Sunstorm – Emotional Fire


Don't let the sun go down on me...

Frontiers nous a sorti récemment le troisième album à ce jour de ce projet où nous retrouvons ni plus ni moins que le talentueux Joe Lynn Turner derrière le micro. Turner, c'est un peu injustement le "second couteau" officiel et de premier ordre de la sphère hard-rock, l'éternel numéro 2, un Poulidor de luxe pour ceux qui s'intéressent au cyclisme... Soit celui qui se tape tout le boulot autant que les autres, réalise les plus belles prouesses et gravit les mêmes cols mais qui au 'finish' passe à l'arrière-plan, et reste dans l'ombre de plus illustres concurrents.

Ainsi, si je vous demande, là tout de suite, de nous citer le plus emblématique chanteur parmi la dizaine ayant gravité autour du capricieux Yngwie Malmsteen, il y a des chances que vous pensiez spontanément à un certain Jeff Scott Soto et que vous occultiez du même coup la voix qui se cache derrière le pourtant emblématique Odyssey. Idem pour le mythique Rainbow de Ritchie Blackmore, dont la mouture plus "commerciale" avec notre compère dans les 80's a davantage cartonné outre-Atlantique -notamment- que par chez nous. Et... quoi, Deep Purple, vous dites ?! L'album Slaves and Masters, vous êtes sûrs, c'était pas un groupe homonyme???!!...

Bref, trêve de moqueries, rendons aujourd'hui à ce Monsieur les honneurs qui siéent à son rang mais reconnaissons qu'outre la scoumoune qu'il a pu connaître avec ses multiples formations précédentes, le chanteur a toujours eu des choix curieux quant à sa subséquente reconversion. Si on applaudissait à deux mains et même "monkey-style" avec les deux pieds la récente résurgence d'un Rainbow inter-générationnel, sous la forme de l'éphémère (hélas...) tribute-band  Over the Rainbow  - surtout quand la mort de Ronnie James Dio avait tristement rendu caduque l'éventualité d'une reformation du Mark II minus Cozy Powell, chose à laquelle votre serviteur croyait dur comme fer, à plus ou moins long terme... - , bref si nous étions "pouces en l'air" concernant cette initiative-là, la carrière solo de l'artiste dans son ensemble ne nous avait en revanche jusque lors pas laissé de souvenirs impérissables à quelques rares exceptions, tout comme ses participations "alimentaires" à whatmille albums 'tribute'  tous azimuts.

J.L.T. avait le don de se montrer en revanche plus convaincant lorsqu'il savait s'entourer, dans le cadre de collaborations notables comme le Hughes Turner Project avec l'autre transfuge de Purple qu'est l'ex-Trapeze et actuel chanteur/bassiste de Black Country Communion. Le tandem avait alors enfanté de deux albums (et un 'live') de hard FM tout à fait recommandables.

Cette fois encore, l'ami Turner a su bien s'entourer... pardon, ON a su bien l'entourer puisque, de l'aveu-même de chacun, c'est le label Frontiers lui-même qui a été l'instigateur de ce troisième opus intitulé Emotional Fire. C'est donc là-bas que l'on a réuni les plus brillants 'mercenaires' de l'équipe, délégués à la composition et à l'accompagnement. On a ensuite mis sur le coup l'émérite Dennis Ward (Pink Cream 69, également aujourd'hui chez Unisonic), en charge de superviser, produire et accessoirement assurer les parties de basse de cet album. Joe Lynn n'avait alors plus qu'à prendre connaissance du contenu!

La démarche, aux antipodes de l'écriture collégiale du H.T.P., avait de quoi laisser sceptique, convenons-en...

 

Et pourtant, cette initiative n'avait pour objectif que de 'mâcher le travail' à un Joe Lynn Turner sans cesse occupé à droite à gauche, et qui pouvait donc se concentrer ici pleinement sur son chant. Et on peut dire que ça lui a réussi! Sa voix au timbre si « sensuel » ne faillit jamais sur disque (comme certains de ses collègues du même âge…) et se situe à l'heure actuelle quelque part entre un Rod Stewart ou encore un Michael Bolton "lover" (nous y reviendrons...), le Ian Gillan d'aujourd'hui et le David Lee Roth d'antan (mais en plus sobre). Ne vous attendez donc pas trop à des envolées lyriques ou démesurées de sa part! Notre homme est plus prompt à partir sur des crescendos émotionnels tout en fêlures de voix et à grands déploiements de 'feeling', pas toujours exempts de minauderies... Sur les titres les plus calmes, l'organe se fait en revanche bien plus rond  -et moins 'lisse' que ce à quoi il nous avait habitué par le passé- , et parvient à nous convaincre pleinement, se retrouvant ainsi un peu plus en phase avec son époque (la très belle ballade "Lay Down Your Arms" est contre toutes attentes le morceau qui s'inscrit le mieux dans la modernité sans sonner « soupesque » comme on aurait pu le craindre... Mention honorable également à ce "Torn in Half" dont le tranchant des guitares –trop rare par ailleurs- et le ‘groove’ général élèvent considérablement la teneur).

Car pour le reste, même si la production de Ward est énorme, ainsi que le savoir-faire en matière d’écriture (ici, c’est à une succession de mini-hits que nous avons affaire… pas des « classiques » pour autant, ne pas confondre!...), on ne peut guère en dire autant du choix des sons de claviers totalement datés ni du travail sur les paroles (on n’est pas obligés pour sonner ‘catchy’ de taper dans aussi niais que sur le refrain du pourtant « sympathique » titre introducteur "Never Give Up" : « Never give up, never give in, if you believe it, you can win… »). Des lyrics fleurant bon l'espoir et l'optimisme bon enfant, mais également du même coup la facilité.

C’est bien là que le bât blesse, la tonalité délibérément ‘cheesy’ jusqu’à la surenchère de bon nombre de ces morceaux risque d’en dérouter plus d’un ! (et que les sceptiques ne se prennent pas, pour voir, à chantonner « ce rêveuuu bleuuuuuuuu » sur ce pourtant quasi-irréprochable par ailleurs "All I Am"… non, Monsieur Turner, vous n’êtes pas « que ça », croyez-nous !!!!)
Comme si c’était là une composante indispensable et exclusive de ce style de musique...

Un effort a en revanche été fait sur les reprises … « Reprises », dites-vous ? Hé oui, car sur les conseils de son label, Joe Lynn a également immortalisé « ses » versions de trois morceaux sur lesquels il n’avait été que choriste en d’autres temps, soit trois titres composés ou coécrits par le célèbre chanteur-minet Michael Bolton, dont deux ont été chantés par Cher quand ce n’était pas par Bolton lui-même : le « Emotional Fire » qui donne (drôle de stratégie ?!) son nom à l’album (et son refrain à la Alice Cooper période Trash comme me le faisait judicieusement remarquer notre cher Ju de Melon - pas étonnant quand on sait qu'on retrouve un certain Desmond Child au co-writing dans les deux cas ), « You Wouldn’t Know Love » et « Gina ».

Sur ces trois titres donc, et à des moments plus épars de l'album, le claviériste Jochen Weyer s’est employé à trouver des sons plus « actuels » (un peu dans la lignée de HIM-To/Die/For-Amorphis-toute la clique finlandaise, vous voyez ce que je veux dire...), peut-être afin d’éviter la redite avec les versions originales (mais on est en droit de se demander pourquoi il n’a pas eu la présence d’esprit de le faire sur l’ensemble de l’album ?!! Il faut quand même écouter ce "Follow your Heart" ou ce "Emily"  -veulent faire concurrence à Toto pour les prénoms féminins en guise de refrains et de titres de chansons ou quoi ?!-  pour y croire…).

Redondance qui n’aurait de toute façon pas eu cours, tant ces nouvelles versions –tout en restant très fidèles- se veulent quand même plus ‘heavy’ (toutes proportions gardées bien entendu, disons que l’on tire plus vers du Survivor, somme toute, et davantage sur du Whitesnake 80’s pour ce qui concerne les couplets de "Gina"…que sur du Manowar!),  et moins dégoulinantes de bons sentiments que celles d’origine.

Ne soyons pas de mauvaise foi et mentionnons également le poignant "The Higher You Rise", preuve que l’on peut faire une musique AOR/FM rappelant les grandes heures du genre mais sans tomber dans l’excès sur les clichés et en revêtant une gravité plus en phase avec notre époque (malheureusement ou pas, ceci est un autre débat…). Quel 'feeling' encore une fois de la part de Monsieur Turner!

 

Un disque donc réussi (malgré quelques ‘maladresses’ –ne parlons pas des ratages…), voire « attachant » du fait ou en dépit de ses "défauts" (un peu comme un jeune garçon timide ou acnéique, quoi…), à destination privilégiée des amateurs du genre (ce qui ne regroupe plus grand monde à l'heure actuelle, il faut bien l’avouer...).  Et pour les autres auditeurs -les moins obtus- , une expérience qui se limitera à l'écoute de quelques titres pour commencer sa journée du bon pied ou trouver le temps moins long dans les bouchons le matin... voire s’accorder quelques minutes de "répit" le soir, seul ou en bonne compagnie.

Dommage toutefois -pour conclure- qu'à l'instar du libidineux Bolton, l'ancien hard-rockeur qu'est Turner se contente aujourd’hui de rester dans des contrées très "soft", aux confins d'un hard FM dépassé (même si au moins les fans d’hier peuvent enfin se délecter d’une bonne production aujourd’hui !), d'un AOR maîtrisé mais sans surprise (du moins pour les auditeurs qui ont déjà tâté du Toto ou du Foreigner) et d'une touche "pop" certes sympathique (et certainement une voie à exploiter…) mais également trop restrictive pour une voix aussi polyvalente et versatile ! On se prendrait à oser redemander par la suite un disque de la trempe de ses précédents essais solos sous son propre nom, moins chiadé mais plus 'back to roots' et "burné"... voire à un nouveau H.T.P. ou une énième nouvelle tentative de "s'emparer du Rainbow" !  Reste que le chanteur est aujourd'hui bien "chaperonné", guidé et pris en main, et qu'on ne voit guère pourquoi il prendrait maintenant le risque de se mettre en danger avec un disque plus foncièrement 'rock' sur lequel il ne brillerait peut-être plus forcément autant, et qu'il est donc plus sage de garder les faveurs des 'hardos' en l'état, c'est-à-dire réduites à de simples mais bons souvenirs...

A titre personnel, je reste un peu sur ma faim pour le coup, et dubitatif quant à la pertinence de ce projet à l'avenir : Monsieur Turner se verra-t-il cette fois conseillé d'enregistrer -en "bonus tracks"- des chansons qu'il a l'habitude de fredonner sous la douche?  Je crois que je préférerais encore écouter Cher reprendre du Rainbow ou des titres d'Odyssey, ça, pour le coup, ça aurait plus de gueule, non?!... ^^

J’ajouterais, pour remettre un peu le Sieur Dennis Ward sur le tapis, que ce dernier (pas ce pauvre tapis, vous m'aurez compris...) a fait nettement mieux récemment dans le genre avec les compos les plus ‘soft’ d’un certain Unisonic. (z’avez vu un message subliminal, vous ??.... 🙂  Que les vieux briscards en prennent de la graine !

 

LeBoucherSlave


6,5/10

 

 

NOTE DE L'AUTEUR : 7 / 10



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