"Globalement, [...] ce premier EP des Prophets Of Rage n’est pas l’événement attendu."
C’est avec une impatience mêlée à une belle dose de craintes que l’on attendait ce premier EP des Prophets Of Rage. Pour rappel, le groupe est mystérieusement apparu au début de l’été, et se compose de la section instrumentale de Rage Against The Machine, adjointe aux voix de B-Real (Cypress Hill) et Chuck D (Public Enemy). RATM sans son frontman Zack De La Rocha, diront certains. Voyons ce que donne ce semi come-back créé pour secouer un peu une Amérique dénoncée comme soumise par ses dirigeants.
Déjà, on peut revenir rapidement sur la promotion du groupe, qui s’est révélée assez houleuse et loupée, du moins du point de vue des fans de Rage Against The Machine : en effet, en voulant buzzer sans trop en dire, les Prophets ont accidentellement provoqué des attentes bien au-dessus de ce qu’ils allaient proposer. Imaginez la déception de nombreux fans quand ils ont découvert que ce n’était finalement pas Rage au complet qui se reformait… D'autant plus que la pièce manquante n’est pas le plus dispensable, loin de là, comme nous allons le voir ! Si on ajoute à ça la mise en ligne des deux seuls titres studio inédits de l’EP plusieurs jours avant sa sortie, qui relègue donc l’intérêt du disque à ses trois titres live, on se dit qu’à vouloir tout faire eux-mêmes, les membres du collectif se sont un peu égarés.
Mais revenons au contenu musical de la galette. Le premier titre, portant le nom du groupe, débute par une sirène de police qui pose tout de suite le décor. Le premier riff s’amorce, et on est tout de suite en terrain connu : on retrouve le son identifiable de la section instrumentale de RATM période The Battle Of Los Angeles, avec ce son poli mais incisif. Le refrain rappelle d’ailleurs un peu "Guerilla Radio", la fougue de De La Rocha en moins. Car avouons-le, c’est ce qui reste en tête à l’écoute du disque : B-Real et Chuck D souffrent forcément de la comparaison avec le vocaliste de RATM, dont l’agressivité et la fougue manquent cruellement ici. Non pas que la prestation des deux rappeurs soit mauvaise, loin de là, mais De La Rocha avait établi un standard qu’il est difficile d’oublier.
Cette différence est particulièrement sensible sur la version live du tubissime "Killing In The Name", où B-Real parait un peu mou, et Chuck D semble faire de la figuration : leurs voix sont en fait trop graves pour bien s’intégrer au morceau. On remarque par contre quelques modifications des paroles bien sympa qui remettent le contenu du titre au goût du jour : les "Some of those that work forces" deviennent tantôt des "Some of those that hold office", et tantôt des "Some of those up in congress" que l’on se plait à découvrir au fil des lignes de flow, et qui affichent clairement les cibles du groupe.
Le second morceau inédit s’intitule "The Party’s Over", et adopte un tempo lent et lourd qui donne pas mal d’impact à la guitare, mais reste un peu trop prévisible. On retrouve en revanche une basse bien profonde et ancrée dans le sol, qui s’avère lourde et entêtante au possible, comme à la belle époque. De quoi donner envie de jeter une oreille à Wakrat, le nouveau projet du bassiste Tim Commerford. Tom Morello en profite également pour faire joujou avec son octaver, et ainsi apporter avec succès plus d’épaisseur à son son.
Puis, si on oublie la reprise assez convenue de "Shut’em Down" de Public Enemy, arrive une jolie surprise. Il s’agit d’une adaptation live du "No Sleep Till Brooklyn" des Beastie Boys, qui s’avère très bien ficelée. Rebaptisée "No Sleep Till Cleveland" – même si les vocalistes chantent à plusieurs reprises "No Sleep Till Brooklyn !? -, la piste fonctionne très bien sur scène, et semble faire un malheur lors des concerts du combo. Avec l’intégration habile de quelques paroles de "Fight The Power" de Public Enemy, les Prophets Of Rage ont créé là un hybride jouissif d’un genre assez nouveau. Chapeau bas !
Globalement, malgré quelques moments sympas et surprenants, ce premier EP des Prophets Of Rage n’est pas l’événement attendu. Il semble être un disque fait un peu à la va-vite, et manque surtout de cet aspect brut et rageur qui faisait toute la force des trois groupes à l’origine des Prophets Of Rage. Attendons de voir ce que donnera un album complet, s’il arrive, car ce premier effort laisse un goût amer d’inachevé.