Au premier regard, Evolvent est un groupe comme tous les autres. Dans leur doom, on compte un line-up classique (chant, guitare, basse, batterie et clavier), une tracklIst et une durée qui semble normale, bref rien pour se démarquer du lot. Pourtant, l'expérience d'un chroniqueur, et même celle d'un amateur de metal peut pourtant nous faire savoir que les apparences sont parfois très trompeuses. Avec leur premier album Delusion, signés sur Bernett Records, les français vont prouver qu'effectivement, il va falloir y regarder à deux fois avant de les considérer comme un combo lambda ...
Pour faire un doom réussi, il faut que ce dernier comporte un élément très important, crucial même dans le genre : l'émotion. Et sur ce point-là, il ne faudra pas blâmer Evolvent d'en manquer, bien au contraire. Avec la plus grande simplicité du monde, un style épuré mais recherché et quelques légers détails apparaissant par-ci, par-là, les français arrivent à créer un univers où tristesse et mélancolie se retrouvent, se donnent la main et nous prennent dès les premières notes d'un somptueux piano, les premières intonations d'une voix enchanteresse ou la première apparition d'une guitare lourde et puissante à la fois, contrastant avec la délicatesse de l’œuvre. S'il semble simpliste, ce n'est pas le cas, ou du moins une apparence. Bien évidemment, il n'est pas besoin d'aller chercher du progressif ou autre dans cette mixture. Tout est fait à partir de pièces assez courantes pour du doom, et le contraste entre la lourdeur et l'éthéré est la clé, la base même de leur univers musical, qui se repose beaucoup dessus, et ne faiblit quasiment jamais. On peut ressentir quelques moments de vacillement de temps à autre, lorsque la puissance peut manquer, mais tout cela est très vite rattrapé par la finesse du détail et la subtilité des pistes, qui ne laissera pas indifférent. Dans un sens, le combo parisien prend quelques risques : il n'appâtera pas une partie du public friande d'agressivité dans leur genre musical adoré, le côté très atmosphérique de l'ensemble leur paraîtra rédhibitoire. Ils ne savent pourtant pas ce qu'ils manquent.
Même si cela peut sembler classique, les français développent un style propre à eux, qui leur confère encore davantage d'attrait et d'intérêt. Pour commencer, comme dit plus haut, une partie du public ne se contentera pas d'un chant lead presque uniquement féminin, porté par la voix de Johanna Manto, sur laquelle nous reviendrons plus tard. Ajoutez-y un instrument qui, lui, n'est pas là pour le décor ou pour meubler, mais réellement, incrusté dans les compositions, il ira magnifier ces dernières, leur donnant la touche nécessaire à une extase totale : un piano. Oui, cela peut sembler « facile », vu comme ça, mais ne vous y trompez pas. Evolvent l'utilise d'une manière particulière, et souvent dans un rôle de soutien. Pourtant, son rôle est souvent non-négligeable puisqu'il participe à part entière à instaurer des ambiances. Que ce soit des titres comme « How Come » ou « Refugee », il serait difficile d'imaginer désormais ces dernières sans cette pièce devenue un rouage très important dans une machine qui, elle, en plus d'être bien huilée, dispose d'une âme. Les guitares pourront sembler en retrait, mais leur rôle est pourtant prédominant puisqu'elles contribuent à la création de la beauté qui nous submerge tout au long de l'écoute. La recette est justement dosée, aucun musicien n'en fait de trop, et utilise son arme de la manière la plus redoutable pour entraîner l'auditeur au sein d'un monde duquel il sera difficile d'échapper, tant cela est addictif. Même si question mixture, on pourra noter une petite redondance quelques fois, elle est tellement délicieuse que l'on s'y habitue bien vite.
Evolvent propose un ensemble varié, mais uniforme. Les points de diversité s'expriment assez ponctuellement, et malheureusement s'anesthésient parfois. Le piano est tant utilisé qu'il n'apparaît désormais plus comme un élément apportant une modulation d'un titre à un autre. Entendez-bien là que ce n'est pas spécialement un mal, vu l'excellent usage de ce dernier. Seulement, une guitare acoustique sur la superbe « Empty Shapes » ou des notes electro sur « Adagio » sont limités. Par contre, l'usage des growls est savamment mené. Ceux-ci sont quasiment absents, intervenants pour dynamiser une composition, ou soutenir la voix. Encore une fois, inutile de crier au manque de consistance, car ceux-ci, dans leur rôle (faire venir les ténèbres sur « Blade », ou user d'une voix masculine très intéressante sur « Delusion »), font l'affaire. Le reste de la bande, qu'ils se nomment clavier, guitare, basse, batterie ou chant féminin se suffisent à eux même très généralement pour parvenir à recréer la beauté d'une simplicité touchante. Pour les initiés, la musique d'Evolvent pourra même rappeler The Gathering, et, niveau influences, avouez que l'on a connu pire.
Petit regret, malgré tout : la production pourrait clairement être meilleure. Le son n'est pas toujours au niveau le plus souhaitable, manquant d'un peu de puissance, justement (c'est plus sur ce point que le reproche doit être adressé qu'au niveau instrumental). Pas si dérangeant que cela, puisque la magie prend, et dans ce théâtre de la beauté, Johanna Manto est sous les feux de la rampe. Sa voix est absolument magnifique, et d'une pureté rare. Vous voyez Sharon den Adel, à ses débuts, dans l'époque Enter ou sur « Frozen » du groupe Voyage ? C'est dans ces registres-là que Johanna va chercher. Une voix presque fragile, naïve, lumineuse dans ces ténèbres, emplie d'émotions, aux intonations touchantes et toujours justes, avec ce petit truc qui fait toute la différence en elle. La jolie jeune femme vous arracherait presque une larme à l’œil sur « Blade » ou « Empty Shapes », tant elle est cristalline. Sa voix est taillée pour le doom, elle est exactement ce que la formation pouvait trouver de mieux pour apporter à la musique expressivité et beauté. Et il ne serait certainement pas en faire trop que de dire qu'elle se place vraiment parmi les meilleures chanteuses du genre, sublimant littéralement une musique pourtant déjà si bien conçue !
S'il est un titre qui se fera remarquer, c'est la conclusion qui n'est autre qu'une reprise de l'Adagio d'Albinoni. Choix ambitieux, mais réussi. Si le passage atmosphérique final n'est pas foncièrement utile, la performance vocale de la frontwoman est un délice. Elle traverse le paysage musical de son timbre splendide, d'une façon éthérée, fantomatique, jouant avec aisances sur les notes, nous montrant que la concurrence, sur ce point, a du soucis à se faire. La section rythmique est bien en place, et le piano est la cerise sur le gâteau. Si cette piste semble se tailler la belle part, les autres n'ont pas à rougir non plus, car nous ne retrouvons dans cet ensemble aucun mauvais titre. Tous sont bons, sans exception, chacun ayant son style propre. Quelques uns vous demanderont un temps d'adaptation pour être mémorisés et pleinement appréciés (c'est le cas de « Evolvent » ou « Refugee »), d'autres ont un effet immédiat (« Under a Bloodless Sky » au refrain magique (merci Johanna), « Blade ») et peuvent être couvertes d'éloges dès les premières écoutes. Il faudra revenir dessus, mais ce n'est pas un problème, vu le pouvoir d'attraction immense dégagé par le brûlot.
Simple, mais pas tant que ça, la musique d'Evolvent a au moins une qualité énorme : elle nous touche, en plein cœur, la cible est atteinte tout de suite par la flèche. La voix envoûtante de Johanna Manto ne laissera pas de marbre, la musique et sa dualité (ambiance/lourdeur) ne sont pas à oublier non plus. Delusion est un album sur lequel il faut poser son oreille de toute urgence, car la formation française nous prouve, non seulement, que le metal n'a pas forcément à rougir dans l'héxagone, mais qu'en plus, avec une telle maturité du propos, la relève est assurée. Maintenant, c'est au public de soutenir un tel groupe, espérons que sur ce point, le succès soit au rendez-vous. En tout cas, Evolvent est un nom à retenir pour l'avenir : celui-ci peut être brillant, et c'est ce que l'on souhaite !
Site officiel d'Evolvent