Quelques semaines après la sortie de Affinity, son surprenant quatrième opus, Haken est de passage dans la capitale parisienne, pour défendre son album. Si une chose est sûre, c’est que la formation britannique de metal progressif prend de l’ampleur puisqu’à peine deux ans auparavant, c’est dans la salle voisine de la Boule Noire à la capacité réduite de moitié qu’Haken s’était déjà produit en tête d’affiche. Le public parisien est venu en nombre et la salle se retrouve bien vite pleine en ce dimanche soir, à l’heure où Arkentype s’apprête à fouler les planches du Divan du Monde.
Arkentype
Premier groupe à ouvrir le bal, les Norvégiens d’Arkentype se présentent au public encapuchonnés et vêtus de combinaisons blanches pour le chanteur et le bassiste, et de noir pour le guitariste et le batteur. Dès les premières notes de « Ashes and Dirt », le public semble surpris de l’écart stylistique aussi important avec la tête d’affiche. En effet, Arkentype propose une musique à mi-chemin entre djent, metal progressif et metalcore. Le chant plaintif et édulcoré de Kevin Augestad, même agrémenté de hurlements metalcore, agace rapidement, tout comme la pauvreté des riffs de Simen Handeland, toujours très redondants. L’accueil du public est d’ailleurs assez froid, et ce n’est pas lorsque Kjetil Hallaraker (basse) monte sur les épaules du vocaliste, comme Angus Young sur celles de Bon Scott en leur temps, que le public va se montrer plus enjoué.
Alors, mariage stylistique hasardeux ou simple erreur de casting ? Quoi qu’il en soit, les trente minutes consacrées au groupe semblent interminables. Arkentype se retrouve ainsi piégé dans un metal progressif dénué d’originalité, ce que le public ne semble pas apprécier malgré quelques applaudissements polis.
Special Providence
Lorsque les Hongrois de Special Providence démarrent leur set, le public semble déjà bien plus enjoué. En effet, le quatuor propose un metal progressif instrumental rappelant par moments Exivious, voire même Dysrhythmia. Sans leader ni artifice, Special Providence parvient à séduire même les non musiciens et ce malgré l’exigence et la complexité de leur musique.
Adam Marko (batterie) s’empare du micro entre les titres pour présenter le groupe, et si l’on sent une grande humilité dans sa voix et son attitude, sa maîtrise technique, tout comme celle de ses camarades ne peut laisser de marbre. D’ailleurs, les applaudissements nourris sont là pour en témoigner. Bien que la technicité des musiciens soit mise en avant au sein des compositions, le quatuor parvient à insuffler un groove entêtant dans leur musique et c’est peut-être là ce qui fait mouche. Tel Derek Sherinian au sein de Planet X, Zsolt Kaltenecker fait courir ses doigts sur son clavier avec une approche presque jazz fusion par instants.
Au cours des quarante-cinq minutes de son set, Special Providence fait voyager le public sur ses montagnes russes instrumentales. Bien plus adapté à l’affiche du soir que Arkentype, Special Providence a marqué des points auprès du public parisien et a été une très belle découverte, prouvant que le metal instrumental a encore de beaux jours devant lui.
Haken
Quelques mois après leur dernier passage à la Maroquinerie en ouverture de Between the Buried and Me, Haken est bien déterminé à séduire le public parisien avec ses nouvelles compositions. Alors que Affinity a divisé au sein de sa fan base, malgré une envie de se renouveler toujours présente, Haken a prévu d’interpréter pas moins de cinq nouveaux titres. C’est dire si Charlie Griffiths (guitare) et ses acolytes sont fiers de leur nouvel album.
C’est le single « Initiate » qui ouvre les débats, après la courte introduction sur bande « Affinity.exe ». Si ce titre est l’un des plus catchy sur l’album, il est totalement fait pour le live avec son refrain que reprend tout le Divan du Monde. Malgré des lumières stroboscopiques très présentes, on remarque tout de suite que les musiciens de Haken portent tous une touche de vert sur eux ou leur instrument, rappelant la pochette de l’album. Ross Jennings ne tient plus en place et semble bien plus à l’aise dans son rôle de leader au fil des concerts. Jouant avec son pied de micro, il se met immédiatement la foule dans la poche en interpellant le public à de nombreuses reprises.
« Falling Back to Earth », premier extrait de The Mountain, récolte l’adhésion totale du Divan du Monde. Richard Henshall (guitare), totalement concentré, est impérial en rythmique et en solo, comme les autres instrumentistes, et les douze minutes du titre défilent sans que l’on s’en aperçoive, alternant passages metal prog et partie instrumentale éthérée.
Mais le premier moment particulièrement marquant de la soirée démarre lorsque les musiciens entament « 1985 », et ses parties de claviers et de batterie qui font l’effet d’une Delorean et nous font voyager dans le temps. Ross Jennings chausse ses lunettes vertes clignotantes, kitsches à souhait mais totalement dans l’ambiance, tandis que Diego Tejeida (claviers) s’empare d’un zen Riffer (clavier portable) pour s’approcher des premiers rangs. On sent d’ailleurs une vraie cohésion entre les musiciens, qui se caractérise par des compositions solidement interprétées.
Si de manière générale le public prog est souvent sage et attentif, ce soir on sent l’audience bien plus impliquée dans le concert, dansant presque et applaudissant à tout rompre des musiciens qui ne déméritent pas. Et lorsque « Cockroach King », le tube de The Mountain, débute par sa partie a cappella en canon, toute la salle reprend les paroles. D’ailleurs, on se rend compte qu’en plus d’être des musiciens doués, Conner Green (basse) et Raymond Hearne (batterie) maîtrisent parfaitement leurs voix et proposent des chœurs justes, qui complètent très bien les parties de chant du leader.
Bien que « Cockroach King » soit totalement ancré dans les années 70, « The Architect » ne va pas tarder à nous montrer que Richard Henshall et Charlie Griffiths savent composer des titres très différents. Avec ses quinze minutes au compteur, débutant par une partie instrumentale totalement folle, ce titre est un futur classique du sextet. Si sur album, les parties de chant ne sont pas aussi accrocheuses que sur les trois précédents opus, le refrain de « The Architect » est vite repris par la salle, qui sera bluffée par la partie growlée par Jennings, initialement interprétée par Einar Solberg (Leprous) en studio.
Après « Deathless » seul extrait de Visions et « Endless Knot » (et ses influences djent/dubstep sur lesquelles Diego Tejeida peut s’en donner à cœur joie,) Haken quitte la scène. Les premières notes du rappel dévoilent le début de « Crystallised », titre épique de vingt minutes, extrait de Restoration, seul EP du groupe. Le public réserve un très bon accueil au morceau, qui concentre tout le talent d’Haken, avec des parties instrumentales techniques (comme le slap de Conner Green sur sa basse), du chant en canon et des refrains mémorables.
Une fois le final achevé, les musiciens saluent longuement et agitent un drapeau français récupéré dans la foule. Si l’on regrette l’absence de titres d’Aquarius, notamment l’epic « Celestial Elixir » (interprété sur d’autres dates et ici non joué pour cause de couvre-feu), Haken a tout de même donné une excellente prestation. Le public a répondu présent pour soutenir ce groupe que l’on voit monter date après date et dont le succès grandissant est plus que mérité. Osant se remettre en question à chaque album studio et prenant toujours plus d’assurance sur scène, Haken n’a devant lui aucun obstacle qui pourrait venir lui barrer la route et l’empêcher de devenir un futur grand nom du metal progressif européen. On ne peut que le leur souhaiter en tout cas.
Setlist Haken :
Initiate
Falling Back to Earth
1985
Earthrise
Pareidolia
Cockroach King
The Architect
Keyboard Solo
Deathless
The Endless Knot
Rappel :
Crystallised
Photographies : © Marjorie Coulin 2016
Toute reproduction interdite sans autorisation du photographe
Merci à Valérie et Inside Out.