"Si tu vas Dario....."
A l'heure de la Crise, même les artistes sont obligés de se serrer les coudes et d'unir leurs forces, dans l'espoir de réussir à vendre un peu plus que sur la base de leur seul nom en 'solo', en ces temps moroses pour l'industrie du disque... Ainsi, voit-on aujourd'hui arriver en provenance de chez Frontiers Records cet album où "fusionnent" le chanteur Tony 'The Cat' Martin, soit la voix qui aura marqué de son empreinte, n'en déplaise à certains, le plus grand nombre d'albums de Black Sabbath après celle d'Ozzy Osbourne (5 albums studio un un 'live' entre 1987 et 1995, quand même, en dépit des aller/retours façon "chaises musicales" que l'on sait), et le guitariste et producteur italien Dario Mollo (non, non, pas celui de "Si tu vas à Rio" !!...) à la notoriété plutôt confidentielle par chez nous mais qui s'est notamment illustré au sein du combo 'heavy/rock' Voodoo Hill avec Glenn Hughes au chant, également comme membre 'live' du Graham Bonnet & Don Airey Band.
Bon, présenté comme ça, le projet pourrait passer pour une énième et bancale association de "seconds couteaux", en quête de reconnaissance mais davantage en passe de rejoindre le club très fermé des 'has-been' du "hard", et tentant vainement de rattraper le train en marche. Hé bien non, car à la vérité les gaillards n'en sont pas à leur première collaboration, en témoigne le titre de l'album : c'est en effet leur troisième réalisation à ce jour après un premier The Cage (1999), très 'heavy/rock' et très recommandable, et son successeur The Cage 2 (oui, l'inspiration au niveau des noms devait être restée "en cage" également...) de 2002, moins marquant (comme pour les suites au cinéma bien souvent, tiens...) et lorgnant davantage vers le AOR/FM, mais comportant tout de même son lot de grands moments.
Aujourd'hui, 10 ans plus tard donc pour les plus attentifs, les deux briscards remettent le couvert et le moins que l'on puisse dire, c'est que la table est somptueuse et bien mise : production moderne et relativement puissante, mettant bien en valeur le talent des deux principaux protagonistes (brisons le suspense tout de suite), qui ici se déchaînent, mais également celui des autres éxécutants de ce disque, tous des musiciens transalpins ayant déjà travaillé avec Mollo par le passé, d'où une mise en place musicale des plus solides. Premier bon point...
Revenons-en un instant à la performance des deux "héros" qui donnent leurs noms à ce projet, et en premier lieu à celle de Tony Martin. Je fais partie de ceux qui défendront toujours envers et contre tous son parcours dans un Sabbath certes en perte de vitesse après les départs successifs de deux 'frontmen' emblématiques (Ozzy puis Dio, sans parler des éphémères Ian Gillan sur Born Again et Glenn Hughes sur Seventh Star -mais ce dernier est-il vraiment à considérer comme un album de Black Sabbath??...), et s'embarquant inutilement dans un processus de "dénaturation" de leur son (la faute davantage aux producteurs de l'époque -ce son de batterie qui restera marqué "eighties" à jamais- et à l'indéboulonnable Geoff Nicholls -ces claviers bien trop "FM" pour du Sabbath- que celle du nouveau vocaliste d'alors, qui s'était, lui, contenté de s'adapter à la "nouvelle donne"), mais un Sabbath en revanche bel et bien renouvelé musicalement, dans sa dimension épique, mélancolique et profonde, autant de facettes que Martin leur aura permis de développer. A ce titre, le quelque peu oublié The Eternal Idol (1987) -qui gagnerait à être réenregistré!- , un Headless Cross (1989) faussement occulte et un poil surestimé (malgré quelques moments de bravoure dont le titre éponyme et la magnifique "When Death Calls"), et le bien plus abouti, profond et "over-épique" Tyr (1990) -qui mériterait, lui, d'être 'remasterisé'!- , tout en (a)pesanteur onirique, constituent une trilogie discographique qui serait à réhabiliter au coeur de la féconde carrière de notre institution "métal" Britannique préférée, et à l'intention de tous les amateurs de musique de qualité, quelqu'en aient été les circonstances de leur création, et en laissant donc un instant de côté notre aveuglement sur les historiques et cultissimes ères Ozzy et Dio... CQFD.
S'il n'a pas l'organe le plus puissant de la scène 'métal' (notamment en 'live' où il peine à retranscrire l'intensité de ses lignes 'studio') et a incontestablement une voix plus "lisse" et 'mainstream' que celle de feu-Ronnie James Dio (qui restera de toute façon le Maître du genre pour la postérité...), ce qui lui valut moults moqueries de la part de ceux qui voyaient en lui uniquement une piètre 'imitation' au rabais de son illustre prédécesseur, Tony Martin avait (et les conserve encore) bien d'autres cordes à son spectre vocal... Et en première ligne une sensibilité 'soul' poignante, un sens du recueillement et une capacité à monter vers des hauteurs des plus insoupçonnables, faisant de lui un mélange hybride parfait (du moins sur album, encore une fois) entre un Dio, un Geoff Tate de la grande époque et un Glenn Hughes, avec un soupçon d'Eric Adams (cf les passages les plus calmes des morceaux épiques de Manowar ...).
C'est dans ce registre qu'on le retrouve avec grand plaisir (et qu'on le reconnaîtrait entre mille...) sur ce The Third Cage. Oubliez le premier extrait qui a filtré sur Internet (et qui a le malheur d'ouvrir l'album, grosse erreur "stratégique" à mon sens...), ce pseudo-menaçant "Wicked World" irritant au possible où Martin pousse sur sa voix jusqu'à nous vriller les oreilles, après avoir pourtant délivré des couplets dans des tonalités étonnamment graves, et pas franchement transcendantes non plus. Un titre comme "Oh my Soul", en revanche, remet les pendules à l'heure car il possède la lourdeur, le 'feeling' et la solennité d'un "Kiss of Death" sur le Forbidden Sabbathien (un album à oublier, celui-là, par contre... le Never Say Die de la période Martin!), voire d'un anthologique "Anno Mundi" (titre d'ouverture du Tyr des Black Sab', et sans conteste un de leurs dix meilleurs morceaux toute période confondue pour ceux qui ne connaîtraient pas encore!). Plus loin, en clôture d'album plus précisément (comme bon nombre de groupes aiment aujourd'hui à le faire, suivez mon regard vers les derniers Whitesnake ou Gary John Barden...) se retrouve une longue 'power-ballad' de plus de 7 minutes à la fois un peu 'folk', épique et mélancolique, flirtant dans sa seconde moitié avec des sonorités "orientales" : ce somptueux "Violet Moon" donc, ainsi s'intitule cette pépite, qui vient nous rappeler que le chanteur est toujours une valeur sûre dans ce style (rien n'a donc vraiment changé depuis des "Cross of Thorns" ou "Dying for Love" de bonne mémoire, si vous vouliez encore des référence à Sabbath!...).
Quant à son collègue Dario Mollo, le bougre ne démérite pas non plus. Sorte de croisement entre un solide Tony Iommi (pour qui on a d'ailleurs une énorme pensée aujourd'hui, tiens bon et remets-toi bien, "Iron Man"!... 😉 et un Ritchie Blackmore des temps modernes avec une pointe de Matthias Jabs, son jeu recèle de tout ce que l'on aime, virtuosité (mais pas de 'shredding' pour autant), feeling, extravagance, rigueur rythmique, 'riffing' incisif. Tout y est !
Dans les tempos les plus enlevés (quoique bien souvent se cantonnant à une frappe 'heavy' qui leur sied bien), le "groupe" se plaît à varier les plaisirs tout en restant invariablement dans un registre "moderne" au niveau du son. Le gras et sous-accordé "Wicked World" évoqué plus haut (réhaussé de notes "criées" à la Zakk Wylde du plus bel effet) rappellerait un peu dans la démarche le Europe dernière époque du doublé Start from the Dark/Secret Society et leur nouvelle jeunesse de ces dernières années, à eux aussi (à l'écoute, on retrouve dans le riff principal également un peu du "321" de Scorpions, tiens)... Il est vite éclipsé par les tonalités modernes également de "Cirque du Freak", titre surchargé de 'samples' et de boucles, où au moins Martin développe enfin les mélodies vocales typiques dont je vous parlais précédemment, et qui, du fait de son refrain plus marquant (même s'il manque quelque chose pour en faire un authentique "tube"), aurait vraiment mérité la première place de l'album.
Les deux compères reviennent par intemittences aux sonorités plus AOR/FM du deuxième Cage, parfois de fort belle manière (un surprenant "Can't Stay Here" bien 'groovy', à mi-chemin entre Toto et un morceau 'funk' de Glenn Hughes, et où Martin se lâche carrément), mais parfois aussi en exploitant de grosses ficelles du genre (un "Don’t Know What It Is About You" dont même Whitesnake n'aurait pas voulu et un "One of the Few" à la mélodie bien sentie mais malheureusement bien trop téléphonée, et un refrain par ailleurs bien trop naïf et guilleret - c'est tout juste si on n'aurait pas envie de chanter "I believe I can flyyyyyyyy" par-dessus, c'est vous dire... -, ce malgré des guitares plutôt sympas à mi-chemin entre les vieux Ozzy et Saxon dans sa période dite "commerciale").
Le hard/heavy rock mélodique classieux du premier Cage n'a plus vraiment cours, les artistes ayant vraisemblablement décidé de simplifier le propos au profit de morceaux plus directs, manquant parfois un peu d'idées. Restent que les morceaux les plus 'heavy' remplissent quand même convenablement leur rôle, des remuants et efficaces mais quelque peu anecdotiques "Wardance" (en dépit de son martellement 'tribal' assez prenant sur les 'chorus') et "Blind Fury" -titres que n'importe quel groupe du style aurait pu pondre- au plus marquant "Still in Love with You" (au nom quelque peu en décalage avec la dimension épique et l'ambiance "orientale" développée cette fois encore, évoquant délicieusement ici un certain Rainbow).
Il manque donc toutefois quelque chose à la plupart de ces titres, un brin de folie supplémentaire peut-être dans le 'songwriting', ou des mélodies plus affirmées encore. Subsiste également ce côté "fourre-tout" qui enlève un peu de cohésion à l'album, le reléguant à un simple recueil de morceaux indépendants. Reste que le tout demeure de bonne tenue et surtout donne l'occasion de réentendre les lignes vocales mélodiques qu'on affectionne chez ce chanteur pourtant tant dénigré qu'est Tony Martin (même si, je radote un peu mais je soupçonne un peu de 'tricherie' en studio, car ses prestations 'live' sont loin d'être aussi mémorables...).
Et rien que pour ça...
Ceux qui auront connu la formation à l'époque des deux premiers Cage seront peut-être déçus par l'orientation un peu plus "épurée" prise depuis par les deux hommes, pour les nouveaux venus dans le petit monde de Mollo et Martin (dit comme ça, on se croirait un peu sur Gulli, je l'admets...), ce The Third Cage constituera un bon point de départ avant de découvrir leur première offrande de 1999 -la plus aboutie à mon sens- et surtout un bon point d'ancrage pour surveiller ce que feront ces deux artistes par la suite, car l'on sent bien qu'ils ont encore des choses à nous dire... Reste à savoir combien parmi vous auront envie de les entendre ! ...
Et parmi les indécrottables d'Heaven and Hell et de Paranoïd ??!! ...
LeBoucherSlave
Pour les "fans" de Tony Martin : 6,5 / 10
Pour les autres : 5,5 / 10