Change de bermuda !
Programmer une tournée avec Deafheaven et Myrkur, il fallait oser, car c’était réunir sur une même affiche les deux groupes qui récoltent le plus de haine de la part de la scène black metal ces dernières années. Et pourtant, quelqu’un a eu le cran de le faire et c’est une bonne chose. Après tout, la provocation est le nerf de la guerre du black metal. Les deux artistes avaient sortis de bons albums chacun de leurs côté, on pouvait donc espérer passer une bonne soirée.
Myrkur
C’était la première tournée pour le projet black metal d’Amalie Bruun, l’occasion de voir si elle arriverait à reproduire l’énergie authentique de ses compositions sur scène. Etant un projet solo, elle a eu recours à des musiciens de session pour donner vie à sa musique, et il faut dire que cela se voit pendant le concert. On ne ressent pas du tout de cohésion dans le groupe, chacun semble jouer pour lui, et tout particulièrement la principale intéressée. Toujours est-il que cette dernière n’est pas dépourvue d’un certain charisme, et a une très belle voix claire. Son chant juste permet d’apprécier ces lignes vocales à la Ulver période Bergtatt et Kveldssanger.
Pour le reste, c’est, il faut le dire, plutôt décevant. Son growl est pour ainsi dire inaudible, et son jeu de guitare paraît approximatif, laissant clairement entendre des pains à plusieurs reprises. Les musiciens qui l’accompagnent assurent parfaitement leur travail, ce qui permet d’avoir une base technique solide, mais si cela suffisait à faire un bon concert, ça se saurait ! Tout cela manque d’énergie, de rage… De black metal, en fait.
Evidemment, étant en première partie, Myrkur ne pouvait pas se permettre d’avoir des choristes, manque qui est pallié par des samples. Il faut cependant reconnaître que ce n’est pas systématique comme chez certains groupes, et qu’il est intéressant d’entendre Amalie interpréter la plupart de sa partie en voix solo. Mais l’impact n’est pas aussi fort que les voix harmonisées sur album. Tout cela pour dire que le bilan est mitigé. Il se murmure que la chanteuse était malade ce soir là, et elle est aussi partiellement excusée par le fait que c’était un début de tournée. Mais le propre d’un musicien professionnel est d’assurer en toute circonstance, il faudra donc que Myrkur arrive à redresser la barre pour la tournée des festivals cet été si elle ne veut pas se tourner en ridicule.
Setlist :
Den Lille Piges Død
Hævnen
Onde børn
Vølvens spådom / Jeg er guden, i er tjenerne
Dybt i skoven
Skøgen skulle dø
Skaði
Deafheaven
Les américains nous avaient fait forte impression en août dernier en tête d’affiche du festival Arctangent, et il ne faut pas longtemps pour constater que cette première impression était justifiée. La maîtrise de chacun des musiciens est exemplaire, particulièrement le batteur, dont le blast beat est impressionnant. Le vocaliste George Clarke a un timbre de voix relativement différent par rapport à l’album, mais qui reste cohérent avec la musique jouée, si on n’est pas dérangé par le fait qu'elle rappelle par moments celle de Dany Filth. Idem pour son jeu de scène très théâtral et presque pompeux, c’est un style qui plaît autant qu’il peut agacer. Il ne faut pas oublier d’ailleurs que New Bermuda est « son » album, George l’ayant composé entièrement seul. Il n’est donc compréhensible de le voir se plonger avec autant de conviction dans sa performance.
En guise de setlist, le groupe fait le choix osé d’interpréter en entier et dans l’ordre son dernier album New Bermuda, qui est de loin le plus agressif de la carrière de Deafheaven. Les longs passages éthérés de guitare claire à la My Bloody Valentine sont donc entrecoupés par des riffs très directs et accrocheurs, notamment sur « Brought To The Water » et « Baby Blue ». On peut aussi mettre un bon point sur le son, qui est excellent au point de laisser entendre distinctement chaque instrument, y compris la basse, fait suffisamment rare pour être noté, particulièrement dans le black metal. Les transitions du son clair à la distorsion sont bien gérées, tout est millimétré au cheveu gominé près.
Cela fait que les cinquante minutes de l’album passent très vite, nous amenant déjà au rappel. Et il fait plaisir aux fans, puisque l’intro de « Sunbather » se fait entendre, générant une agitation encore plus forte dans la fosse. Réécouter ce morceau rappelle à quel point Sunbather est différent de son successeur, et c’est tout à l’honneur de Deafheaven de ne pas joué la sûreté avec New Bermuda. Les éléments caractéristiques de leur musique y sont toujours présents, mais dosés différemment. Le concert se termine en apothéose sur « Dream House », qui rend le public encore plus hystérique. Rien à dire, Deafheaven maîtrise son élément, et la qualité de leur performance ce soir atteste que leur réputation est méritée. Cependant, un peu plus de spontanéité n’aurait pas fait de mal, d’autant plus que la durée du concert était à la limite du frustrant. Pourquoi n’avons-nous pas eu droit à l’excellent « From The Kettle Onto The Coil » comme sur le début de la tournée ? Trop éprouvant pour le groupe ? Pourtant, c’est peut être en se mettant plus en danger que Deafheven pourrait aller encore plus loin sur scène.
Setlist :
Brought to the Water
Luna
Baby Blue
Come Back
Gifts for the Earth
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Sunbather
Dream House
Photos : Nidhal Marzouk / © 2016 nidhal-marzouk.com
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