Sorti en 2013, The Mountain avait été très bien accueilli par la critique et le public, mettant enfin Haken sur le devant de la scène progressive et faisant entrer les Anglais dans la cour des grands. Ce succès avait d’ailleurs effrayé Tom MacLean (basse), qui pensait ne pas pouvoir consacrer tout son temps au groupe. Remplacé depuis par Conner Green, qui a largement fait ses preuves sur scène, Haken est de retour trois ans après, pour fournir un successeur à son chef d’œuvre. Or, on le sait, il est toujours difficile de passer après un album à succès.
Pour prendre le contrepied de The Mountain et de ses sonorités 70’s, cette fois-ci Haken souhaite ancrer son propos dans les années 80. Et on le sent dès les premières notes d’ « Initiate », qui ouvre cet opus après une courte introduction : la production se veut d’avantage tournée vers les claviers, tout en gardant un son moderne. Une sorte de grand écart entre le passé et le présent en fin de compte.
Pour succéder à The Mountain, Richard Henshall et Charlie Griffith (guitares), les deux principaux compositeurs du groupe, ont choisi de ne surtout pas se reposer sur leurs lauriers et d'expérimenter de nouvelles sonorités. En découle une œuvre avant tout difficile d’accès, même pour les fans de la première heure, qui demande une attention constante avant de se dévoiler. Certes, Haken fait du metal prog, et c’est bien là l’une des principales caractéristiques du genre. De même, certains titres longs (« 1985 », « The Architects », « Bound by Gravity ») sont très exigeants et demandent un certain temps avant d’être apprivoisés par l’auditeur.
On ne peut que saluer la prise de risque amorcée par les Anglais, qui n’hésitent pas à mélanger dubstep et djent (« The Endless Knot ») death metal (les growls puissants d’Einar Solberg de Leprous sur « The Architect » ramènent d’ailleurs à certains titres du premier album d’Haken, Aquarius) ou musique de jeux vidéo (« 1985 »), le tout dans un écrin qui n’est pas toujours très cohérent. Certains choix artistiques (qui ont pour unique but d’expérimenter) sont discutables car ils nuisent à la ligne directrice de l’album.
De plus, on peut regretter certaines mélodies vocales un peu forcées et pas toujours immédiates (« Lapse »), à l’exception du refrain de « The Endless Knot » ou de celui de « Initiate ». Mais Haken s’éloigne un peu plus de ses influences des débuts. On pense moins à Dream Theater (excepté sur l’introduction de « The Architect ») ou Gentle Giant qu’à Coheed and Cambria (« Earthrise ») ou Muse. « Red Giant » est peut-être le morceau le plus proche de ce que Haken a pu proposer par le passé et à ce titre est l’une des meilleures compositions de l’album, agrémentée d’une petite touche électronique sympathique et d’une ligne de chant pleine d’émotion. Ross Jennings (chant), souvent décrié en live, est ici irréprochable, comme sur The Mountain et prouve qu’il sait s’adapter à des titres exigeants à interpréter.
Techniquement, cet opus renferme des titres toujours très bien exécutés, où les claviers de Diego Tejeida sont bien mis en avant (le pont atmosphérique de « The Architect », les bruitages dans le style musique 16 bits de « 1985 »). De même, le dernier arrivé, Conner Green peut mettre sa patte dans les compositions et la basse est également bien mise en avant pour une production irréprochable (« The Architect »). Les soli de guitare sont encore une fois époustouflants de maîtrise technique et empruntent toujours à Alan Holdsworth et à la vague jazz rock des années 80, pour un résultat qui satisfera aussi bien les musiciens que les mélomanes.
Aimant brouiller les pistes, Haken propose un album qui demandera de nombreuses écoutes avant d’être assimilé et apprécié pour ce qu’il est : une belle expérimentation dans la jeune carrière d’un groupe qui ne reste décidément pas en place et qui se trouve toujours là où l’on ne l’attend pas.
Photographies live : © Arnaud Dionisio/Ananta 2015
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