« Tu connais Ministry ? Faut que je te fasse écouter, c'est un truc de dingues, c'est ma correspondante grecque qui m'a envoyé cette K7.C'est par ces mots qu'un de mes copains, en 1993 ( un an après sa sortie ), m'a introduit à un des albums les plus influents des années 90 et lorsque NWO m'a pété à la tronche, je n'ai eu que cette phrase à prononcer : C'est quoi ce truc ? C'est monstrueux ! Avant de rajouter : Faut que je copie ta K7, j'te l'emprunte et te la rend demain Ok?
Le pote, sourire au coin, satisfait de m'avoir scotché au poteau, m'a alors répondu : j'écoute cet album en boucle depuis une semaine, ce mec qui hurle là, Al Jourgensen, il est dingue, paraît qu'ils l'ont sorti de l'asile pour enregistrer, enfin c'est ce que l'on m'a dit... »
Les « on dit », c'est comme ça qu'on construit les mythes aussi...Cette histoire de leader de Ministry sorti d'un hôpital psychiatrique pour enregistrer un album n'a jamais été prouvée mais des anecdotes croustillantes sur le gars y'en a, à la pelle.Par exemple, j'ai souvenir d'avoir lu, dans une vielle interview donnée par l'intéressé, que peu inspirés pour remixer un titre des Red Hot Chili Peppers, le père Jourgensen, et son complice Paul Barker, seraient allé chercher une poule ( !! ) dans la cour de la ferme studio qu'ils occupaient au Texas et qu'après avoir introduit toutes sortes de liquides ( plutôt alcoolisés ) dans le gésier de l'animal ( Brigitte Bardot ne devait pas se trouver dans les parages..), les deux compères auraient laissés le volatile déambuler sur la console et ainsi faire leur boulot...*.Voila pour planter le décor. Psalm 69, l'album que j'ai écouté en révisant pour mon Bac ( et je l'ai eu, oui ).Un truc énorme, le pavé du Metal Industriel, la Bible de l'Apocalypse. Le prochain volume sera écrit par Trent Reznor, deux ans plus tard, avec son Downward Spiral mais là n'est pas le sujet de cette chronique.
La première chose que je me suis demandé en écoutant ce disque est comment on peut faire autant de boucan avec des machines ? Bah oui, y'a des guitares saturées certes mais aussi des séquenceurs, du sampling et même, comble de l'horreur pour un Metal Head : une boîte à rythme qui vient donner un coup de main parfois à la batterie de Bill Rieffin.
Les faits sont là cependant : Psalm 69 fait la nique à pas mal de skeuds de Metal extrême sortis à cette époque et redéfinit le genre pour les années à venir. De Fear Factory à Rammstein, tous les groupes majeurs apparus à partir de le seconde moitié des 90's puiseront dans ce diamant noir.
Pourtant, c'était pas gagné.
Ministry a été formé en 1981, à Chicago, par Allen Jourgensen, ce dernier prétend avoir eu la grande révélation musicale en assistant à un concert donné par les Ramones, se trouvait aussi à ce show le futur leader des Dead Kennedys : Jello Biaffra ( avec lequel, Al formera le projet Lard ).
Les débuts de Ministry ne sont pas punk pour autant.Le 1er disque, sorti en 1983 With Sympathy témoigne plutôt de l'intérêt porté par le jeune musicien pour des formations comme The Human League ou OMD. La synth pop peu inspirée délivrée par le groupe permet cependant à ce dernier de tourner en première partie de Depeche Mode. Mais, on est encore loin de NWO... Puis, Al découvre les drogues et la musique industrielle, notamment la scène EBM ( Electronic Body Music, terme désignant le genre electro « body buildé » délivré par des formations comme Front 242 ou Nitzer Ebb ), se lie d'amitié avec certains frappadingues comme Skinny Puppy et sort le plus dur, et plus sombre, Twicth en 1986.
Toxic Twins...
C'est aussi à cette période que Paul Barker, bassiste et arrangeur, entre dans le groupe, il restera le plus fidèle collaborateur de Jourgensen, jusqu'à son départ en 2003.
Le ton va continuer à se durcir et les sonorités vont se faire de plus en plus glauques, notamment avec The Land Of Rape And Honey sorti en 1988 qui voit les premiers riffs de guitare faire leur apparition, mais plutôt sous forme de samples, un peu comme chez les suisses cultes : Young Gods.
L'incursion officielle dans le Metal va se faire en 1989 avec The Mind Is A Terrible Thing To Taste, album qui contient quelques classiques comme : Burning Inside ou So What mais dont je trouve la production un peu faiblarde par moments, je préfère personnellement les versions live de ces titres enregistrées sur In Case You Didn't Feel Like Showing Up sorti l'année suivante.
Mais les bases sont jetées, il ne reste plus qu'à lancer l'ultime bombe. En 1991, Jourgensen et Baker entrent en studio avec quelques musiciens additionnels, notamment le guitariste Louis Svitek connu pour avoir joué avec les groupes de Metal : Mindfunk et Zoetrope, et enregistrent leur réponse retentissante à l'arrivée au pouvoir de Georges Bush Senior.Psalm 69 sort le 14 juillet 1992, dix jours après le Independance Day. Le temps était venu d'accoupler pour de bon les guitares aux machines.
Il faut dire que certains collègues de son avaient un peu déjà donné le ton, notamment les allemands KMFDM qui avaient samplé le riff du Angel Of Death de Slayer pour leur titre Godlike. Mais ce morceau reste cantonné aux dance floors gothiques, ce qui n'est absolument pas le cas de Psalm 69, à moins de danser le coup de boule sur Just One Fix et son rythme un peu techno...
Jourgensen aurait affirmé que les deux principales sources d'inspiration pour la composition
de son chef-d'oeuvre à l'époque étaient la haine qu'il portait à Bush et son addiction à
l'héroïne. Le 41 ème président des USA et sa politique du « Nouvel Ordre Mondial » ( tiens tiens...) et la sale dame blanche apparaissent effectivement tout au long de cet assaut sonore qu'est Psalm 69, avec une pincée d'ésotérisme.
Tout commence par un riff et un roulement de batterie qui sonnent comme une décharge de mitrailleuse sur une foule révoltée ( on peut écouter ce morceau en ayant en tête les émeutes survenues à Los Angeles en avril 1992, après le passage à tabac de Rodney King par quatre flics et je pense que le clip illustrant ce titre est un clin d'oeil à ce fait divers ), le New World Order est lancé, les sirènes hurlent, la voix trafiquée et hurlée de Jourgensen nous fait comprendre qu'il n'y a plus d'issue possible et que le salut se trouve, peut-être, dans la guérilla urbaine et la résistance.
Puis, la voix de l'écrivain ( camé jusqu' à l'os aussi ) phare de la Beat Generation, auteur du
célèbre Festin Nu, Williams S. Burroughs introduit Just One Fix ( rien qu'un fixe, tout est
dit dans le titre ) et le bal des agités continue, cette fois-ci sur une batterie syncopée et un riff terriblement heavy.
Burroughs/Jourgensen : Une rencontre qui fit parler la poudre...
Une nouvelle décharge, de haine, arrive avec TV II, musicalement ce morceau, terriblement violent, me fait penser à un croisement entre un Slayer sous ecstasy et un Throbbing Gristle ( groupe fondateur du style industriel ) ayant abusé du speed. Chaotique. Ensuite c'est Hero qui prend le relais., un morceau plus mid tempo et Metal qui a dû marquer Rammstein et consorts avec son aspect martial avant que n'arrive la chanson la plus déjantée du disque : Jesus Built My Hot Rod ( tout un programme..).Autre invité de luxe, avec Burroughs, Gibby Haynes, copain de dérive de Jourgensen et chanteur des rockers décalés texan Butthole Surfers ( Surfeurs Du Trou du Cul, faut faire un dessin ? ) chante sur un rythme vaguement rockabilly sa rencontre avec le Prophète, qui lui a bâti sa bagnole. « Yeah! Fuck It ! » conclut une voix qui semble dire que juste ici tout allait, plutôt, bien car maintenant vient la chute, le descente aux enfers ( opiacés ).Après avoir été révolté et « high », le junkie doit payer et l'épouvantail vient prendre son dû, c'est la redescente qui s'amorce : Scare Crow.
Sur un loop de batterie qui évoque un When The Levee Breaks de Led Zeppelin purement mécanique et une noirceur que l'on peut rapprocher des travaux du Suicide d'Alan Vega et Martin Rev, Al Jourgensen semble exprimer le blues du camé en manque, peut-être ma chanson préférée de Ministry, toutes périodes confondues.On a vraiment l'impression que le Scare Crow est là, à notre porte, et qu'il attend. Un grand moment en live ( avec ajout de parties d'harmonica pour accentuer le côté blues ).Puis, vient l'heure de la prière, d'ouvrir « le livre des révélations » pour prononcer le psaume 69, où quand le Metal...Hm symphonique ( ces choeurs grandiloquents au début du morceau, bon ok on est loin de Rhapsody mais bon... ) se fait hallucinogène. Chaque écoute de cette chanson me fait penser au film de Terry Gillian ( et adaptation du livre de Hunter S. Thompson ) Las Vega Parano, un road trip où Johnny Depp et Benicio Del Toro vivent des aventures psychédéliques. Y'a un peu de Al Jourgensen et de Paul Barker dans ces deux personnages. Corrosion, un instrumental plus proche de ce que Ministry proposait sur ses deux disques précédents, est pour moi le morceau le plus anecdotique de l'album ( j'ai pas dit mauvais ) et j'ai parfois tendance à le zapper lors de mes écoutes.
Un tigre dans le moteur ?
Quant à la fin : Grace ( Pitié en Anglais ), tout est exprimé, encore, dans l'intitulé de ce morceau sans paroles. La fin du monde, et l'overdose, sont proches, le Nouvel Ordre s'est établi, fuyez pauvres mortels, entendez ces hurlements et cette voix répétitive, voilà comment se termine ce disque bâtisseur du Metal Industriel.
La suite de la carrière de Ministry connaîtra des hauts ( tournée triomphale avec le festival itinérant Lollapalooza pendant laquelle Jourgensen emmènera dans ses bagages certains membres des frenchies de Treponem Pal et ensuite, après quelques disques plus moyens, série de bons albums inspirés par l'administration...du fiston Bush ) et des bas (la dépendance à l'héroïne qui affectera de plus en plus le leader de Ministry et lui vaudra même un passage devant les tribunaux après une arrestation musclée dans son ranch texan ), mais après un split en 2008, un nouvel album du groupe est annoncé pour 2012.
Je terminerai par une nouvelle anecdote, vraie car vécue celle-ci, je n'ai vu Ministry qu'une
seule fois sur scène. C'était en 1999, au festival de Dour, en Belgique, le groupe venait de sortir Dark Side Of The Spoon ( titre jeu de mots sur le best seller du Floyd et qui exprime très bien l'ironie du sieur Jourgensen, Spoon étant la cuillère, ustensile utilisé pour faire chauffer l'héroïne...) et juste avant ce show, j'avais lu dans une interview accordée par le leader du groupe à un magazine français, que ce dernier parlait français uniquement lorsqu'il était...bourré.
Ce dernier jour de festival, Ministry s'est un peu fait un peu attendre. Puis, les lumières se sont éteintes et la ligne de basse de So What a commencé à raisonner.Al Jourgensen a fini par s'avancer sur scène, l'air hagard, il est arrivé, une clope dans une main, une bouteille de Jacks Daniels dans l'autre et les premiers mots qu'il a prononcé dans le micro ont été : « Bonsoir ! Ca va ? ».
Le reste fut un grand moment de Rock'N Roll.
Jef De La Lune
*Les faits relatés par l'auteur de ces lignes ne sont pas garantis de leur authenticité et cités de mémoire, comme la gaillard a la flemme de fouiller dans sa, plutôt imposante, collection de revues pour en rapporter l'exactitude, il se permettra parfois, peut-être de les déformer, voir de les exagérer. Mais on peut faire ce genre de choses avec un mythe non ?