soit instrumentalement ou vocalement. Les voix, elles, sont agréables et nous offrent un beau spectacle. Enfin, presque toutes, car le chant clair masculin qui intervient sur « Angelo Nero » manque considérablement de maîtrise et les nombreuses fausses notes ne donnent pas une impression très positive. Il est cependant rattrapé par une chanteuse, Sonia, qui s'en sort avec les honneurs, au timbre à situer quelque part entre Vibeke Stene et Simone Simons (la ressemblance avec la néerlandaise vraiment frappante sur « Angelo Nero »). Cette dernière chante souvent juste, d'un registre lyrique agréable et diversifié, bien que manquant de temps en temps d'un peu de relief. Quant à la voix masculine grave et growlée, elle est là pour remplir correctement son rôle et n'est pas plus mauvaise qu'une autre. Ses interventions sont très bien vues, apportant diversité et agressivité à l'ensemble.
Nous parlions d'un côté linéaire, une piste comme « Butterfly Agony » illustre ce propos à merveille. Prise séparément, elle est intéressante, c'est certain. Une petite accélération qui se rapprocherait du progressif, des chœurs solennels, de quoi créer une parfaite ambiance … cette même ambiance déjà reprise sur les titres d'avant. Même les couplets ont l'air d'avoir déjà été entendus, non seulement par d'autres groupes, mais également par Scandelion eux-mêmes ! Et pourtant, il n'y a pas de mauvais titres. Mais il faut absolument que les espagnols apprennent à se renouveler de temps en temps et, surtout, à prendre des risques car il est certain que le talent et le potentiel sont tous les deux là, mais ne parvenant pas totalement à éclore. Paradoxalement, The Garden of Lies ne provoque ni ennui, ni lassitude. Il s'écoute le plus agréablement du monde, sans broncher, sans longueurs, allant souvent droit à l'essentiel et greffant quelques petites trouvailles de temps à autres à leurs pistes (on pensera au piano, aux effets plus modernes qui contrastent avec l'aspect quasi-anachronique de la galette, aux montées soudaines en puissance, …). Il va simplement falloir, non seulement en trouver plus, mais ne pas réutiliser les bonnes idées à toutes les sauces, sinon le met devient trop copieux, d'autant qu'elles sont un peu brouillonnes parfois (l'intro du titre éponyme).
Autre bon point à relever, une production qui elle, est, plutôt correcte, alors qu'on pourrait craindre de la part d'une formation comme celle-ci, qui débarque, un son crade et un mixage hasardeux. C'est vrai que la batterie est en retrait et que l'on souhaiterait l'entendre un peu plus, son martèlement pourrait offrir puissance de frappe et dextérité. Cependant, la guitare, placée plutôt en avant, nous offre une belle palette et ne se contente pas, comme moult formations du genre, d'un rôle de soutien : elle est là, et elle le montre, et tant mieux ! De même que le clavier devient primordial, non seulement par son usage mais également par sa position attribuée grâce au mixage, élément central sur lequel une grande partie de la musique de Scandelion repose.
Quelles impressions sont laissées par ce The Garden of Lies ? Difficile à dire. D'un côté, le combo ne possède pas encore pleinement les armes pour se démarquer et ne nous offre pas assez d'éclairs de génie. De l'autre, nous avons une exécution très bien menée, des voix au-dessus de la moyenne du genre et la preuve d'un potentiel qui ne demande qu'à être révélé au grand jour. C'est sur des sentiments mitigés mais optimistes que nous laissons ainsi Scandelion qui, avec ce premier album, offre un cahier des charges presque complet, mais l'on aurait aimé un peu plus d'audace. Un groupe à surveiller car nos espagnols n'ont certainement pas dit leur dernier mot, et si la suite logique veut que le second brûlot soit meilleur que le premier, alors leur talent éclatera au grand jour. Et c'est bien là ce que nous pouvons leur souhaiter.
Note finale : 6,5/10