9 Chambers – 9 Chambers

Lorsque l'on chronique le premier album d'un "supergroupe" (entendez par là le nouveau projet commun d'artistes issus de formations déjà établies et reconnues), il faut parfois s'attendre à tomber dans certains automatismes : présenter pour la énième fois ses éminents protagonistes (bonne opportunité pour eux que ce rabâchage afin de pouvoir enfin se faire pour de bon un "nom", quand ce dernier a toujours été associé précédemment à celui de leurs 'autres' groupes... ou à plus forte raison s'ils sont toujours restés dans l'ombre de ceux-ci  -à moins que ce ne soit finalement pour ajouter une ligne de plus à leur CV!-), avant de rechercher d'éventuelles correspondances entre cette nouvelle incarnation et la musique des autres combos dans lesquels offici(ai)ent nos baroudeurs par ailleurs.

Ici, nous ne tomberons pas dans cet excès de zèle (et/ou de fainéantise...) car on est, disons-le tout de suite, plus proches de la démarche artistique d'un Whocares, où Ian Gillan et Tony Iommi tiennent les rênes et Jason NewstedNicko McBrain et Jon Lord se contentent de jouer les 'guests' de luxe (malgré un apport non négligeable de ce dernier), davantage que d'une véritable collaboration démocratique de chacun... Même si dans le cas des Britanniques, la volonté purement lucrative de mettre en avant de grands noms sert avant tout la cause caritative revendiquée par le groupe, mais ceci est un autre débat.

9 Chambers, nouvelle formation américaine dont le premier album éponyme est sorti chez Earmusic/Wagram, est donc avant tout le fruit de la collaboration exclusive entre Ed Mundell (ex-guitariste de Monster Magnet depuis 2010) et Greg Hampton (chanteur/guitariste, plus connu pour ses travaux en tant que musicien-producteur pour Alice Cooper au temps de son Along Came A Spider de 2008), complétée par les "invités" Vinny Appice (ex-Dio/ex-Black Sabbath/ex-Heaven and Hell et actuel Kill Devil Hill, entre autres) et le "bass hero" Jorgen Carlsson (Gov't Mule).

Les présentations étant faites, attardons-nous sur la dimension 'hard rock' et plus encore 'stoner' bien "fumant" de ce disque (car il est dès lors évident que les fans de 'heavy costaud' et de rock sudiste ne retrouveront pas ici le "frappeur de fûts" et le bassiste virtuose dans leurs styles de prédilection -même si Carlsson est comme à son habitude excellent!).
Les graines "Sabbathiennes" (celui d'Ozzy, pas de Dio) éclosent dès l'entame du disque sur le remuant "Life Moves on", avec des riffs ronflants, "crunchy" ou à fond de "fuzz", une basse ronde à souhait, un phrasé façon Osbourne et une interlude qui aurait pu figurer sur Volume 4 ou Sabbath Bloody Sabbath. Les interventions à la wah-wah et le ton général tout au long de l'album rappelleront le Spiritual Beggars première époque -les vocaux écorchés ne sont d'ailleurs eux pas sans évoquer ceux de Spice, le premier chanteur du gang de Michael Amott et ex-The Mushroom River Band, croisé avec Axl Rose- ou le jeu dégoulinant d'un Slash, justement. 'Headbanging' de rigueur, ou bien de quoi taper du pied!

 

Ed Mundell & Greg Hampton

Toutefois, dès le deuxième titre, "Majick Number", 9 Chambers se fixe sur un registre mid-tempo qu'il ne quittera plus hélas, malgré quelques envolées bienvenues (témoin un "Cut -N- Runn" plus enlevé par endroits).

Le principal souci de cette galette vient du fait que l'on a affaire ici au projet de deux gratteux et que Hampton, pourtant émérite producteur, n'a pas su peaufiner une production apte à leur rendre justice à trop vouloir les mettre en avant.
Alors, certes, on sent que les vieux briscards ont eu à cœur de donner à leur bébé un son "brut", bien 'roots', où la section rythmique sonne de manière très naturelle (une batterie manquant pour le coup cruellement de relief et de définition) et où toute la place est laissée aux "guitares-reines" et à leur 'feeling' typé 70's (qui s'avère plus un leurre qu'autre chose, mais nous y reviendrons...). La six-cordes déborde pour ainsi dire de partout : heureusement ce n'est pas à du bête 'shredding' que l'on a affaire mais bien à des solo "chauds" et racés comme on les aime, seulement bien souvent jusqu'au trop-plein et disséminés un peu partout au détriment de la cohésion. Tout comme les idées de nos deux compères malheureusement...

En effet, même sur ce titre d'ouverture dont nous vous parlions, était-il si judicieux d'ajouter à cette entame mélodique en twin-guitars très "Thin Lizziennes" une troisième couche d'effets "psychédéliques" -façon Hawkwind ou même Uli Jon Roth en solo- qui vient alors surcharger inutilement le morceau? Ce n'est là qu'un des nombreux exemples d'idées qui viennent gâcher le disque et en rendre l'écoute pénible au bout du compte, tant l'oreille finit par se perdre au milieu de cet imbroglio de motifs juxtaposés.
Comme si les musiciens avaient eu peur de proposer quelque chose de trop simpliste (?!) peut-être, en cette année 2011 qui s'achevait (bonne année à tous, au passage!)... Le résultat, c'est malheureusement un disque trop chargé (un peu à l'image du jeu d'Appice sur ce même titre, dont on devrait compter le nombre de descentes de toms à la minute! -quand bien même le frappeur se fait au contraire tristement plus sobre à d'autres moments qui eux auraient gagné à être  davantage développés...)

La fin de l'indigeste "One Thing Missing" est à ce titre tout à fait représentative de l'esprit d'une grande partie de cet album ... et tout bonnement insupportable (on pourrait également citer le bordélique "Bury Yourself" -trop entrecoupé de motifs "bavards"- ou les irritants effets robotiques/'téléphone' de "What's it Gonna Get You") : ici, tandis que le riff purement 'stoner' et lancinant du morceau se répète ("aaâââad lib!"), deux solos déboulent en même temps (oui, oui!), l'un bien "bluesy" et posé, l'autre plus "moderne" et relâché qui donne plutôt l'impression d'un délire du guitariste en studio pour essayer ses 'effets'.
En fond, une troisième guitare prend alors le relai en 'overdub', avec encore une troisième signature sonore différente, et l'on a dès lors qu'une crainte, c'est que le bassiste et le batteur se lancent également chacun dans un solo, ce qui complèterait bien le côté "n'importe quoi" qui se fait ressentir! Rien que ces trente secondes paraissent interminables tant elles sont irritantes à l'oreille. Car l'on ne parle pas là cette fois de twin-guitars, de travail harmonique construit ou que sais-je, mais véritablement de parties de guitares qui ne semblent avoir été greffées les unes sur les autres, que Mundell ou Hampton ont dû se faire plaisir à enregistrer ensemble, on le sent bien (à moins que l'un des deux n'y soit allé de sa petite touche à la dernière minute, sans concertation avec son partenaire?!), mais qu'ils auraient pu se donner la peine de réécouter attentivement après coup. Le type de 'collages' sonnant pour vous dire comme un enregistrement typiquement numérique (à grand renfort de Pro-Tools, au hasard...), le comble quand même de la part de  musiciens qui se défendent au contraire d'avoir enregistré une grande partie des guitares à l'ancienne, dans des conditions de 'direct' et sans rafistolage! Si tel fut le cas, Messieurs, tout le monde aurait gagné au final à ce que cela se fasse de manière plus appliquée et moins désinvolte concernant leur exécution et le traitement de leur son.

Car, entendons-nous bien, Iommi doublait lui aussi ses solos sur les premiers essais de Sabbath ... Mais il le faisait tout en retenue et sobriété et en ne proposant essentiellement qu'un type de grain de guitare (majoritairement 'fuzzé').
On se rappelle également la "formule magique" du Guns n' Roses de la grande époque -celui des 80's s'entend- qui prouvait que l'on pouvait pratiquer un hard rock 'roots' et costaud à plusieurs guitares ... Sauf que leur alchimie reposait sur un équilibre parfait entre un jeu plus rythmique et solide d'Izzy Stradlin et celui plus relâché et tous 'leads' dehors de Slash (sans pour autant que l'un ne se cantonne à un seul et même poste).
Certes, plus récemment la paire Buckethead/Ron Thal a prouvé sur le Chinese Democracy d'Axl...de Guns n' Roses, pardon, que l'on pouvait conjuguer la guitare 'classic-rock' à des sonorités et des approches plus 'modernes' et excentriques.

Seulement, ici 9 Chambers ne choisit certainement pas son camp dans sa démarche faussement passéiste et ce côté "jam-guitaristique-sans-prise-de-tête" pour un rendu paradoxalement à l'inverse de ce qu'ils devaient escompter : une production et des arrangements de guitare sonnant 'complexes' au final, et du "tartinage" inutile.
 

9 Chambers


L'autre gros soucis contribuant à la pénibilité de l'écoute de ce 9 Chambers, c'est sa longueur. L'impression de répétition de certains schémas et de déjà-entendu tout au long de l'album (parfois, on a même le sentiment d'écouter toujours le même morceau tourné de façon différente) se fait  sentir, et en dehors d'une toute petite poignée de morceaux un peu plus marquants, ces quelques 61 minutes de musique pour 14 titres (!) se révèlent une interminable torture (voilà pour le coup quelque chose qui tranche encore une fois singulièrement avec l'esprit des albums des 70's en plus!...)

La performance de Greg Hampton en tant que chanteur n'aide pas à trouver le temps moins long. Son registre 'braillard' éraillé, s'il nous accroche au début de par son côté délicieusement sauvage et 'cru', finit à la longue par lasser tant il se révèle monocorde, dérape, parfois approximatif et limite dans la gueulante ("Bury Yourself", encore...), sans grande recherche. Sa voix se révèle paradoxalement plus convaincante lorsqu'il calme le jeu et se fait plus posé, sur des titres comme "What's it gonna get U" ou l'insipide ballade "Can't Turn Your Back", des morceaux pourtant moins marquants encore, plus 'mollassons' et sonnant étrangement un peu comme du Toto période Kingdom of Desire, ou plus généralement celui avec la voix rauque de Steve Lukather. A ce titre, une chanson comme "Use U Up", plus FM, douce, "commerciale" et à la basse redoutable, aurait pu se révéler très efficace avec le 'groove' et la finesse d'un Jeff Porcaro en lieu et place de la frappe lourde et pataude de Vinny Appice, décidemment pas très en phase avec ce que réclament les morceaux. Seule la deuxième moitié d'un "No Escape", dans le même registre, parvient à s'en approcher, preuve qu'en canalisant leur musicalité les musiciens peuvent vraiment rendre honneur aux 70's. Mais cela arrive un peu tard...

Malgré donc une paire de titres percutants (mais qui l'auraient été bien plus encore s'ils avaient été à peine plus épurés...), ce qui sauve un tant soit peu les meubles au milieu du marasme ambiant ("Know your Enemy" par exemple reste, malgré toutes ces réserves, imparable), ne subsiste pour ma part qu'un constat amer à la longue : de tels "projets" à foison sont-ils si pertinents que cela, si l'on met un instant de côté le plaisir de se faire plaisir, ou l'attrait d'aligner le line-up ayant statistiquement le plus de gueule possible et de manière proportionnelle le plus de valeur 'bankable' dans un style donné? Si Black Country Communion (pour ne citer que les plus talentueux du moment) a récemment prouvé que de telles associations de 'bienfaiteurs' pouvait transcender la simple notion de 'supergroupe' et déboucher sur une entité à part entière et méritant que l'on s'y attarde, dans le cas de 9 Chambers ici on est en droit de se demander si les musiciens ont tant d'affinités que cela ou s'il ne s'agit pas d'un simple projet solo déguisé pour un Ed Mundell lassé de Monster Magnet voulant collaborer avec un  nouveau chanteur (dont on attend beaucoup plus que cela par la suite...) qui ferait de surcroît un bon pote gratteux avec qui 'jammer'. Ou pire, si tout cela ne tourne pas au final à de la confrontation : davantage qu'à une véritable osmose entre les deux guitaristes, on a plutôt le sentiment que chacun tente d'en tartiner à chaque fois une couche supplémentaire par rapport à ce que l'autre a déjà fait. Ça me rappelle un peu ce jeu enfantin idiot où l'on doit poser sa main sur celle de l'autre, puis l'autre main encore par-dessus, avant de recommencer avec la main qui était en dessous, etc.... Aussi étrange qu'il puisse paraître, c'est ce que m'évoque ce disque. Un album indiscipliné et vraiment trop chargé, et ce sur tous les points...

A réserver donc à ceux qui connaissent déjà par cœur les discographies de Spiritual Beggars, de 'Magnet, de The Mushroom River Band ou de Kyuss (voire le dernier Lonely Kamel chroniqué récemment par notre Katarz préférée...), si ce n'est pas le cas ce sont bien celles-ci qui devraient avoir la priorité de vos chers deniers, en attendant un essai plus abouti des Neufs Chambres... et l'on espère une vue sur la mer cette fois-ci!

LeBoucherSlave

5,5/10


PS: un nouveau titre, "Swept Away", plutôt efficace et prometteur est disponible sur le site du groupe, http://www.9chambers.com/media.html . Rien que pour ça, je vais arrêter de les "chambrer" mais, Messieurs, s'il vous plaît, vous savez écrire de bons titres, faites une sélection et un peu de ménage pour nous sortir de bons albums maintenant!
 

NOTE DE L'AUTEUR : 6 / 10



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